Raphaël, L'École d'Athènes, 1510, détail |
« J'ai grandi en pensant que le goût n'est qu'une question de préférence personnelle. Chacun a ses préférences, mais aucune n'est meilleure que les autres. Le bon goût n'existe pas.
Comme beaucoup de choses auxquelles je croyais en
grandissant, cela s'avère être faux, et je vais essayer d'expliquer pourquoi.
Le problème quand on dit que le bon goût n'existe pas,
c'est que cela signifie aussi qu'il n'y a pas de bon art. S'il y avait un art
objectivement bon, les gens qui l'aiment auraient un meilleur goût que ceux qui
ne l'aiment pas. Donc si vous écartez le goût, vous devez également écarter
l'idée que l'art puisse être bon et que les artistes puissent être bons pour le
créer.
C'est en tirant sur ce fil que j'ai démêlé ma foi
enfantine dans le relativisme. Quand vous essayez de faire des choses, le goût
devient une question pratique. Il faut décider de ce qu'il faut faire ensuite.
Est-ce que ça améliorerait le tableau si je changeais cette partie ? Si
'meilleur" ne signifie rien, peu importe ce que vous faites. En fait, le
fait même que vous souhaitiez peindre n'a aucune importance. Vous pourriez
simplement sortir et acheter une toile blanche toute prête. Si rien n'est
esthétiquement meilleure qu'autre chose, ce serait une aussi grande réalisation
que le plafond de la Chapelle Sixtine. Moins laborieux, certes, mais si vous
pouvez atteindre le même niveau de performance avec moins d'efforts, c'est
sûrement plus impressionnant, pas moins.
Pourtant, cela ne semble pas tout à fait juste,
n'est-ce pas ?
[…]
Je pense que la clé de ce puzzle est de se rappeler
que l'art a un public. L'art a un but, qui est d'intéresser son public. Le bon
art (comme tout ce qui est bon) est un art qui atteint son but de manière
particulièrement efficace. La signification du terme "intérêt" peut
varier. Certaines œuvres d'art sont destinées à choquer, d'autres à plaire ;
certaines sont destinées à vous sauter aux yeux, d'autres à rester
tranquillement en arrière-plan. Mais tout art doit s'adresser à un public et
-c'est là le point critique- les membres du public ont des points communs.
Par exemple, presque tous les humains trouvent les
visages humains attrayants. Ils semblent être connectés à nous. Les bébés
peuvent reconnaître les visages pratiquement dès la naissance. En fait, les
visages semblent avoir co-évolué avec l'intérêt que nous leur portons ; le
visage est le panneau d'affichage du corps. Donc, toutes choses égales par
ailleurs, un tableau avec des visages intéressera plus de gens que ceux qui
n'en ont pas. [1]
Une des causes qui fait qu'il est facile de croire que
le goût n'est qu'une préférence personnelle, c'est que, si ce n'est pas le cas,
comment repérer les personnes qui ont le meilleur goût ? Il y a des milliards
de personnes, chacune ayant sa propre opinion ; sur quels critères peut-on se
baser pour préférer les unes aux autres ? [2]
Mais si les publics ont beaucoup en commun, vous
n'êtes pas en position de devoir choisir un parmi un ensemble aléatoire de
préjugés individuels, car cet ensemble n'est pas aléatoire. Tous les humains
trouvent des visages engageants, par définition : la reconnaissance des visages
est dans notre ADN. Ainsi, avoir une notion de bon art, dans le sens d'un art
qui fait bien son travail, ne vous oblige pas à choisir quelques individus et à
qualifier leurs opinions de justes. Peu importe qui vous choisissez, ils trouveront
les visages attrayants.
