À
la suite de ses prises de position révolutionnaires (« La Réaction en Allemagne
», « Le communisme »), le retour de Bakounine en Russie devient impossible et
il est contraint à l’exil en Suisse, puis en France (1844), d’où il est expulsé
à la demande de la Russie pour avoir attaqué publiquement le tsar et soutenu la
cause polonaise (1847). En 1848, il se distingue par son activité au cours du
Printemps des peuples (insurrection de Prague, « Appel aux Slaves »), avant
d’être arrêté au printemps 1849 pour sa participation à l’insurrection de
Dresde. Il est alors condamné à mort par la Saxe, puis par l’Autriche, avant
d’être livré en 1851 à la Russie où il passera les dix années suivantes,
d’abord en forteresse, puis à partir de 1857 en Sibérie, dont il s’évade par le
Japon et les Etats-Unis en 1861, pour revenir en Europe en 1862. Après l’échec
de l’insurrection polonaise de 1863, Bakounine renonce définitivement aux
entreprises exclusivement nationales.
Commence
alors la période la plus connue de l’itinéraire de Bakounine, celle du
socialisme libertaire, aussi bien théorique que pratique (dont il exposera les
principes en 1871 dans L’empire knouto-germanique et la révolution sociale).
Après avoir tenté de réunir autour des principes qu’il défend plusieurs
sociétés secrètes en Italie, puis d’y convertir la Ligue de la Paix et de la
Liberté (Fédéralisme, socialisme et anti-théologisme), Bakounine, désormais
installé en Suisse pour le restant de sa vie, adhère à l’Association
internationale des travailleurs en 1868. Son activité s’inscrit alors dans
celle de cette organisation, mais aussi dans une relation de rivalité de plus
en plus marquée avec Marx, ce qui conduit à son exclusion en 1872.
Après
avoir tiré le bilan de son engagement dans l’Internationale (Etatisme et
anarchie), Bakounine, malade, renonce à toute activité révolutionnaire. Il
meurt à Berne le 1er juillet 1876. » (pp.3-4)
« Les
textes traduits et commentés ici contiennent l’intégralité de la contribution
de Bakounine à la gauche hégélienne, contribution peu étudiée comme la plupart
des textes qui appartiennent à la période « pré-anarchiste » de Bakounine. Il
s’agit de « La Réaction en Allemagne », texte qui paraît en octobre 1842 dans
les Deutsche Jahrbücher fûr Wissenschaft und Kunst (Annales allemandes pour la
science et l’art) d’Arnold Ruge, de lettres échangées avec ce même Ruge au
début de l’année 1843, et de l’article « Le communisme », qui paraît en juin
1843 dans le Schweizerischer Republikaner (Le Républicain suisse) de
Zurich. » (p.5)
« «
Avant-propos du traducteur » (1838) aux Discours au gymnase de Hegel et la première
partie d’un long article, « De la philosophie » (1839-1840), dont il laisse
inachevée la seconde partie, plus longue que la première. Qu’il s’agisse de sa
lecture de Fichte, surdéterminée par son contexte personnel, ou de celle de
Hegel, le trait le plus marquant des textes de la période russe réside dans la
quasi-absence de préoccupations politiques. Et lorsqu’il s’aventure sur ce
terrain, le jeune Michel fait preuve d’un conformisme bien éloigné des
positions révolutionnaires qui seront ensuite les siennes. Ainsi l’«
Avant-propos » de 1838 s’articule autour d’un double enjeu : proposer une
défense de la philosophie, alors dénigrée en Russie (et interdite à
l’université). » (p.5)
« Deux
séries d’éléments expliquent la radicalisation politique de Bakounine. Tout
d’abord, à partir de l’été 1841, le cercle de ses fréquentations s’élargit et
diverses rencontres le mènent à Dresde où il fait la connaissance d’Arnold
Ruge, éditeur de l’un des principaux organes de la gauche hégélienne, les
Deutsche Jahrbücher fûr Wissenschaft und Kunst (Annales allemandes pour la
science et l’art). Sans doute sur son conseil, il lit la Politique à l’usage du
peuple de Lamennais, ouvrage qui produit sur lui une forte impression. Ces
rencontres s’accompagnent d’un sentiment de vanité des études philosophiques,
dont sa correspondance attaque la dimension exclusivement théorique. Ainsi en
juillet 1842, alors qu’il est en pleine rédaction de « La Réaction en Allemagne
», une lettre à sa famille s’en prend aux « chimères religieuses logiques et
théoriques sur le fini et l’infini » et à l’automne, alors que l’article est
sur le point de paraître, est attaquée directement « la creuse philosophie
théorique qui cause notre perte et au développement de laquelle j’ai tant
contribué ». Même si elle est d’un usage délicat en raison des conditions de sa
rédaction, la Confession que Bakounine adressera au tsar depuis le ravelin de
