vendredi 1 octobre 2021

La puissance du dehors. L’ontologie chaotique de l’anarchisme. Ses rapports à la sexualité et au romantisme

 

                              Ivan Aïvazovski, La Création ou Le Chaos, 1841.

Définition de l’ontologie : 

« Science des présupposés ultimes. » (p.46)

« L’ontologie, définie [par Aristote] comme science de l’être en tant qu’être, nous conduit à oublier que l’ontologie peut être une science du possible, une théorie de l’objet ou même du quelque chose, etc. L’ontologie est […] science des traits catégoriaux ultimes de la réalité. » (p.409)

« La différence entre la science et la métaphysique est que la première n’a pas affaire à quelque chose d’aussi général que « la réalité », « ce qui est », « la totalité de l’étant », etc., à la différence de la métaphysique. La science est une juxtaposition de sciences particulières, régionales (Husserl), chacune d’entre elles spécialisée dans un type de réalité, d’êtres, par exemple les êtres vivants pour la biologie. » (p.62)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais, 2004, 1062 pages.

 

"Puissance du dehors [...] Parmi les philosophes contemporains, c'est sans doute Gilbert Simondon, en particulier avec les notions d'apeiron, de préindividuel ou d'indéterminé [...] qui s'efforce le plus nettement mais aussi de la façon la plus positive de sortir du cercle à la fois enchanté et vicieux de l'ordre existant, de la prison de l'humanisme, en refusant l'opposition entre culture et nature, entre humain et non-humain. C'est ainsi qu'on a pu, non sans raisons, lui reprocher, avec plus ou moins de virulence, son refus de l'« anthropologie » ; s'inquiéter de voir ses analyses déboucher sur « l'anarchie absolue des singularités et des ruptures que la pensée [...] ne peut plus lier sérieusement », promouvoir un « sens éclaté en monades et en instants », « un univers éclaté, merveilleux et terrible, sans principe et sans foi, ou à l'infinité de principes et de fois », « un univers de l'infinitude des possibles - où rien n'est impossible ». 

Pour Simondon, comme pour la pensée libertaire et contre l'humanisme dominant, il s'agit bien en effet d'affirmer une spécificité de l'existence humaine qui réside justement dans sa capacité à s'ouvrir à l'autre, à ce qui n'est pas elle et donc ce qui n'est pas humain, à s'ouvrir sur le dehors qu'elle porte en elle, sur la puissance polymorphe de la nature ou de l'être, et à pouvoir ainsi créer sans cesse de nouvelles formes d'individuations ou de subjectivités [...] C'est pourquoi Simondon refuse l'anthropologie classique, là où, à l'inverse, il s'agit d'enfermer l'humanité dans les « limites immuables » d'une forteresse ou d'une « île », pour reprendre la formule de Kant, et de fonder la spécificité de l'être humain sur la lutte contre la nature qui l'entoure et qu'il porte en lui-même, contre le non-humain (ou le sauvage), et sur sa maîtrise. Pour Simondon « la Nature n'est pas le contraire de l'homme », puisque la spécificité de l'être humain réside justement dans la possibilité de faire retour à elle, à l'être dans sa totalité, de remobiliser la totalité des forces du dehors, les forces (« terribles », dirait Gilbert Hottois) de l'être comme réserve d'être, comme illimité dans la limite [...]

Le projet philosophique de Simondon fait ainsi directement écho à la tâche que s'assignait Nietzsche quelque soixante-dix ans plus tôt : « Ma tâche : la déshumanisation de la nature et ensuite la naturalisation de l'homme, une fois acquis le pur concept de nature » ; cette nature que l'on croit extérieure à nous alors que nous la portons en nous-mêmes. Simondon fait écho à la volonté de Nietzsche de libérer l'homme de sa propre prison, dans laquelle il prétend également enfermer le monde, sans le moindre « reste », en le capturant lui aussi dans les rets et la grossièreté de ses codes. Comme Simondon, Nietzsche prétend inventer d'autres perspectives, non plus les perspectives d'une « espèce d'homme bien déterminée » et « plus précisément : un instinct bien déterminé, l'instinct grégaire » (souligné par Nietzsche), à partir duquel l'homme « tente de parvenir à la domination », mais « les perspectives [ ... ] d'un être plus grand » ; les perspectives d'un être retrouvant en lui la puissance de l'indéterminé, la puissance du chaos : « Je vous le dis : il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir engendrer une étoile dansante. Je vous le dis : vous avez encore du chaos en vous. » [...]