Bien sûr, les extraterrestres ne trouveront
probablement pas les visages humains attrayants. Mais ils pourraient avoir
d'autres points communs avec nous. La source la plus probable d'exemples est:
les mathématiques. J'imagine que les extraterrestres seraient la plupart du
temps d'accord avec nous sur la meilleure des deux preuves. […]
Une fois que l'on commence à parler du public, il
n'est pas utile de dire simplement qu'il existe ou non des normes de goût. Les
goûts sont plutôt une série d'anneaux concentriques, comme des ondulations dans
un étang. Il y a des choses qui vous plairont à vous et à vos amis, d'autres
qui plairont à la plupart des gens de votre âge, d'autres qui plairont à la
plupart des humains, et peut-être d'autres qui plairont à la plupart des êtres
sensibles (quoi que cela puisse vouloir dire).
L'image est un peu plus compliquée que cela, car au
milieu de l'étang, il y a des séries d'ondulations qui se chevauchent. Par
exemple, il pourrait y avoir des choses qui plaisent particulièrement aux
hommes, ou aux personnes d'une certaine culture.
Si un bon art est un art qui intéresse son public,
alors lorsque vous dites que l'art est bon, vous devez aussi dire pour quel
public. Est-il donc vain de dire que l'art est simplement bon ou mauvais ? Non,
parce que le public de l'art est [virtuellement] l'ensemble de tous les humains
possibles. Je pense que c'est le public dont les gens parlent implicitement
lorsqu'ils disent qu'une œuvre d'art est bonne : ils veulent dire qu'elle
engagerait n'importe quel humain. [3]
Et c'est un test significatif, car bien que, comme
tout concept quotidien, le mot "humain" soit flou sur les bords, il y
a beaucoup de choses que pratiquement tous les humains ont en commun. En plus
de notre intérêt pour les visages, il y a quelque chose de spécial dans les
couleurs primaires pour presque tout le monde, parce que c'est un attribut de
la façon dont nos yeux fonctionnent. La plupart des humains trouveront
également des images d'objets en 3D intéressantes, car cela semble également
faire partie de notre perception visuelle. Et en dessous de cela, il y a la
recherche de bords, qui rend les images de formes définies plus attrayantes que
le simple flou.
Les humains ont bien sûr beaucoup plus en commun que
cela. Mon but n'est pas de dresser une liste complète, mais simplement de
montrer qu'il y a une base solide. Les préférences des gens ne sont pas le
fruit du hasard. Ainsi, un artiste travaillant sur un tableau et essayant de
décider s'il doit en modifier une partie n'a pas à se dire "Pourquoi s'en
faire ? Je pourrais aussi bien tirer à pile ou face". Il peut plutôt se
demander "Qu'est-ce qui rendrait le tableau plus intéressant pour les gens
?" Et la raison pour laquelle vous ne pouvez pas égaler Michel-Ange en
allant acheter une toile vierge est que le plafond de la Chapelle Sixtine est plus
intéressant pour les gens.
Beaucoup de philosophes ont eu du mal à croire qu'il
était possible d'avoir des normes objectives pour l'art. Il semblait évident
que la beauté, par exemple, était quelque chose qui se passait dans la tête de
l'observateur, et non pas quelque chose qui était une propriété des objets.
Elle était donc "subjective" plutôt qu'"objective". Mais en
fait, si vous réduisez la définition de la beauté à quelque chose qui
fonctionne d'une certaine manière sur les humains, et que vous observez combien
les humains ont en commun, cela s'avère être une propriété des objets après
tout. Vous n'avez pas à choisir entre une propriété du sujet ou de l'objet si
les sujets réagissent tous de la même manière. Être un bon art est donc une
propriété des objets autant que, disons, être toxique pour les humains l'est :
c'est un bon art s'il affecte constamment les humains d'une certaine manière.
[…]
Pourrait-on savoir quel est le meilleur art en votant
? Après tout, si l'attrait pour les humains est le test, nous devrions pouvoir
simplement leur demander, n'est-ce pas ?
Eh bien, pas tout à fait. Pour les produits de la
nature cela pourrait fonctionner. Je serais prêt à manger la pomme que la
population mondiale a votée la plus délicieuse, et je serais probablement prêt
à visiter la plage qu'ils ont votée la plus belle, mais devoir regarder le
tableau qu'ils ont élu comme le meilleur serait un coup de dés.