la forteresse Pierre-et-Paul en 1851 rendra compte de ce dégoût que le jeune
philosophe en est venu à éprouver pour la métaphysique allemande. » (p.6)
« Bakounine
cherche à montrer deux choses : d’une part qu’il est impossible de concilier
(en termes hégéliens, de médiatiser de l’extérieur) les termes d’une opposition
politique, d’autre part que dans le développement de l’opposition en
contradiction ouverte, c’est l’action destructrice de la négativité qui domine,
ce qui doit se traduire politiquement par le triomphe des révolutionnaires. En
cherchant à démontrer ces deux thèses, Bakounine vise à la fois le parti du Juste
Milieu et sa traduction philosophique parmi les vieux hégéliens, et la gauche
hégélienne en cours de radicalisation, qui est ainsi appelée à ne pas se
satisfaire de demi-mesures. En cela, Bakounine esquisse dans son article un
positionnement que l’on peut qualifier de radical et ce qui s’exprime sous la
gangue verbale hégélienne, c’est le refus de toute conciliation entre ces deux
pôles extrêmes que sont Révolution et Réaction. Lorsqu’il cherchera, près de
trente ans après, à montrer la cohérence de son parcours politique, c’est
précisément à cet article que se référera Bakounine. » (p.7)
« Ce
n’est qu’à partir de 1864 que Bakounine peut être qualifié d’anarchiste, ou de
socialiste libertaire, et ce n’est qu’en 1867 que, dans la lignée de Proudhon,
il se qualifie lui-même d’anarchiste. » (note 5 p.8)
« Il
s’agit [pour lui] de défendre l’une de ses sœurs contre un mariage forcé et une
autre qui souhaite se séparer de son époux. L’importance de cette source
fichtéenne a été peu soulignée par les commentateurs de Bakounine. » (note
9 p.8)
« Rencontre
d’un poète proche du courant « Jeune Allemagne » (Varnhagen von Ense) et d’un
ancien condamné pour menées révolutionnaires, Müller-Strübing. À ces deux noms,
il faut ajouter celui du poète Herwegh, à qui Bakounine restera toujours lié,
et la présence d’Alexandre Herzen, que Bakounine semble avoir fréquenté plus
assidûment qu’en Russie. » (note 16 p.8)
« La
conclusion de l’article, elle signale l’émergence en France et en Angleterre «
d’associations à la fois socialistes et religieuses » (p. 14) ce qui amorce la
découverte par Bakounine, dès lors qu’il aura lu l’ouvrage de Lorenz von Stein sur le socialisme français et […] Garanties de la liberté et de l’harmonie de
Weitling, du « nouvel univers » qui s’ouvre devant lui. » (p.10)
« Chez Hess, cette phraséologie révolutionnaire n’a pas d’autre aboutissement que
philosophique : ce qui est visé, c’est une certaine recherche de l’unité,
propre au socialisme utopique des années 1840 et à la philosophie feuerbachienne, et dans la transformation recherchée, le rôle moteur reste
dévolu à une instance spirituelle. » (p.12)
« Le
contraste entre cette Allemagne morcelée à l’unité politique fictive et la
puissance ascendante de la Prusse est frappant, mais il ne doit pas masquer que
c’est précisément dans ce dernier État que le sentiment de retard politique est
ressenti avec le plus d’acuité, en particulier avec l’accès au trône en 1840
(six semaines précisément avant l’arrivée de Bakounine à Berlin) de
Frédéric-Guillaume IV qui suscite de nombreux espoirs après une vingtaine
d’années de gel politique. Les premières mesures du souverain entretiennent ce
malentendu. Ainsi, la réhabilitation du catholicisme, interprétée comme un
signe de libéralisme en matière religieuse, se révèle bientôt comme une
manifestation de l’attachement que le souverain porte à un monde que l’opinion
éclairée considère comme appartenant au passé (ce dont témoigne la mention dans
« La Réaction en Allemagne » du « monde catholique du passé »), défense motivée
par une vision magnifiée du christianisme médiéval. » (p.16)
« La
question de la liberté de la presse, qui fournit à Marx l’occasion d’une série
d’articles dans la Gazette Rhénane en mai 1842, mobilise la partie radicale de
la bourgeoisie suite à la publication en décembre 1841 de l’ordonnance de
Frédéric-Guillaume IV relative à l’application de la censure. Cette ordonnance
[…] proscrivait notamment la désignation nominale des députés lors des comptes
rendus des débats à la diète provinciale. Dans les régions qui ont été
sensibles à l’influence française (ce qui est le cas de la Rhénanie), cette
mesure contribue à radicaliser cette partie de l’opinion qui était attachée à
l’établissement de régimes constitutionnels, et à faire basculer certains de
ses membres dans le camp démocrate.