Qu'on la nomme chaos, indéterminé, apeiron, anarchie, ou d'un tout autre nom, la puissance du dehors est certes au centre de la pensée et du désir libertaires, de sa volonté de faire naître un autre monde, d'engendrer de nouvelles étoiles, mais elle est également un pari ou un défi qui n'est pas sans susciter beaucoup de doutes et d'angoisse." (pp.257-260)

"En effet, contrairement aux images d'Épinal que l'on dresse trop souvent de lui - le bon sauvage, l'homme « naturellement » bon, corrompu par les artifices de la société, l'optimisme rousseauiste, la volonté de s'abandonner naïvement ou béatement aux désirs et autres impératifs de la Nature -, l'anarchisme n'est pas un naturalisme [...] et il n'est pas indifférent que son appel aux forces du « dehors » soit si souvent référé au désespoir et à l'anéantissement, aux « horizons lointains et terribles » dont parle Cœuderoy, au chaos et à la mort que symbolise de façon explicite la couleur de son drapeau [...] Le « dehors » auquel l'anarchisme fait appel est effectivement porteur à ses yeux d'une infinité d'autres possibles, d'agencements collectifs libérateurs et de subjectivités émancipatrices, mais tout autant de forces et d'identités oppressives et mortifères, et, plus encore, comme Guy Hottois craint de le percevoir chez Simondon, de forces aveugles et destructrices, « merveilleuses et terribles », « sans principe et sans foi », indifférentes aux effets de leur puissance.

En aucun cas, et comme l'ensemble de ce lexique permet de le comprendre, l'anarchisme ne fait appel à une puissance originaire « naturellement » bénéfique, un élan vital, un sens de l'histoire (fût-il dialectique), une puissance créatrice ou déterminante (fût-elle rapportée, avec Marx, aux forces productives), qui, au contraire, pour la pensée libertaire, s'identifie forcément, sous toutes ces formes, au vieux mythe trompeur de la providence divine, aux illusions oppressives d'un principe premier et divin [...] Avant de correspondre, peut-être, un jour, à l'anarchie positive que les mouvements libertaires prétendent possible [...] à l'expression et à l'agencement émancipés de la totalité des forces dont le réel est porteur [...] le « dehors » auquel l'anarchisme fait appel relève d'abord du chaos, de l'indéterminé, de l'anarchie au sens premier ou originaire du terme, d'une puissance anarchique effectivement terrifiante ; comme chacun peut parfois l'éprouver et comme le souligne Gilbert Simondon dans un très beau texte sur l'angoisse, cette expérience où chacun découvre au fond de lui ce plus que soi-même dont il est porteur." (pp.261-262)

"La violence de l'arrachement aux limites familières et rassurantes des rôles et des fonctions qui nous constituent présentement (comme mère de famille, comme informaticien, comme propriétaire et comme citoyen garantis par le droit, les préfectures et l'ordre social) n'est-elle pas pire que la prison dont nous voudrions sortir, dont nous pressentons pourtant tout ce qu'elle nous empêche de vivre ? [ ... ]

Comment franchir la ligne sans mourir ? Comment sortir de l'humain trop humain qui nous entrave et nous opprime sans se perdre définitivement ? Comment donner corps à une puissance du dehors qui ne soit pas une puissance de mort mais au contraire une puissance de vie ? Telles sont les questions auxquelles, chacun à sa façon, Simondon, Nietzsche, Foucault, et Deleuze à travers lui, se sont efforcés de répondre. Tel est le défi que la pensée et le mouvement libertaires, dans leurs moments les plus intenses - des événements insurrectionnels de 1848 aux journées de mai 1968, de la Commune de Paris à la Commune de Shanghai, des tragiques passages à l'acte des insurrections allemande et hongroise aux horizons meurtriers des révolutions russe et espagnole, en Ukraine, à Munich, à Cronstadt, à Budapest et à Barcelone-, n'ont jamais cessé de se lancer à eux-mêmes." (pp.264-265)