Les œuvres nées de la main de l'Homme sont
différentes. D'une part, les artistes, contrairement aux pommiers, essaient
souvent délibérément de nous tromper. Certaines ruses sont assez subtiles. Par
exemple, toute œuvre d'art crée des attentes par son niveau de finition. On ne
s'attend pas à une précision photographique dans quelque chose qui ressemble à
un croquis rapide. Une astuce très répandue, surtout parmi les illustrateurs,
consiste donc à donner intentionnellement l'impression qu'une peinture ou un
dessin a été fait plus vite qu'il ne l'était. L'individu moyen le regarde et se
dit : quelle habileté incroyable. C'est comme dire quelque chose d'intelligent
dans une conversation, comme si vous y aviez pensé sur le moment, alors qu'en
fait vous l'aviez mis au point la veille.
Une autre influence beaucoup moins subtile est la
marque. Si vous allez voir la Joconde, vous serez probablement déçu, car elle
est cachée derrière un épais mur de verre et entourée d'une foule frénétique
qui se prend en photo devant elle. Au mieux, vous pouvez la voir comme vous
voyez un ami de l'autre côté de la pièce lors d'une fête très animée. Le Louvre
pourrait tout aussi bien le remplacer par une copie ; personne ne pourrait le
deviner. Et pourtant, la Joconde est un petit tableau sombre. Si vous trouviez
des gens qui n'en avaient jamais vu une image et que vous les envoyiez dans un
musée où elle était accrochée parmi d'autres tableaux avec une étiquette
indiquant qu'il s'agit d'un portrait d'un artiste inconnu du XVe siècle, la
plupart passeraient à côté sans la regarder de plus près.
Pour le citoyen moyen, la marque domine tous les
autres facteurs dans le jugement de l'art. Voir un tableau qu'il reconnaît à
partir de reproductions est si bouleversant que sa réaction à ce tableau est
noyée.
Et puis, bien sûr, il y a les tours que les gens se
jouent à eux-mêmes. La plupart des adultes qui regardent l'art craignent que
s'ils n'aiment pas ce qu'ils sont censés aimer, on les croira incultes. Cela
n'affecte pas seulement ce qu'ils prétendent aimer ; ils se mettent en fait à
aimer les choses qu'ils sont censés aimer.
C'est pourquoi vous ne pouvez pas vous contenter de
voter. Bien que l'attrait pour les gens soit un test significatif, dans la
pratique, on ne peut pas le mesurer, tout comme on ne peut pas trouver le nord
en utilisant une boussole avec un aimant à côté. Il existe des sources d'erreur
si puissantes que si vous votez, vous ne mesurez que l'erreur.
Nous pouvons cependant aborder notre objectif sous un
autre angle, en nous servant de nous-mêmes comme cobayes. Vous êtes humain. Si
vous voulez savoir quelle serait la réaction humaine de base à une œuvre d'art,
vous pouvez au moins vous en rapprocher en éliminant les sources d'erreur dans
vos propres jugements.
Par exemple, alors que la réaction de chacun à un
tableau célèbre sera d'abord faussée par sa célébrité, il existe des moyens
d'en diminuer les effets. L'un d'eux consiste à revenir sans cesse sur le
tableau. Au bout de quelques jours, la célébrité s'estompe et vous pouvez
commencer à le voir comme un tableau. Un autre moyen est de se tenir à
proximité. Un tableau familier d'après des reproductions semble plus familier à
dix pieds de distance ; de près, vous voyez des détails qui se perdent dans les
reproductions, et que vous voyez donc pour la première fois.
Il y a deux types d'erreurs principales qui empêchent
de voir une œuvre d'art : les préjugés que vous apportez de votre propre
situation, et les astuces jouées par l'artiste. Les erreurs sont faciles à
corriger. Le simple fait d'en être conscient les empêche généralement de
fonctionner. Par exemple, quand j'avais dix ans, j'étais très impressionné par
les lettres peintes à l'aérographe qui ressemblaient à du métal brillant. Mais
une fois qu'on a étudié la façon de procéder, on s'aperçoit que c'est un truc
plutôt ringard, du genre qui consiste à appuyer très fort sur quelques boutons
visuels pour submerger temporairement le spectateur. C'est comme essayer de
convaincre quelqu'un en lui criant dessus.
