Éditorial publié dans La Nation socialiste, n°57, juillet-août 1962.
« Quand nos lecteurs recevront ce numéro,
l’indépendance de l’Algérie sera chose acquise, légalement,
« démocratiquement » et vraisemblablement à une énorme majorité des
suffrages exprimés. Nous autres, à la Nation Socialiste, qui avons
toujours préconisé cette solution du bon sens et de la nécessité et qui, depuis
sept ans, réclamons cette prise en mains par le peuple d’Algérie de son propre
destin, nous ne pouvons que nous réjouir. Mais pourquoi, à l’heure où tout
semble prêt pour les grandes fêtes de la liberté et les vastes entreprises d’un
État jeune, ne pouvons-nous nous empêcher d’une certaine amertume et de
beaucoup d’inquiétude ?
Certes, dans la confusion présente à l’heure où nous
écrivons, devant la contradiction des nouvelles qui nous parviennent, la
surprise que provoquent les alliances les plus surprenantes, la surenchère
toute électorale des partis et de la presse qui les représente, la persistance
des assassinats, attentats, règlements de compte, chantages, mises en demeure,
menaces, jugements sommaires, plus nombreux, plus cruels d’un côté comme de
l’autre que nos informateurs officiels veulent bien le dire, le jeu
machiavélique de ceux qui en France croient tirer les ficelles des forces là-bas
en présence mais dont la seule ambition est de renverser à droite comme à
gauche celui qui gouverne ici, il est difficile de garder un jugement clair.
D’ores et déjà cependant, nous nous permettons de
mettre en garde les tenants du nouvel État Algérien contre certaines maladies
infantiles qui le menacent.
Que des accords soient réalisés en dehors de ceux –
les seuls légaux et authentiques – qui ont été signés à Evian, que ces accords
se soient révélés nécessaires dans un monde où il suffit d’assassiner,
d’incendier des docks ou des bibliothèques, de liquider des groupes d’hommes ou
de femmes à la seule vue de leur faciès pour devenir un « interlocuteur
valable » et obtenir le droit de siéger dans les conseils du futur État,
c’est de bonne guerre. C’est bon, puisque l’on tue moins.
Mais que les futurs dirigeants de l’Algérie, si
soucieux pour le moment de leur pureté révolutionnaire, ne se fassent pas
beaucoup d’illusion. Ils auront été trompés, dans leur ambition et dans leurs
erreurs, par ceux-là mêmes qu’ils considéraient comme leurs plus sûrs soutiens
en France. Le rôle d’un Mitterrand au cours du procès Salan, la hargne
démagogique d’un Servan-Schreiber à chacun de ses éditoriaux de l’Express,
la surenchère chronique du Parti Communiste qui ne cherche qu’à récupérer
là-bas son ancien fief de Bab-el-Oued, toutes ces collusions bizarres
auxquelles nous assistons depuis des mois laissent apparaître désormais au
grand jour qu’une certaine gauche française, dans sa haine de de Gaulle,
aura été jusqu’au bout le plus sûr soutien de l’O.A.S.
Nous en sommes là.
Pour vous, oublierez-vous si vite qu’il y a quinze
jours à peine, des Musulmans étaient lynchés par des foules hurlantes,
condamnés sans recours à l’écartèlement par l’explosion de voitures piégées,
que ces jours-ci encore, certains ont été arrachés à leur famille, exécutés
sans appel parce qu’ils aimaient la liberté, que des officiers et des soldats
de la République française ont été abattus en pleine rue, que le général
Ginestet a fini par succomber, sans avocats pour le défendre, sans sursis, sans
espoir de non-lieu, ni de circonstances atténuantes, sous les balles O.A.S.
alors que toute une presse pleure des larmes de crocodile sur un Jouhaud ou un
Salan, qui eux sont encore en vie. Il fallait vraiment qu’ils aient un bien
grand désir d’éviter que le sang coulât plus longtemps encore dans leur chère
patrie, ou peut-être de bien gros intérêts à débattre, pour qu’un Farès et un
Susini, un Mostefai et un Chevallier aient accepté de dîner ensemble à Alger.
Ils l’ont fait, et c’est bien. Mais que dire des
accords qui entre eux ont été passés ? Sans doute resteront-ils aussi secrets
pour le public que ceux d’Evian dont vraisemblablement nous ne connaissons pas
tout. Car comment expliquer autrement ces éliminations successives auxquelles
nous assistons, après chaque nouvelles rencontres, comme si chaque fois un gang
mieux équipé, implacable, venait de faire alliance avec son plus proche
concurrent sur le dos des formations moins puissantes ?
Pendant des mois, autour d’Evian, on nous a rebattu
les oreilles des garanties aux minorités.
Ces garanties étaient-elles si mal assurées pour que
près de deux cent mille Européens depuis le début du moins de juin se soient
cru obligés de gagner la France, sans compter ceux qui, nombreux, ont gagné
selon leurs origines, l’Espagne ou l’Italie, pour que de nouveaux accords
secrets aient dû être signés entre les pires ennemis, compromettant pour un
temps l’essor social et politique du jeune État ?
Et que dire de la façon dont a été menée la campagne
pour l’autodétermination ! Certes, les jeux étaient faits et la victoire du
« oui » était assurée. Alors pourquoi n’avoir pas observé les règles
élémentaires de la démocratie ? Ceux qui pendant tant d’années ont dénoncé le
truquage des élections en Algérie, élèvent-ils la voix aujourd’hui contre la
façon dont on a fait voter les illettrés, les méthodes pour le moins bizarre du
vote par correspondance et surtout l’élimination du P.P.A. de la campagne
officielle ?
Pour nous, ce n’est pas ainsi que nous imaginons la démocratie. »
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