Pour
les milieux philosophiques, une série de mesures spécifiques va précipiter ce
mouvement de radicalisation. Au moment où Bakounine écrit « La Réaction en
Allemagne », deux événements préoccupent le milieu philosophique berlinois. Le
premier, c’est le renvoi de Bruno Bauer le 22 mars 1842 de la Faculté de
théologie de l’université de Bonn. De nombreux jeunes hégéliens, comprenant que
les portes de l’enseignement philosophique leur seront fermées pour des raisons
d’opinion, sont précipités dans un mouvement de radicalisation politique (c’est
notamment le cas du jeune Marx). Le deuxième c’est le retour de Schelling à
Berlin à la fin de l’année 1841. » (p.17)
« Il
faut plusieurs mois aux étudiants pour comprendre ce que signifie le rappel de
Schelling par le gouvernement prussien –quelques mois qui correspondent à
l’éveil de la conscience politique du jeune Bakounine. Symptôme de ce
retournement progressif d’opinion, la campagne qui vise l’enseignement de
Schelling à partir de 1842 tend à se présenter comme une défense et
illustration de la validité de la philosophie hégélienne contre la philosophie
positive de Schelling. L’article de Bakounine, en ce qu’il fait de cette
philosophie l’une des facettes de la Réaction proprement dite qui sévit en
Allemagne, s’inscrit partiellement dans cette campagne. Toutefois, ce n’est pas
dans ce texte qu’il faut en chercher le fer de lance, mais bien davantage dans
les trois textes publiés sous un pseudonyme par le jeune Engels (regroupés
ensuite par les éditeurs allemands sous le titre commun
d’Anti-Schelling). » (p.18)
« L’École historique du droit peut à juste titre être qualifiée de réactionnaire dans la
mesure où elle s’est constituée en réaction aux tentatives des Lumières
(perçues comme révolutionnaires) pour fonder le droit sur des bases
rationnelles, ce à quoi les théoriciens de cette école opposent une recherche
des sources historiques du droit qui vise non pas à porter le soupçon sur les
droits existants mais à les légitimer ou à les refonder sur la tradition.