La façon de ne pas être vulnérable aux ruses est de
les rechercher explicitement et de les cataloguer. Lorsque vous remarquez une
odeur de malhonnêteté provenant d'une sorte d'art, arrêtez-vous et découvrez ce
qui se passe. Lorsque quelqu'un se livre manifestement à des manœuvres pour un
public qui est facilement dupé, qu'il s'agisse de quelqu'un qui fabrique des
objets brillants pour impressionner des enfants de dix ans ou de quelqu'un qui
fabrique des objets manifestement avant-gardistes pour impressionner des
intellectuels en herbe, apprenez comment il s'y prend. Une fois que vous avez
vu suffisamment d'exemples de types de tours spécifiques, vous commencez à
devenir un connaisseur de la tromperie en général, tout comme les magiciens
professionnels.
Qu'est-ce qui compte comme un tour ? En gros, c'est
quelque chose qui est fait avec mépris pour le public. Par exemple, les types
qui concevaient les Ferrari dans les années 50 concevaient probablement des
voitures qu'ils admiraient eux-mêmes. Alors que chez General Motors, je
soupçonne les gens du marketing de dire aux concepteurs : "La plupart des
gens qui achètent des SUV le font pour paraître virils, pas pour rouler hors
route. Alors ne vous inquiétez pas pour la suspension ; faites en sorte que ce
véhicule soit le plus gros et le plus solide possible". [4]
Je pense qu'avec un peu d'effort, vous pouvez vous
rendre presque immunisé contre les ruses. Il est plus difficile d'échapper à
l'influence de votre propre manière d'être, mais vous pouvez au moins aller
dans cette direction. La façon de le faire est de voyager largement, à la fois
dans le temps et dans l'espace. Si vous allez voir toutes les choses que les
gens aiment dans d'autres cultures, et que vous apprenez toutes les choses que
les gens ont aimées dans le passé, vous constaterez probablement que cela
change ce que vous aimez. Je doute que vous puissiez un jour vous transformer
en une personne totalement universelle, ne serait-ce que parce que vous ne
pouvez voyager que dans une seule direction dans le temps. Mais si vous trouvez
une œuvre d'art qui plairait autant à vos amis, aux habitants du Népal et aux
Grecs anciens, vous êtes probablement sur une piste.
Mon but ici n'est pas de dire ce qu'il faut faire pour
avoir bon goût, mais de démontrer qu'il peut y avoir quelque chose de tel. Et
je pense l'avoir démontré. Le bon art existe. C'est l'art qui intéresse son
public humain, et comme les humains ont beaucoup en commun, ce qui les
intéresse n'est pas aléatoire. Comme le bon art existe, le bon goût existe
aussi, c'est-à-dire la capacité à le reconnaître.
Si nous parlions du goût des pommes, je serais
d'accord pour dire que le goût n'est qu'une préférence personnelle. Certaines
personnes aiment certains types de pommes et d'autres aiment d'autres types,
mais comment peut-on dire que l'une a raison et l'autre tort ? [5]
Le fait est que l'art n'est pas une pomme. L'art est
fait par le genre humain. Il est porteur d'un important bagage culturel, et de
plus les gens qui le font essaient souvent de nous tromper. Le jugement que la
plupart des gens portent sur l'art est dominé par ces facteurs extrinsèques ;
c'est comme si quelqu'un essayait de juger le goût des pommes dans un plat
composé à parts égales de pommes et de piments jalapeno. Tout ce qu'ils
goûtent, ce sont les poivrons. Il s'avère donc que vous pouvez choisir
certaines personnes et dire qu'elles ont meilleur goût que d'autres : ce sont celles
qui goûtent réellement l'art comme les pommes.
