mardi 5 mars 2024

Husserl, critique de Berkeley et Kant

"Dans la première phénoménologie, celle des Recherches logiques, l'empirisme est davantage une couche qui affleure dans les théories psychologiques du XIXe siècle, lorsque la phénoménologie de la fin s'arrache laborieusement aux analyses de Brentano, Meinong, Stumpf et d'autres. Après les Ideen, l'empirisme classique est approché pour lui-même et devient dans l'histoire du motif qui conduit à la phénoménologie transcendantale ce moment où est produite la critique radicale de l'expérience interne, critique qui ouvre le champ de la phénoménologie transcendantale, mais qui reste prévenue par son naturalisme sensualiste. Mais, que les préjugés empiristes par son naturalisme sensualiste de fournir une théorie satisfaisante empêchent le psychologisme des objets logiques, qui sont des formes idéales, ou qu'au contraire l'empirisme soit loué d'avoir affranchi la philosophie de l'objectivisme, sur la sphère d'immanence su reconnaître la structure en portant son attention de la conscience, sans cependant avoir du vécu, dans les deux cas, l'empirisme intentionnelle est pour Husserl un interlocuteur actif." (p.355)

"Berkeley, selon cette vue, actualise les tendances de la philosophie lockienne, qu'il s'agisse de la théorie de l'abstraction ou de la théorie immanente de l'idée ; par là même, il amorce le radicalisme de Hume, sans toutefois atteindre la rigueur critique de ce dernier." (p.356)

"Par sa critique du réalisme psychologique de Locke, Berkeley est la première des réseaux figure du nominalisme moderne qui, dans son principe, refuse les objets généraux en tant qu'espèces et les actes de représentation dans lesquels ces objets sont visés par la pensée.

La Seconde Recherche logique est principalement occupée par la réfutation des théories de l'abstraction, toutes empiristes, et elle s'attache à confirmer un résultat déjà acquis dans les analyses de la première recherche sur la signification : elle établit que l'idéalité des unités de signification, idéalité tenant au caractère d'identité reproductible de ces unités, peut être actualisée ; il est de l'essence même de toute unité de signification qui, dans les énoncés, porte la visée de l'objet, de pouvoir à son tour être visée comme telle, à titre d'espèce. Par une modification intentionnelle la conscience passe de la visée d'objets individuels instantanée, à la visée d'objets généraux. Par exemple, le moment « rouge », dans lequel je vise et pense cet objet individuel qu'est la maison rouge, peut devenir lui-même l'objet de la pensée, comme espèce « rouge ».

Ainsi, « les objets idéaux existent vraiment ». Ce ne sont assurément pas, en raison même de leur idéalité, des essences réelles existant hors de la pensée. Et Locke est fondé à combattre le réalisme platonicien qui traite métaphysiquement des essences. Cependant, dit Husserl, sa critique se trompe de cible : au lieu de dénoncer le réalisme de la métaphysique, Locke nie que les espèces soient des objets intentionnels que la conscience de généralité serait apte à poser hors d'elle, et il réduit les essences idéales à n'être qu'un contenu réel intérieur à la conscience, obtenu par un pouvoir psychique d'abstraction. Son naturalisme psychologique le conduit à réaliser dans la conscience les espèces, à ne point comprendre la structure intentionnelle des actes de conscience, et ainsi à manquer le caractère idéal des unités de signification et des formes logiques.

Berkeley conteste donc légitimement que les idées générales puissent être dans l'esprit. Mais il en conclut à tort que, puisqu'il n'y a pas d'idées générales dans l'esprit, il n'existe pas d'objets ou d'essences idéales. Dans sa critique de l'Essai, il conserve l'erreur fondamentale de Locke, qui consiste à traiter les espèces comme des réalités psychiques, comme des moments réels du contenu de la conscience : prouvant à juste titre que de tels moments réels ne peuvent être que des moments psychiques toujours particuliers, l'Introduction tire la fausse conséquence que, ne saisissant jamais que des idées particulières, la conscience est impuissante à viser la généralité comme telle, dans les espèces et les genres.