L’École historique du droit a pour principaux représentants Gustav Hugo
(sévèrement attaqué par Hegel), Friedrich Karl von Savigny (qui vient d’être
nommé par le roi de Prusse, qui est chargé de la révision du Code et qui eut
Marx pour élève) et Friedrich Julius Stahl (qui vient d’être appelé à Berlin
pour y enseigner le droit public). De ces trois figures, c’est sans doute celle
de Stahl qui incarne le mieux ce que Bakounine combat dans « La Réaction en
Allemagne ». […]
Stahl
se réclame expressément de Schelling et de l’inflexion que celui-ci a donnée à
sa philosophie à partir des cours professés à Munich pendant le semestre
d’hiver 1827-1828. Tout en lui reprochant un reste de rationalisme qui
l’empêche de renoncer à poser un principe abstrait à la source du développement
progressif des sociétés (un Dieu personnel et à la volonté libre serait
préférable), Stahl le loue pour avoir facilité la transition vers le point de
vue historique, où l’homme ne cherche plus sa loi en lui mais au-dessus de lui,
et de lui reprendre l’idée d’intuition intellectuelle qu’il interprète en
termes chrétiens. » (p.22)
« Désignation
de Schelling comme « Judas Iscariote de la philosophie » par Feuerbach dans une
lettre du 9 octobre 1841 à C. Kapp. » (note 21 p.26)
« Du
principe démocratique, qui fonde cet engagement, Bakounine donne la définition
suivante : « l’égalité des hommes se réalisant dans la liberté ». » (p.28)
« Bakounine
ne reprend pas le thème qui a fait la célébrité de L’essence du christianisme,
celui d’un Dieu qui n’est que l’essence projetée et inversée de l’homme, mais
s’attache à l’idée feuerbachienne que « l’amour est ce qui manifeste l’essence
cachée du véritable christianisme ». Dans le texte du philosophe allemand,
l’amour est couplé à un autre concept religieux, celui de foi. Pour Feuerbach,
c’est la foi qui donne sa particularité à l’amour chrétien : « l’amour est de
nature libre, universelle, alors que la foi est étroite et limitée », et dans
le christianisme la foi a perverti l’amour. Feuerbach s’en explique dans l’un
des appendices à L’essence du christianisme : en raison du caractère fanatique
de la foi, l’amour chrétien devient un amour restreint et « le commandement de
l’amour des ennemis s’étend seulement aux ennemis personnels, non aux ennemis
de Dieu, aux ennemis de la foi ». Dans « La Réaction en Allemagne », Bakounine
ne dit pas exactement que les membres du parti démocratique sont les véritables
chrétiens mais que c’est à eux qu’il a été donné de pratiquer l’amour, lequel
est « l’essence unique du véritable christianisme ». » (p.32)
« La
principale faiblesse du parti démocratique réside en lui-même. Ce parti porte
en lui une essence qui le légitime dans ses combats et qu’il doit parvenir à
extérioriser. Parti et principe s’opposent ainsi comme l’existence et
l’essence, comme le particulier et l’universel, comme ce qui n’est que négatif
et ce qui englobe les deux termes d’une opposition.
Bakounine
interprète les luttes politiques de son temps sur la base de ces rapports entre
parti et principe. Mais cela l’entraîne à plusieurs écarts par rapport à la
philosophie hégélienne de l’histoire dont il se réclame par ailleurs. Il faut
d’abord en finir avec la ruse de la Raison : pour qu’il soit possible de parler
d’émancipation et de liberté humaines, il faut que soit rejetée l’idée que la
liberté de l’Esprit se développe à l’insu des acteurs de l’histoire. Cette
rupture implique également que les rapports entre la fin et les moyens
deviennent pleinement conscients, que les hommes se proposent consciemment pour
fin leur propre liberté, et non qu’en poursuivant leur intérêt propre ils
soient l’instrument d’une liberté supérieure. » (p.33)
« S’il
est vrai, conformément au schéma hégélien, que toute essence tend à se
concrétiser dans l’existence, que ce qui est enveloppé et intérieur tend
nécessairement à se manifester dans l’extériorité, la vie de l’Esprit, qui est
le mouvement même de l’histoire universelle, consistera en un vaste processus
d’effectuation de l’égale liberté. Comme Bakounine pourra l’affirmer au terme
de son article, la victoire du principe démocratique est « le résultat final de
toute l’histoire ». » (p.34)
« Dans
cette tentative pour donner un sens (à la fois une signification et une
direction) aux oppositions politiques, l’utilisation de la conception
hégélienne de l’opposition répond d’abord à une exigence pratique : montrer que
dans la lutte entre les deux partis les plus opposés (Réaction et Révolution),
on n’a pas affaire à une symétrie mais à une « prépondérance du négatif ».