Ou, pour parler plus prosaïquement, ce sont les
personnes qui (a) sont difficiles à duper et (b) n'aiment pas simplement ce
avec quoi elles ont grandi. Si vous pouviez trouver des gens qui ont éliminé
toutes ces influences sur leur jugement, vous verriez probablement encore des
variations dans ce qu'ils aiment. Mais comme les humains ont beaucoup de choses
en commun, vous constaterez également qu'ils sont d'accord sur beaucoup de
choses. Ils préfèrent presque tous le plafond de la Chapelle Sixtine à une
toile blanche.
[…]
J'ai écrit cet essai parce que j'étais fatigué
d'entendre dire: "le goût est subjectif" et que je voulais tuer cette
thèse une fois pour toutes. Toute personne qui fait des choses sait
intuitivement que ce n'est pas vrai. Quand on essaie de faire de l'art, la
tentation de la paresse est aussi grande que dans n'importe quel autre type
d'œuvre. Bien sûr, il est important de faire un bon travail. Et pourtant, vous
pouvez voir à quel point l'idée que "le goût est subjectif" est
répandue, même dans le milieu artistique, en constatant à quel point il est
délicat de dire que l'art est bon ou mauvais. Ceux dont le travail exige qu'ils
jugent l'art, comme les conservateurs de musée, ont le plus souvent recours à
des euphémismes comme "significatif" ou "important" ou
(mais cela devient dangereux) "accompli ". [6]
Je ne me fais pas d'illusions sur le fait que pouvoir
parler de l'art comme étant bon ou mauvais fasse que les gens qui en parlent
aient quelque chose de plus utile à dire. En effet, l'une des raisons pour
lesquelles l'idée que "le goût est subjectif" a trouvé un public si
réceptif est que, historiquement, les choses que les gens ont dites sur le bon
goût ont généralement été très absurdes.
Ce n'est pas pour les gens qui parlent d'art que je
veux libérer l'idée du bon art, mais pour les créateurs. En ce moment même, de
jeunes enfants ambitieux qui vont à l'école d'art se heurtent à un mur de
briques. Ils arrivent en espérant être un jour aussi bons que les artistes
célèbres qu'ils ont vus dans les livres, et la première chose qu'ils apprennent
est que le concept de bien a été retiré. Au lieu de cela, chacun est censé
explorer sa propre vision personnelle. [7]
Quand j'étais à l'école d'art, nous regardions un jour
une diapositive d'une grande peinture du XVe siècle, et l'un des étudiants a
demandé : "Pourquoi les artistes ne peignent-ils pas comme ça maintenant
?" La pièce s'est soudain trouvée silencieuse. Bien que rarement posée à
voix haute, cette question se cache dans le fond de l'esprit de chaque étudiant
en art. [...]
"Eh bien," répondit le professeur,
"nous nous intéressons à des questions différentes à présent."
C'était un type assez sympathique, mais à l'époque je ne pouvais pas m'empêcher
de souhaiter le renvoyer à Florence au XVe siècle pour expliquer en personne à
Leonardo & Co. comment nous avions dépassé leur concept archaïque et limité
de l'art. Imaginez cette conversation !
En fait, l'une des raisons pour lesquelles les
artistes de la Florence du XVe siècle faisaient de si grandes choses, c'est
qu'ils croyaient que l'on pouvait faire de grandes choses. Ils étaient
intensément compétitifs et essayaient toujours de se surpasser les uns les
autres, comme les mathématiciens ou les physiciens d'aujourd'hui - peut-être
comme tous ceux qui ont déjà fait quelque chose de vraiment bien.
L'idée que l'on pouvait faire de grandes choses n'était pas seulement une illusion utile. Ils avaient en fait raison. Donc la conséquence la plus importante de la réalisation qu'il peut y avoir du bon art est que cela libère les artistes pour essayer de le faire. Aux jeunes ambitieux qui arrivent à l'école d'art cette année en espérant faire un jour de grandes choses, je dis : ne les croyez pas quand ils vous disent que c'est une ambition naïve et dépassée. Le bon art existe, et si vous essayez de le faire, certaines personnes le remarqueront.
