dimanche 15 juin 2025

Démonstration de l'existence de la nature humaine. Contribution à l’anthropologie philosophique

I :

1): Il est impossible, illogique, que des réalités absolument différentes puissent communiquer, se modifier mutuellement.

2): Il s'ensuit que toutes les réalités doivent avoir quelque chose de commun. On ne peut admettre qu'une seule substance, un seul type de réalité ultime qu'ont en commun tout ce qui existe. La substance est ce qui relie chaque réalité et qu'elles comportent toutes en commun. Hors de la substance, il n'y a rien.

Le monisme ontologique exclut la possibilité de substances distinctes (matière / esprit ; Dieu créateur / substances crées...). Le platonisme et le cartésianisme sont donc faux.

3): Les humains sont capables de coordination et d'interactions efficaces qu'il est invraisemblable d'attribuer une répétition immense de hasards, ou à un miracle. La coopération sociale n'est possible que grâce à une faculté de compréhension des intentions et sentiments d'autrui (connaissance compréhensible).

4): La communication ontologique nécessite une communauté substantielle. Analogiquement, la communication entre humains n'est possible que sur fond d'un ensemble de propriétés communes et spécifiques à une classe d'étants (ensemble qu'on appellera une essence). On ne pourrait pas comprendre l'esprit d'autrui s'il ne nous était pas similaire, donc partiellement identique.

5): Les humains sont donc identiques en tant qu'ils partagent une essence commune.

6): La communication humaine prouve donc l'existence d'une nature humaine. Le nominalisme et l'existentialisme sont par conséquent faux.

 

II : Corollaire sur la méthode d’élucidation de la nature humaine et sur la relation entre philosophie et science.

Puisque c’est à partir de l’observation des interactions sociales que nous sommes conduits à la nécessité de poser une essence de l’Homme, le contenu de cette nature, les caractéristiques qu’on doit lui attribuer, sont aussi dépendantes de la compréhension du monde social, des rapports sociaux, de l’existence de l’Homme en société. Il ne serait pas suffisant de définir l’Homme en le distinguant de réalités non-humaines, comme les végétaux ou les nombres entiers. Il faut faire émerger un contenu positif à la nature humaine, sous peine de n’avoir posé qu’un concept vide. La nature humaine ne peut pas être appréhendée par une supposée intuition directe d’une essence ou par une méthode de déduction a priori (du style « le concept d’Homme implique celui d’animal raisonnable »). Ce n’est pas de l’essence humaine qu’on peut déduire son activité social-historique ; c’est au contraire à partir de son activité social-historique que l’on peut induire son essence. La philosophie (anthropologique) n’est pas ce qui fonde la possibilité d’une science de l’Homme ; ce sont au contraire les sciences sociales qui rendent possibles l’anthropologie philosophique (et non les seules sciences naturelles, dont l’exploitation exclusive était la tendance du courant allemand d’anthropologie philosophique de l’entre-deux-guerres).

L’anthropologie philosophique doit s’approprier les connaissances disponibles sur la vie sociale humaine afin de déterminer les spécificités ontologiques de l’Homme qui conditionnent l’existence des faits sociaux humains.

Il faut donc conclure que la sagesse à laquelle aspire le philosophe nécessite la compréhension des résultats des sciences sociales -et puisque ces savoirs scientifiques progressent, on doit aussi conclure que la meilleure philosophie possible ne peut être qu’une philosophie contemporaine. Redonner sa légitimité à l’idée d’une nature humaine -idée très attaquée depuis le XIXème siècle- n’implique nullement qu’on doive en revenir à une quelconque doctrine philosophique antique ou médiévale. En ce sens, on pourrait accorder à Hegel que la philosophie doive être la reprise par la pensée de l’activité historique la plus récente. Il y a des choses qu’on ne sait pas encore sur la vie sociale de l’Homme, et par conséquent aussi sur sa nature et sur son bien. La philosophie (morale) est toujours à faire.

Ces conclusions impliquent aussi qu’il faut saluer ce qu’il y avait d’historiquement nouveau et d’intelligent (et en même temps critiquer le côté unilatéral) dans la formule de Moses Hess (qui ouvre le chemin aux Thèses sur Feuerbach de Marx) : « Le commerce des hommes … est leur essence réelle. »

5 commentaires:

  1. La 1ère partie est une démonstration assez implacable, avec des prémisses fortes. Je laisse de côté la seconde à laquelle j'adhère à 100%. En revanche, vu la part que vous faites à l'interaction, à la coordination efficace, la conclusion finale m'étonne - pourquoi ne pas en rester à essence. Si l'objectif était purement intra-philosophique, i.e. infirmer l'existentialisme et le nominalisme, on se serait plutôt attendu à "le sujet existe", "l'humain n'est pas une construction sociale ou de pensée", "l'anti-humanisme est une bêtise", etc. Le fait de réaffirmer "nature" est-il pour vous précisément une façon de dire : nous pouvons voire nous devrions continuer d'affirmer qu'il existe une nature humaine POUR, via ces relations, interactions, coordinations, etc., modifier les rapports sociaux / de production ? Parce que précisément, en règle général, ceux qui avancent qu'ils existent une nature humaine, c'est plutôt pour le nier !

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    1. Bonjour lecteur anonyme,
      La nature est un terme très polysémique, on peut aisément distinguer philosophiquement au moins 6 significations possibles.

      Ici, la nature humaine est prise comme synonyme de l'Essence de l'Homme (c'est-à-dire: ce qui fait qu'un homme est un homme ; les caractéristiques que possèdent tout humain, dans le temps et l'espace, etc.).
      Il y a évidemment une opposition entre les traits essentiels d'un humain et ses traits contingents, et parmi ces derniers, ceux qui relèvent de l'acquis, du socio-culturel, de l'histoire, etc. Par exemple, tous les humains sont mortels (essence) mais tous les hommes ne parlent pas le français (existence / historicité).

      Distinguer ce qui est nécessaire ou contingent dans l'Homme est un pré-requis pour éventuellement transformer les traits modifiables d'un être humain, d'une société...

      Ce billet ne prend aucune position normative ou politique. Mais si vous lisez le reste de mes publications, vous trouverez sans doute une réponse à votre question ;)

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    2. "Distinguer ce qui est nécessaire ou contingent dans l'Homme est un pré-requis pour éventuellement transformer les traits modifiables d'un être humain, d'une société" me plait ;)

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  2. avec les fautes d'orthographe en moins - pardonnez

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  3. "modifier les rapports sociaux / de production ?", i.e. en dehors de toute philosophie morale, mais sur la base de l'action et pour des objectifs strictement politiques

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