Légitimer le parti démocratique implique donc que soit établie une thèse par
rapport à la Logique de Hegel, celle de la prépondérance du négatif dans le
développement de l’opposition. » (p.36)
« Coup
de force que tente Bakounine sur la Logique de Hegel : en affirmant d’une part
que l’essence de l’Esprit doit passer à l’existence par le biais du parti
qui en prend conscience, en prescrivant d’autre part une ligne de conduite
dictée par la Logique hégélienne et qui consiste à refuser toute médiation externe
entre les termes de l’opposition, Bakounine ne propose-t-il pas dès lors une
philosophie de l’avenir ? » (p.37)
« Bakounine
souhaiterait pouvoir réconcilier la liberté de l’Esprit (celle qui consiste
selon l’expression de Hegel à « avoir soi-même pour objet » et à « demeurer
toujours dans son propre élément ») et la liberté humaine. Chez Hegel, c’était
l’État qui incarnait cette alliance de la liberté objective et de la liberté
subjective, l’État comme « totalité éthique et réalité de la liberté, par suite
unité objective de ces deux moments », subordonnant en lui-même la liberté de
l’humanité à celle de l’Esprit. Bakounine ne suit pas cette voie, ce qui ne
signifie pas qu’il rejette toute forme de médiation pour la réalisation de la
liberté dans l’histoire, et encore moins toute forme de travail sur le réel. De
même que Hegel estimait que « l’histoire universelle n’est pas le lieu de la
félicité » et que « les périodes de bonheur y sont ses pages blanches »,
Bakounine souligne que la liberté « ne présente les plus grandes jouissances et
le bonheur le plus profond que par la voie des contradictions les plus
monstrueuses, des peines les plus amères et d’un renoncement à soi complet,
inconditionné ». Simplement, ces souffrances ne sont plus causées par des conflits
d’intérêt en vue de la liberté d’un Esprit qui est substance de l’histoire :
c’est la liberté des hommes elle-même qui réclame, sans ruse de la Raison,
de tels sacrifices. » (p.57)
« Dans
l’article de juin 1843, Bakounine estime :
C’est
le point commun de la philosophie avec le communisme ; les deux font effort
pour la libération des hommes ; mais là commence aussi leur différence
essentielle ; selon son essence, la philosophie est seulement théorique, elle
se meut et se développe uniquement à l’intérieur de la connaissance, le
communisme en revanche est, sous sa figure actuelle, seulement pratique.
Et
plus loin :
Sans
doute la pensée et l’action, la vérité et l’éthicité, la théorie et la praxis
sont-elles en dernière instance une seule et même essence inséparable ; sans
doute le plus grand mérite de la philosophie moderne consiste-t-il à avoir
conçu et connu cette unité, mais avec cette connaissance elle parvient à une
limite, une limite qu’elle ne peut franchir en tant que philosophie, car au-delà
de cette limite commence une essence plus élevée qu’elle – la communauté
effective des hommes libres, animée par l’amour et née de l’essence divine de
l’égalité originelle –, sa réalisation de ce côté qui constitue la propre
essence du christianisme, le véritable communisme. » (p.64)
« Plusieurs
aspects de son article font cependant songer que Bakounine avait en tête des
éléments de doctrine saint-simonienne : l’insistance sur la privation de
propriété et d’éducation, l’idée d’une hérédité de la misère, la nature
religieuse et même ecclésiale de la société future, elle-même envisagée comme
unité harmonique, la vision de l’histoire comme alternance de périodes
organiques et de périodes critiques sont autant de points de doctrine
saint-simonienne que Bakounine semble reprendre à son compte. » (p.66)
« Le
passage à la pratique semble plus problématique, d’où le mutisme qui est la
caractéristique principale du séjour de Bakounine en France entre 1844 et 1848,
période pour laquelle on ne dispose que de quelques lettres et articles de
circonstance. Ce vide dans l’œuvre de Bakounine ne manifeste pas tant un
activisme débordant qu’une difficulté à déterminer le terrain sur lequel agir.
Coupé de la Russie dont il est désormais banni, peinant à s’inscrire dans les mouvements
socialistes et communistes en France, le révolutionnaire russe apparaît plus
que jamais comme un rebelle sans cause. » (p.71)
« Ce
n’est pas en effet pour ses activités socialistes que Bakounine sera tenu
éloigné pendant douze ans de la scène politique européenne mais pour son
implication dans le « Printemps des peuples » de 1848-1849 en Allemagne et en
Autriche. Même après son évasion de Sibérie en 1861, Bakounine commencera par
s’intéresser à la question slave […] et ce n’est que vers 1864 que se rejoindront
d’une manière définitive la question sociale et les questions de
nationalité. » (pp.73-74)
-Jean-Christophe Angaut, Bakounine jeune hégélien. La philosophie et son dehors, ENS Lyon, édition numérique de 2014 (2007 pour la première édition), 110 pages.
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