Notes :
[1]: Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les bonnes
peintures doivent avoir un visage, mais simplement que le piano visuel de
chacun a cette touche. Il y a des situations dans lesquelles vous voulez éviter
les visages, précisément parce qu'ils attirent tant l'attention. Mais vous
pouvez voir comment les visages fonctionnent universellement par leur prédominance
dans la publicité.
[2]: L'autre raison pour laquelle il est facile de
croire [au relativisme esthétique], c'est qu'il permet aux gens de se sentir à
l'aise. Pour un enfant, cette idée est du crack. Dans tous les autres domaines,
on leur dit constamment qu'ils ont beaucoup à apprendre. Mais en cela, ils sont
parfaits. Leur opinion a le même poids que celle de n'importe quel adulte. Vous
devriez probablement remettre en question tout ce que vous croyiez quand vous
étiez enfant et que vous aimeriez croire de la sorte.
[3]: Il serait peut-être possible de faire de l'art
qui plairait aux extraterrestres, mais je ne vais pas m'étendre sur ce sujet
parce que (a) il est trop difficile de répondre et (b) je suis satisfait si je
peux établir que le bon art est une idée valable pour le public humain.
[4]: Si les premières peintures abstraites semblent plus
intéressantes que les suivantes, c'est peut-être parce que les premiers
peintres abstraits étaient formés pour peindre d'après nature, et que leurs
mains avaient donc tendance à faire le genre de gestes que l'on utilise pour
représenter des choses physiques. En fait, ils disaient "scaramara"
au lieu de "uebfgbsb".
[5] C'est un peu plus compliqué, parce que parfois les
artistes utilisent inconsciemment des astuces en imitant l'art qui en utilise.
[6]: Je l'ai formulé en termes de goût des pommes
parce que si les gens peuvent voir les pommes, ils peuvent être trompés. Quand
j'étais enfant, la plupart des pommes étaient une variété appelée Red Delicious
qui avait été cultivée pour être attrayante dans les magasins, mais qui n'avait
pas très bon goût.
[7] Pour être juste, les conservateurs [de musées]
sont dans une position difficile. S'ils ont affaire à de l'art récent, ils
doivent inclure dans les expositions des choses qu'ils pensent être mauvaises.
C'est parce que le test pour savoir ce qui est inclus dans les expositions est
essentiellement le prix du marché, et pour l'art récent, il est largement
déterminé par des hommes d'affaires prospères et leurs épouses. Ce n'est donc
pas toujours la malhonnêteté intellectuelle qui pousse les conservateurs et les
marchands à utiliser un langage neutre.
[8]: Ce qui se passe en pratique, c'est que tout le
monde devient très doué pour parler d'art. À mesure que l'art lui-même devient
plus aléatoire, l'effort qui aurait été consacré à l'œuvre va plutôt dans la
théorie de la sonorité intellectuelle qui le sous-tend. "Mon travail
représente une exploration du genre et de la sexualité dans un contexte
urbain", etc. Différentes personnes gagnent à ce jeu.
[9] Il y avait plusieurs autres raisons, notamment le
fait que Florence était alors la ville la plus riche et la plus sophistiquée du
monde, et qu'ils vivaient à une époque antérieure à celle où la photographie a
tué le portrait comme source de revenus, et dans laquelle la marque est devenue
le facteur dominant dans la vente de l'art.
Soit dit en passant, je ne dis pas que le bon art =
l'art européen du XVe siècle. Je ne dis pas que nous devrions faire ce qu'ils
ont fait, mais que nous devrions travailler comme ils ont travaillé. Il y a
aujourd'hui des domaines dans lesquels beaucoup de gens travaillent avec la
même énergie et la même honnêteté que les artistes du XVe siècle, mais l'art
n'en fait pas partie. »
-Paul Graham, « How Art Can Be Good », décembre 2006.
Post-scriptum du 4 avril 2023: version audio de ma traduction.
Hum… Tout cela manque un peu de références. Des gens ont réfléchi sur l’objectivité du goût artistique, depuis Platon et l’Hippias majeur en passant par Kant et la Critique de la faculté de juger. La réflexion a été poussée très loin, c’est un peu dommage de repartir de zéro et de réinventer l’eau tiède.
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