En un mot, Berkeley est aveugle au sens de sa propre critique, et, tout autant que le réalisme de Locke, son nominalisme hypostasie psychologiquement les unités de signification, interdisant ainsi qu'elles puissent être actualisées comme objets idéaux. C'est pourquoi, l'essentiel de la critique que Husserl adresse à Locke pourrait être répété contre Berkeley: d'une part, le même réalisme conduit à identifier l'idée et l'objet visé par la conscience, la différence entre les deux auteurs étant que ce qui est chez l'un une confusion chargée d'incertitudes devient chez l'autre la thèse affichée de l'immatérialisme d'autre part, et c'est là sans doute la faute originelle, tant Berkeley que Locke mêlent dans l'idée les caractères objectifs avec le contenu immanent qui constitue le noyau sensible de l'acte de représentation, et, par empirisme, ils entretiennent un sensualisme qui interdit que puisse être comprise la structure intentionnelle des vécus de conscience ; enfin, les deux philosophes se montrent incapables de distinguer le phénomène même, la représentation intuitive (l'idée comme apparaître) et la représentation  de signification dans laquelle se constitue la visée d'objet." (pp.357-358)

"Husserl cite le texte de l'Essai dans lequel Berkeley pense trouver, sous la forme d'un aveu de la part de Locke, la preuve que les idées abstraites n'existent pas, puisqu'elles sont contradictoires.

Locke déclare :

« Par exemple, ne faut-il pas de la peine et de l'habileté pour former l'idée générale de triangle (qui n'est pourtant pas l'une des plus abstraites, des plus compréhensives et des plus difficiles) : car ni elle ne doit être ni obliquangle, ni rectangle, ni équilatérale, ni isocèle, ni scalène, mais à la fois tout cela et rien de cela. En effet, c'est quelque chose d'imparfait qui ne peut exister, une idée dans laquelle des parties de plusieurs idées différentes et inconsistantes sont mises ensemble ».

Lorsqu'il reproduit ce texte, Berkeley se borne à faire valoir la contradiction d'une telle idée abstraite qui est à la fois tout et rien, et il fait appel à l'évidence que chaque esprit a de ses propres contenus et de ses pouvoirs.

De façon plus fine, Husserl suggère que Locke bute sur le problème du genre en tant que tel : il est de l'essence logique du genre d'être le genre de ses espèces, de sorte que, si dans la détermination en général n'est pas contenue la détermination du triangle qu'il soit obliquangle, rectangle... est bien contenue cependant la détermination qu'il ait l'une de ces propriétés spécifiques.

Locke pense se tirer d'affaire en posant qu'à cette idée abstraite dans l'esprit ne correspond aucun triangle général existant et que la contradiction est tolérable dans la mesure où elle est dans l'idée (imparfaite), et non dans la chose. Mais Berkeley a raison de souligner que la contradiction demeure dans l'idée, qui n'est pas moins réelle que la chose. Husserl confirme donc la critique berkeleyenne mais n'affranchit , pas pour autant celle-ci de la difficulté.

En effet, les embarras de Locke sont ceux d'un réalisme qui ne voit pas que, pensée logiquement, l'essence du triangle est une règle idéale valant a priori pour tout triangle réel. Or la solution de Berkeley, qui consiste à substituer l'idée particulière à l'idée générale, engendre un problème symétrique de celui de Locke. A l'aveu de l'Essai répond celui du § 16 de l'Introduction.

De ce que je puis démontrer qu'une propriété (par exemple, que la somme des angles est égale à deux droits) convient à un triangle (par exemple, isocèle), il ne s'ensuit pas qu'elle appartienne aux autres triangles particuliers, équilatéral, scalène..., qui ne lui sont pas parfaitement identiques.

Ne suis-je pas condamné ou bien à faire la démonstration pour chaque triangle ou bien à la faire une fois pour toutes, mais alors pour l'idée abstraite du triangle en général ? Pour se tirer du dilemme Berkeley est contraint de concéder un certain pouvoir d'abstraire: le caractère universel de la démonstration tient à ce qu'elle n'utilise que la propriété du triangle donné (particulier) qui lui est indispensable. L'esprit a la capacité de considérer la seule triangularité dans le triangle isocèle, propriété qui appartient aussi aux autres triangles, et ainsi de restreindre intellectuellement le champ plus large de sa perception.

Husserl, qui cite intégralement le § 16, n'a pas de peine à montrer que, pour éviter d'accorder à Locke le pouvoir d'abstraire une idée générale, le « génial évêque de Cloyne » doit attribuer à l'esprit un pouvoir, tout aussi psychique, de ne point considérer tout ce qu'il perçoit. Cette concession fait de Berkeley l'ancêtre de J. Stuart Mill et des théories de l'attention qui prétendent résoudre la question de l'abstraction en faisant appel à la fonction analytique de l'attention : cette faculté distinguerait dans les concreta un caractère particulier, de telle façon que, par l'intérêt exclusif qu'elle lui porte, elle le ferait valoir d'une façon générale.

