Héritage de la Révolution de 1789, le jury populaire de cour d’assises, symbole éclatant de la démocratie en matière judiciaire, doit être défendu et préservé. Il est pourtant menacé par la généralisation des cours criminelles départementales (CCD) fixée au 1er janvier 2023, puisque ces nouvelles juridictions, exclusivement composées de magistrats professionnels (cinq au total), remplaceront le jury populaire dans 57% des affaires qui lui revenaient jusqu’alors. La participation citoyenne à la justice criminelle deviendra ainsi minoritaire, ce qui constitue un recul démocratique sans précédent pour notre pays.
Plusieurs raisons essentielles justifient la préservation du jury populaire. Tout d’abord, le jury est un outil politique au service de la liberté, car dans l’hypothèse où la justice deviendrait inique, il permettrait aux citoyens d’endiguer les excès judiciaires.
Ensuite, le jury est un vecteur d’humanité, puisque sa participation repose sur le principe d’oralité des débats, qui oblige les acteurs du procès à faire montre de pédagogie pour expliquer aux jurés les circonstances de l’espèce et ses implications juridiques, ce qui génère un effet cathartique dont les bienfaits dépassent les enjeux strictement juridiques du procès et participent à la reconstruction du lien social.
Enfin, le jury représente est un instrument au service de la citoyenneté. Comme l’écrivait Alexis de Tocqueville dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, le jury « sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit des juges ; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre ». De ce point de vue, la participation des jurés à la justice criminelle constitue une expérience démocratique qui modifie leur place en tant que citoyen. À l’heure où le rapport conclusif des Etats généraux de la justice plaide pour un rapprochement des citoyens et de leur justice, réduire l’un des derniers espaces de démocratie participative en matière judiciaire semble particulièrement malvenu.
En outre, même en quittant le terrain des principes, les premiers retours d’expériences des cours criminelles départementales sont calamiteux. En résumé, les promoteurs des CCD visaient trois objectifs : dé-correctionnaliser (notamment en évitant que des viols soient requalifiés en agressions sexuelles), gagner du temps et faire des économies). Or, le rapport du comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementales, daté d’octobre 2022, révèle qu’aucune de ces promesses n’est tenue.
Premièrement, aucune dé-correctionnalisation n'a pu être mesurée. Il s’agissait pourtant du principal pilier de la réforme.
Deuxièmement, le délai d'audiencement de 6 mois fixé par la loi devant les CCD départementales est intenable – même au prix d’un surinvestissement supplémentaire des magistrats et des greffiers, dont la surcharge actuelle de travail est déjà connu –, ce qui amène le comité à suggérer le rehaussement de ce délai à 9 mois. Cela le rapprocherait du délai d'audiencement prévu aux assises, questionnant subséquemment l’utilité des CCD. En outre, le comité constate que le taux d’appel des arrêts des CCD (21%) est plus important que celui des arrêts d’assises pour les mêmes affaires (15%) – même si cet écart pourrait légèrement diminuer en raison de désistements tardifs. Ce taux d’appel supérieur, qui révèle une insatisfaction quant au déroulement des audiences, est coûteux en termes financiers et provoque un allongement des délais préjudiciable aussi bien aux accusés qu'aux parties civiles.
Troisièmement, le comité n'a pas été en mesure de vérifier les éventuelles économies engendrées par les CCD, celles-ci produisant de nombreuses externalités négatives sur le plan financier (augmentation du taux d’appel ; mobilisation magistrats assesseurs supplémentaires qui perdront du temps sur leurs fonctions principales civiles ou pénales ; nécessité impérieuse de renforcer les effectifs de magistrats et de greffiers, tout en réalisant des investissements immobiliers pour que le fonctionnement pratique des CCD soit viable, etc.). Le rapport indique même que le renforcement des moyens humains dans les juridictions est « indispensable » à la généralisation des CCD. Dans la mesure où il est impossible que ce renfort soit intervenu d’ici le 1er janvier 2023, cette recommandation du comité invite, sans le dire frontalement, à renoncer à leur généralisation.
En plus de constituer un scandale sur le plan démocratique, la généralisation des CCD et l’effacement du jury populaire sont donc une aberration sur le plan pratique. CCD est à la fois l’acronyme d’un « Crime Contre la Démocratie » et d’une « Chimère Coûteuse et Décevante ».
Il convient donc de préserver le jury populaire en supprimant les dispositions législatives prévoyant la compétence des CCD, à savoir les articles 181-1, 181-2, 380-16, 380-17, 380-18, 380-19, 380-20, 380-21, 380-22 et 888-1 du code de procédure pénale.
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