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Manuel Dominguez Sanchez, La mort de Sénèque, 1871 |
« Qui pourrait méconnaître ici le funeste pouvoir de cette effervescence d'impiété, de cette doctrine abjecte de matérialisme, qui nous ravale au rang des brutes, et nous apprend que l'homme n'étant plus qu'une plante ou une machine, sa vie n'est plus qu'un jeu, dont il peut disposer au gré de ses caprices ? » (p.VI)
« M. l'évèque de Maroc [...] prend ouvertement la défense des anciennes lois pénales contre le meurtre volontaire. » (p.XXXIII)
"Helvétius [...] n'a pas rougi de nous donner la
mort de Caton comme le comble des vertus humaines." (p.LI)
-G. Armellino et M. L.-F. Guérin, préface à Appiano
Buonafede, Histoire critique et philosophique du suicide, Paris,
Debécourt, 1843, 460 pages.
« Cette métaphore [l'organicisme] est très
ancienne ; elle imprégnait la pensée politique à la fin du Moyen Age.
Cependant, la façon dont Southcote formulait cette vieille idée -"il est
incorporé à eux et eux à lui"- fait directement allusion à la théorie
politico-ecclésiologique du corpus mysticum [corps mystique] citée
effectivement avec grande insistance par le juge Brown dans l'affaire Hales
contre Petit. Dans cette affaire, le tribunal s'intéressait aux conséquences
légales d'un suicide, que les juges tentaient de définir comme un acte de "félonie".
Lord Dyer, Chief Justice, y souligna que le suicide était un crime triple:
c'était un crime contre la nature, puisqu'il va à l'encontre de la loi de
l'autopréservation ; c'était un crime contre Dieu, puisque c'est une violation
du sixième commandement ; enfin, c'était un crime "contre le Roi, puisque
par cette action, le Roi a perdu un sujet, et (dans les propres termes de
Brown), le Roi qui est à la tête a perdu un de ses Membres mystiques". »
-Ernst Kantorowicz, Les deux corps du Roi.
Essai sur la théologie politique au Moyen Age, in Œuvres,
Gallimard, coll. Quarto, 2000, 1369 pages, pp.643-1222.
« Gauthier soutient que ce que Hobbes dit du suicide
est une tentative invraisemblable de sauver une psychologie manifestement
défectueuse, résumée par Gauthier dans l'affirmation « que les hommes sont
nécessairement des machines qui se maintiennent elles-mêmes, que
l'auto-préservation est un motif nécessaire et fondamental de l'action humaine
». Gauthier pense qu'il y a des failles dans les prémisses de Hobbes, et qu'en
outre, il y a des doctrines véritablement incohérentes chez Hobbes. C'est sans
doute vrai, mais je soutiendrai que ce n'est pas vrai en ce qui concerne ce que
Hobbes dit de l'autoconservation et du suicide. Sur ces questions, ce qu'il dit
est au moins très plausible, et certainement pas contradictoire. Si quelque
chose est suspect, c'est la lecture que Gauthier fait de la psychologie de
Hobbes ». (pp.26-27)
« L'évitement de la mort chez les êtres humains semble
avoir le même statut ontologique que la gravité. Notre peur de la mort, « le
terrible ennemi de la nature » (EL., 71), est en partie une peur de « la
plus grande des douleurs corporelles dans la perte » de nos vies. Cette
peur est assez naturelle, mais Hobbes ne suggère jamais qu'elle est toujours
justifiée. En effet, l'aveu de Hobbes à son médecin français Guy Patin, selon
lequel il préférerait mourir plutôt que d'éprouver à nouveau les douleurs liées
au passage de calculs rénaux, tend à démontrer que certains décès ne doivent
pas nécessairement s'accompagner de souffrances atroces, alors que certains
épisodes de maladie suivis d'une guérison le sont. Si l'on mettait en parallèle
la citation ci-dessus du De Cive et une autre tirée du même ouvrage : « De
deux maux, il est impossible de ne pas choisir le moindre » (EW., II, 26),
on pourrait alors conclure que la mort serait toujours le moindre des maux dans
une situation de choix des maux qui inclurait la mort comme option. Je
considère donc que ces deux passages constituent un noyau logique pour le point
de vue selon lequel les hommes hobbesiens sont ainsi construits qu'ils
éviteront toujours -lorsqu'ils sont en bon ordre de marche- la mort et
chercheront à se préserver ». (p.28)
« Pour Gauthier, qui prend le matérialisme de Hobbes
très au sérieux, le fait que les hommes hobbesiens soient des « moteurs
nécessairement auto-entretenus » est une conséquence de la manière dont
Hobbes établit sa théorie du mécanisme de base de l'appétit/aversion chez les
êtres sensibles. En conséquence, Gauthier considère que tout écart par rapport
à cette doctrine matérialiste/égoïste centrale indique que la psychologie de
Hobbes est défectueuse. En particulier, il cite des exemples dans Hobbes où il
est clair que les gens choisissent la mort plutôt que de vivre déshonorés, de
subir des calomnies ou de survivre par des moyens moins qu'honnêtes. [...] Il
s'agit de cas où des personnes saines d'esprit démontrent que la mort n'est
pas toujours le pire des maux. Si ces cas ne relèvent pas de l'explication
des motivations fondamentales de Hobbes, alors son explication des motivations
fondamentales est trop étroite et il est probable que d'autres cas seront
déformés lorsque Hobbes essaiera de les faire entrer dans le lit de procruste
de sa psychologie. » (p.29)
« Dans son De Homine (1658) -un
ouvrage que je ne suis pas le seul à considérer comme l'exposé définitif de la
psychologie de Hobbes- il est affirmé sans équivoque que si la conservation est
le plus grand des biens et la mort le plus grand de tous les maux, les circonstances
dicteront parfois que la mort soit comptée parmi les biens [...].