Or, ajoute Husserl, quand bien même on accorderait à l'entendement un tel pouvoir de séparation (mais comment l'esprit peut-il, dans la doctrine berkeleyenne, séparer la triangulante de la longueur des côtés ou de la mesure des angles ?), il reste que le caractère distingué est tout aussi particulier que la figure donnée et qu'on ne voit pas comment il peut être pris, du seul fait de l'attention qu'on lui porte, pour les caractères particuliers analogues des autres figures.

La difficulté demeure entière : une partie d'idée particulière, pas plus que le tout complexe de cette idée, ne peut être l'objet de la démonstration géométrique.

C'est pourquoi, contre l'empirisme, il faut admettre que tout raisonnement repose sur une conscience de généralité qui vise intentionnellement des objets idéaux, les espèces, les genres et leurs propriétés, lesquels objets prescrivent a priori les distinctions et les séparations auxquelles la conscience peut soumettre les choses réelles particulières." (pp.359-361)

-Michel Malherbe, "Husserl critique de Berkeley", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 176, No. 3, BERKELEY (JUILLET-SEPTEMBRE 1986), pp. 355-366.

 

"L'idéal d'une philosophie rigoureuse, en qui toute ontologie (ou axiologie) est reconduite à ses sources ultimes de légitimité, aux expériences originaires et fondamentales, le projet donc d'une « philosophie transcendantale », rencontre comme objection immédiate le dédoublement de celle-ci en au moins deux « styles », deux conceptions et deux modes de réalisation : « Critique » et « phénoménologique ».

Qui prend au sérieux l'idéal et le projet doit affronter cette objection sceptique. Faut-il choisir entre les deux styles, abandonner résolument l'un pour s'adonner exclusivement à l'autre ? Ou tenter une médiation, qui, sans éclectisme (mais toute la difficulté est là) combinerait les avantages des deux méthodes ?" (p.527)

"On peut voir une tentative de ce genre dans la Philosophie des formes symboliques de Cassirer, qui tout en restant pour l'essentiel sur la position critique (le Factum de la science demeure le point d'appui et le point d'ancrage de la Philosophie), réintroduit des thèmes phénoménologiques (généalogie des formes de conscience corrélatives des formes d'objectivité, au sens le plus large). Que Cassirer lui-même, dans la préface du tome III, préfère évoquer le sens hégélien plutôt que le sens husserlien du mot Phénoménologie ne change rien à l'affaire." (note 1 p.527)

"Husserl qualifiera sa philosophie comme « Idéalisme-transcendantal-phénoménologique »." (p.529)

"Chez Brentano, le terme désignait seulement la méthode de la psychologie descriptive, dite aussi pour cette raison, « phénoménologique », préambule nécessaire de la psychologie explicative. Chez Husserl, dès 1901, il s'agit d'une méthode plus générale d'étude, « neutre », préparant à la fois la Logique et la Psychologie, en tirant au clair leurs fondements ; puis, à partir des Leçons de 1907 sur L'idée de la phénoménologie, d'une méthode universelle, de la Méthode par excellence de la Science universelle, la Philosophie." (p.530)

"Il faut, en effet, se souvenir ici que Husserl a fait ses premiers pas en philosophie sous l'influence de Brentano et à l'intérieur de son cercle, dont il partage pour un temps les prises de position polémiques. Or, parmi celles-ci, aucune n'était plus marquée qu'un anti-kantisme virulent. Nul, pas même Hegel, pas même Bergson ne fut plus dur pour Kant que Brentano. « Théories absurdes » « confusion de pensée », « arbitraire », ce sont là chez lui des expressions fréquentes à ce sujet. Plus précisément, on sait que pour Brentano, la philosophie a déjà, à trois reprises (dans l'Antiquité, au Moyen Age, et dans les Temps modernes), traversé quatre phases : celle de la recherche théorique sérieuse, « scientifique », puis trois phases de décadence : repli sur une sagesse pratique, abandon au scepticisme et au subjectivisme, enfin réaction mystique. Dans ce schéma, Kant représente éminemment la troisième phase moderne. Il inaugure même (avec Reid !), le début d'un type anti naturel, aberrant, de philosophie, qui substitue des affirmations arbitraires, des convictions subjectives, des préjugés, aux évidences objectives (Einsichten). D'où les extravagances d'un Schelling, d'un Hegel, d'un Schopenhauer, d'un Nietzsche. Aux fruits, on peut juger l'arbre." (pp.531-532)

