mardi 7 février 2023

Éloge d’un squat qui serait communiste

Sachez bien, vous mes lecteurs, que je n’ai jamais été squatteur, ni jamais n’ai-je vu mes biens immobiliers squattés. Dans cette affaire je ne suis pas de parti-pris. Sans nulle neutralité qui n’appartient qu’au néant, mon éloge s’efforcera de toucher à une certaine objectivité. Au fond des choses.

Comme tout ce qu’on peut relier aux pauvres, le squat et les squatteurs n’ont pas bonne réputation.

Mais il faut distinguer.

Le squat est l’occupation sans droit ni titre d’un lieu à des fins d’habitation. Un locataire dont le contrat a expiré n’est pas un squatteur selon cette définition.

De cette définition s’ensuit premièrement qu’il n’entre pas dans l’essence de la pratique du squat que d’être faite contre la volonté du propriétaire légal d’un lieu. Celui-ci peut simplement ne peut être au courant. Il n’entre pas non plus dans l’essence du squat d’impliquer de la violence, s’il l’on entend par violence le fait de nuire à l’intégrité physique ou morale d’une personne.

On imagine volontiers le squatteur comme un voyou, un bandit, un voleur, un paresseux, un parasite, ennemi de la société et du bien public ! On imagine aussi qu’il menacerait notre vie privée en risquant de s’accaparer notre domicile suite à une intrusion brusque. On voudrait donc conclure tout de suite que la légitimation du squat mènerait la société au chaos et au désordre.

Mais il y a loin du squat tel qu’on l’imagine à la réalité effective de la chose.

D’abord, le squat sous forme d’occupation du domicile d’autrui est presque inexistant.

L’écrasante majorité des squats sont en fait des bâtiments laissés vides depuis des mois ou des années. Leur fonction d’origine n’était souvent pas de servir de logement.

Enfin, que l’on entende bien que nous ne faisons pas ici un éloge du squat en général, mais du squat en tant qu’il relève d’une logique communiste.

Le communisme est une idée très mal comprise et qui réclamerait sans doute un éloge à lui tout seul.

Par communisme on doit entendre, premièrement, une forme d’organisation sociale fondée sur l’abolition de la propriété privée (et de ses potentialités lucrative) au profit de la propriété d’usage (ou possession). En un sens second, on entendra par communisme une idéologie politique qui prône de conformer la législation publique d’un Etat au mode d’organisation susmentionné.

Un bien est une propriété privée lorsqu’une personne physique ou morale possède un droit exclusif et absolu sur celui-ci. Il peut aussi bien en jouir (usus), qu’en tirer un profit par sa location (fructus), ou encore le détruire à sa guise (abusus).

Un bien est réglé selon la propriété d’usage lorsqu’il n’est possédé que parce qu’il est effectivement utilisé par son propriétaire. La propriété d’usage (ou possession) abolit la dimension lucrative de la propriété telle que nous la connaissons dans la société capitaliste. C’est une institution communautaire et fraternelle. Elle subordonne le droit qu’à l’individu de s’approprier des choses aux besoins sociaux de la communauté politique. La propriété capitaliste tolère que l’on détruise de la nourriture pour en priver les sans-abris. La propriété d’usage ne le souffre pas.

Le passage à la propriété d’usage, c’est-à-dire au communisme, est pleinement compatible avec la majorité des formes de squats, qui n’occupent pas des lieux effectivement utilisés (comme les domiciles, qui de toute façon ne sont d’ores et déjà pratiquement jamais squattés).

Le squat d’espaces réellement abandonnés à des fins d’usage non-lucratif est une pratique communiste. Et il est digne d’éloges.

Le squat-qui-serait-communiste (SSC) est utile au bien commun de la société. Il répond à des besoin sociaux non-pourvus. Il donne des toits et des foyers à ceux qui n’en ont pas. Il donne à  des personnes qui en étaient privées de l’intimité, de la chaleur, un territoire, de la prévisibilité, de la sécurité, des repères dans le monde. Il participe à la formation de l’identité sociale des personnes et à leur réhabilitation.

Il fait que des corps déterminés souffrent moins. Il accroît le bien-être des citoyens.

Accroître le bien-être physique et mental des citoyens participe du bien commun. Du bonheur de tous.

De plus, le squat est une pratique des marges. Une marge, c’est ce sur quoi on n’a pas encore écrit. C’est un territoire qui comporte une charge de devenir. C’est un lieu créatif. Quand des gens forment un squat, on ne sait pas ce que ça va devenir. Il y a des squats qui deviennent des lieux de rencontres et de débats, des ateliers de peinture, des bibliothèques, des lieux de réunions politiques, des magasins gratuits. Il y a des squats où on crée des potagers.

Plutôt que de rester à moisir dans l’abandon, un SSC est un lieu qui s’enrichit.

Ces raisons font que les sociétés acceptant l’existence de squats-qui-seraient-communistes sont meilleures. Des sociétés plus civilisées. Plus joyeuses.

Le SSC n’améliore pas seulement la société humaine. Il améliore d’abord ce bâtiment-là. Il fait quelque chose de ce dont le propriétaire ne faisait rien. Il répare, restaure, retape. Il consolide. Il repense le coin. Il chasse l’humidité qui s’infiltre. Il fait quelque chose de l’humidité qui reste.

Plutôt que de rester à moisir dans l’abandon, un SSC est un lieu qui s’embellit. Dont on prend soin.

C’est un lieu dont l’être s’intensifie. Entre en résonance avec d’autres. Le SSC participe à l’intensification du devenir de l’univers. Il participe de l’aventure et du mouvement de l’Etre.

Le squat c’est ce qui résiste à la mort, à la honte, à l’oubli. C’est un lieu de vie.

Il faudrait avoir le cœur bien froid pour ne pas se réjouir qu’existent des squats.

Si cet éloge vous a choqué, demandez-vous à quoi ressemble l’époque et la société qui l’ont rendu nécessaire.

1 commentaire:

  1. Certes ! Des arguments bien recevables. Malgré tout, la perspective me paraît un peu étroite, il s’agit somme toute d’un problème très ponctuel, et vous pointez bien cela dans votre dernière phrase : les véritables enjeux, les véritables problèmes sont bien plus vastes.

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