Une fois que la mort est acceptée comme le moins pire
des deux maux, et même une fois que les différentes morts possibles sont mises
en parallèle, il est évident que les hommes qui se soucient de leur
bien-être feront parfois le choix rationnel du suicide. Ainsi,
indépendamment du fait que la mort reste le « plus grand de tous les maux
», Hobbes ne considère pas cette affirmation comme incompatible avec le fait
que certaines morts puissent être conçues comme bonnes à la lumière des
circonstances.
Et bien sûr, l'œuvre de Hobbes regorge d'exemples où
il est prudent de choisir la mort plutôt que de risquer la damnation, ou de
mourir plutôt que de plier le genou devant un conquérant qui s'avance [...] En
fait, le conflit entre l'Église et l'État est caractérisé par Hobbes comme un
conflit entre la double menace de la « peine de mort » d'une part et de la «
peine de damnation » d'autre part [...] Si les deux menaces ne sont pas
fusionnées en une seule, le pouvoir souverain sera incomplet.
Sommes-nous en présence d'une contradiction totale ?
(pp.28-29)
« L'autoconservation est presque toujours un motif
dominant, mais l'action est guidée par notre opinion de ce qui est bon et
rien n'est bon en soi ou mauvais en soi. Cependant, le mécanisme de motivation
hobbesien repose sur une base d'appétit et d'aversion qui régit le comportement
de tous les êtres sensibles et, si l'on fait abstraction des
dysfonctionnements, il ne vise qu'à orienter l'action vers ce qui est conçu
comme bon sous une dénomination ou une autre. Si nous confondons ce mécanisme
de base de la sensibilité avec le rôle motivant des opinions sur ce qui est
désirable, nous aboutissons à la position de Gathier sur la psychologie
hobbesienne. Si nous les séparons, une grande partie de ce que Hobbes dit sur
l'honneur, la damnation et le suicide ne semble pas du tout aberrant.
Mais une fois Hobbes libéré de cet amalgame, que
peut-il nous dire sur le suicide ? Tout d'abord, et à partir du Dialogue, on
peut supposer que la haine de soi ou la méchanceté autodirigée sont des raisons
possibles d'un suicide, mais des raisons qui plaident en faveur d'un état
délirant. Dans le cadre de la description de la folie par Hobbes, elles
sont susceptibles de survenir à la suite d'un « grand abattement d'esprit
» (EW., III, 62) ou d'une « peur sans cause » (ibid.). Il est
intéressant de noter que lorsque Hobbes décrit une crise de folie qui s'est
emparée des jeunes femmes d'une cité grecque -et qui les a conduites à se
pendre- il parle de leur état comme d'un « mépris de la vie » [...]
Hobbes a donc une théorie qui peut aller un peu plus loin que le simple rejet
de la possibilité que quelqu'un puisse embrasser le mal. Et permettez-moi
d'ajouter qu'en invoquant la mélancolie ou la grande déprime (parfois la vaine
déprime) comme condition préalable au suicide, Hobbes n'est pas plus mal loti
que la plupart des psychiatres modernes qui considèrent qu'une maladie
dépressive est la condition préalable. Deuxièmement, la façon dont Hobbes
construit le passage du Dialogue vise clairement à démontrer que le
suicide ne devrait pas être considéré comme un crime, pour des raisons à la
fois conceptuelles et pragmatiques. Hobbes soutient donc la
décriminalisation du suicide et de la tentative de suicide en insinuant la
présomption d'aliénation mentale. ». (p.32)
-Brian Stoffell, "Hobbes on Self-Preservation and Suicide", Hobbes Studies, vol IV, 1991, pp.26-33.
PS: édité le 5 avril 2025.
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