"La version du kantisme que pourfendait Brentano, c'était, à peu de choses près, celle que Lange défendait, dans la première édition de son Histoire du matérialisme, en en faisant honneur à Kant : tous les « phénomènes », toutes nos expériences, et, par suite, toutes nos connaissances ne sont que les produits, contingents en droit, nécessaires en fait, de notre « organisation mentale » innée. A priori et inné sont synonymes pour Brentano comme pour Lange. Or, ce fut précisément une des tâches historiques de Hermann Cohen et de l' « École de Marbourg », fondée par lui, que de dissocier soigneusement ces deux notions, en permettant ainsi une nouvelle compréhension du kantisme. Lange reconnaîtra la valeur de cet effort, dont il tient compte dans la réédition de son ouvrage4. Mais Brentano n'en tiendra jamais compte, ni ses disciples, à l'exception de Husserl, et ce grâce aux relations épistolaires et amicales qu'il entretint avec Natorp, depuis 1894 environ jusqu'à la mort de ce dernier, en 1924." (p.532)

" [Husserl] ne reviendra jamais sur l'anti-hégélianisme brentanien, très général du reste en Allemagne entre 1860 et 1900." (p.533)

" [En 1937] , à un moment où Descartes est particulièrement décrié en Allemagne (au moins en partie pour des motifs politiques évidents), Husserl insistera au contraire, comme par compensation, sur la nécessité de « mesurer Kant à Descartes »." (p.537)

"Que la Philosophie doive être Science (le soit dans son Idée), c'est là un thème que l'on trouve aussi chez des penseurs tels que Spinoza ou Hegel, avec lesquels Husserl estime n'avoir rien de commun. Le second point fondamental d'accord avec Kant, c'est sur la nécessité d'édifier une philosophie transcendantale, véritablement première, avant toute « Métaphysique », qui n'est au mieux que philosophie seconde.

[...] La condition de la condition, le fondement de la théorie transcendantale de la connaissance, qui seule peut tirer au clair et garantir le sens de la vérité, présupposée par toute ontologie, c'est ce « renversement de la manière naturelle de penser » que Kant a nommé révolution copernicienne, et Husserl réduction phénoménologique (et qui n'était pour Brentano qu'une « hypothèse inouïe », au sens péjoratif du terme). Il s'agit de faire apparaître comme constitué ce qui se  présente comme simplement là, donné, sans problème, dans l'optique « naturelle », toute naturelle, et par là même de dégager un terrain de recherches radicales, une couche de problèmes insoupçonnés par ailleurs, véritablement « inouïs », au sens étymologique.

Enfin, non seulement Kant a formé le projet de telles recherches (ce qui n'est pas peu), mais il a commencé à en entreprendre effectivement un certain nombre, et il a fait certaines découvertes capitales. Citons notamment : 1) La distinction fondamentale, à l'intérieur de la sphère transcendantale, des deux domaines de l'Esthétique et de l'Analytique ; 2) La théorie de la Synthèse, qui est déjà une analyse authentique de l'intentionalité constituante ; 3) Plus spécialement, la fameuse Déduction dite subjective de la première édition de la Critique, sur laquelle l'attention de Husserl fut attirée par l'Introduction à la psychologie selon la méthode critique de Natorp, et où il voyait par excellence une anticipation de facto de l'analyse phénoménologique (de la constitution à la fois de la temporalité et de la chose perçue, ou même de l'objet en général) ; il en va de même pour les preuves des Principes et plus spécialement des Analogies ; 4) L'idéation de la temporalité (la saisie de son essence) sous le terme d' « intuition pure » ; 5) L'Idée directrice d'une téléologie de l'histoire, nécessaire pour défendre les droits de la raison contre l'historicisme qui nivelle toutes les formes de culture, rationnelles et  irrationnelles." (pp.534-535)

"Toutes les présuppositions inéclaircies de la philosophie classique devraient être mises en cause, mais Kant laisse pratiquement hors jeu : 1) le monde quotidien de l'action et de la perception, et par suite les jugements synthétiques a posteriori (dont le problème apparaît bien en fait dans l'Analytique, mais qui est écarté dans l'Introduction) ; 2) la multiplicité des sujets constituants (le domaine de l'intersubjectivité transcendantale) ; 3) les jugements analytiques et la logique formelle, dont la valeur est à la fois rabaissée et admise comme allant de soi 4) De plus, si Kant s'interroge sur les conditions de possibilité de la science de son temps, il reste trop attaché à celle-ci (reproche classique). Passe encore qu'il ne soumette pas à sa problématique les « sciences de l'esprit », encore dans les limbes, mais de quel droit limiter en fait la connaissance à la science, et même au type de science illustré par Newton, de restreindre à celui-ci le domaine et le concept de l' « Expérience » (Erfahrung). A rencontre des métaphysiciens (plus précisément wolffiens), il n'accepte de reconnaître un concept comme légitime que s'il est rapporté à l'« expérience possible ». Fort bien. Mais il n'a jamais soumis ce dernier concept lui-même à un examen critique systématique, se contentant d'ajouter successivement de nouveaux types d'expérience (perceptive et physique, puis éthique, puis esthétique, juridique, etc.), à mesure qu'il pensait y détecter quelque a priori. Mais si on le prend au mot, si on suit la règle kantienne majeure, à quelle expérience rapportera-t-on le concept d'expérience ? N'est-ce pas à partir de cette expérience primordiale, ou plus exactement d'un type d'expérience primordiale, et sur ce type même, que doit porter d'abord la recherche transcendantale ?" (pp.536-537)

"Kant n'a pas réussi à [dégager la notion d'a priori] de toute contamination avec celle d'innéité, en apparence voisine (mais c'est une apparence trompeuse et désastreuse). Son prétendu a priori n'est qu'une nécessité de fait, une nécessité contingente de la pensée humaine. Au lieu de désigner ce que toute conscience, humaine ou autre, par essence, doit penser [...] si elle veut penser vrai, il est ravalé au niveau de ce que nous sommes contraints de penser." (p.539)

"Si la vérité a un sens, elle a le même sens pour toute conscience qui la pense, humaine, martienne, angélique, divine ou ce qu'on voudra. Sur ce point pour lui décisif, véritablement crucial, Husserl se range délibérément aux côtés de Platon, et Bolzano, contre Descartes et Kant ; c'est la thèse que l'on trouve dès les Recherches logiques avec la notion de « vérité en soi ». L'a priori n'est pas un caractère de la connaissance, qui pourrait donc appartenir à telle connaissance, par exemple divine, et manquer à telle autre, par exemple humaine ; ainsi les mêmes vérités seraient de raison (a priori) pour Dieu, et « de fait » (a posteriori) pour l'homme. Une connaissance a priori est à proprement parler une connaissance de l'a priori, d'une essence ou d'une loi d'essence (je connais a priori que toute couleur est étendue, car il appartient à l'essence de la couleur de l'être)." (p.540)

" [La chose en soi reste] un au-delà de l'expérience, réelle et même possible, dont la justification est rudimentaire : il n'y a pas d'apparition sans Quelque chose qui apparaît. L'argument ne vaut que si les ponts ne sont pas coupés entre l'une et l'autre, que si c'est bien la Chose même qui apparaît d'une certaine manière, très variable selon les cas, dans l'apparition. Mais elle relève alors, quoique de façon plus complexe, des lois générales, des lois d'essence, qui régissent toute apparition." (p.543)

"Kant s'est demandé, à fort juste titre, contre un dogmatisme somnolent : comment la Métaphysique est-elle seulement possible ? Il ne s'est pas systématiquement demandé : comment la Philosophie transcendantale est-elle possible ? Sans doute elle ne relève que d'elle-même ; c'est là sa définition réelle, son essence, en tant que réflexion ultime. Elle seule peut se mettre en question ; encore faut-il qu'elle le fasse, par une auto-critique permanente et radicale." (p.544)

-Henri Dussort, "Husserl juge de Kant", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 149 (1959), pp. 527-544.

1 commentaire:


  1. Hum… Oui, après ce n’est pas le même contexte. Kant a œuvré dans un contexte marqué par une conception dogmatique de la science, un monde dans lequel le modèle newtonien était dominant. Ce n’était plus du tout le même paradigme à l’époque d’Husserl. Pour un profane comme moi, la réflexion de M. Dussort manque quand même un peu de sens historique, elle place toutes les pensées sur le même plan comme s’il n’y avait pas un minimum de travail de généalogie et de contextualisation à faire…

    RépondreSupprimer