"« Révolutionnaires anarchistes, disons-le hautement : nous n'avons d'espoir que dans le déluge humain ; nous n'avons d'avenir que dans le chaos ; nous n'avons de ressource que dans une guerre générale qui, mêlant toutes les races et brisant tous les rapports établis, retirera des mains des classes dominantes les instruments d'oppression avec lesquels elles violent les libertés acquises au prix du sang [...] quand chacun combattra pour sa propre cause, personne n'aura plus besoin d'être représenté ; au milieu de la confusion des langues, les avocats, les journalistes, les dictateurs de l'opinion perdront leurs discours. [...] De même pour le langage [...]. Les rapports plus intimes entre les nations amèneront l'échange des idiomes divers. On conversera dans des termes imparfaits, inachevés ; on fera subir à la prononciation, à l'orthographe, à la grammaire d'innombrables altérations. Ainsi les langues actuelles seront envahies dans le sanctuaire de leurs règles absolues ; ainsi la confusion des peuples amènera la confusion des langues, l'anarchie dans la parole comme dans la pensée. »

Sans doute, au sombre appel de Cœuderoy, écrit au lendemain de l'écrasement de l'insurrection de juin 1848, peut-on opposer l'ivresse euphorique des souvenirs de Bakounine sur les semaines révolutionnaires qui ont précédé le massacre des ouvriers parisiens ; mais dans une même perception de l'abolition de l'espace et du temps, de l'ordre existant, une perception non plus imaginaire et prospective mais positive et réelle.

« Et au milieu de cette joie sans bornes, de cette ivresse, tous étaient [...] doux, humains, compatissants, honnêtes, modestes, polis, aimables et spirituels [...] ce fut un mois de griserie pour l'âme. Non seulement j'étais grisé mais tous l'étaient : les uns de leur peur folle, les autres de folle extase, d'espoirs insensés [...] j'aspirais par tous mes sens et par tous mes pores l'ivresse de l'atmosphère révolutionnaire. C'était une fête sans commencement et sans fin ; je voyais tout le monde et je ne voyais personne, car chaque individu se perdait dans la même foule innombrable et errante ; je parlais à tout le monde sans me rappeler ni mes paroles ni celles des autres, car l'attention était absorbée à chaque pas par des événements et des objets nouveaux, par des nouvelles inattendues. [...] Il semblait que l'univers entier fût renversé ; l'incroyable était devenu habituel, l'impossible possible, et le possible et l'habituel insensés. »" (pp.266-267)

"Telles sont les questions auxquelles l'anarchisme n'a jamais cessé d'essayer de répondre : théoriquement, et non sans difficultés, en particulier à travers ce que Proudhon appellera l'anarchie positive ; pratiquement surtout, pendant une cinquantaine d'années et à une grande échelle, à travers les différentes expériences d'émancipation ouvrière qu'il est convenu de regrouper sous les termes de syndicalisme révolutionnaire et d' anarcho-syndicalisme, là où de nouvelles formes de subjectivité [...] se sont efforcées d'exprimer la puissance du réel." (p.272)

-Daniel Colson, Petit lexique philosophique de l'anarchisme. De Proudhon à Deleuze, Librairie Générale Française, 2001, 378 pages.

 

Post-scriptum 1 : Anarchisme et mœurs sexuelles.

L’anarchisme est bien connu pour sa promotion de l’union libre, de l’amour libre, de la liberté sexuelle ; pour sa critique de la famille traditionnelle et de la normativité sexuelle, etc. Or : 

« [Dans l'acte sexuel réussi] À la jouissance attendue se substitue une jouissance non seulement plus intense mais encore et surtout d’un autre ordre ; car ce n’est plus un certain corps qui apparaît alors comme source de jouissance, mais indistinctement tous les corps, et même le fait de l’existence en général, soudain ressenti comme universellement désirable. Ce qui s’accomplit lors de l’orgasme peut être ainsi décrit comme un passage du singulier au général, passage de la recherche d’un plaisir particulier à l’obtention d’une jouissance sinon universelle du moins ressentie comme telle. Et on sait qu’il y a au fond peu de l’une à l’autre : car le plaisir sexuel, tout comme le plaisir esthétique tel que l’analyse Kant dans la Critique de la faculté de juger, et comme d’ailleurs le plaisir pris à n’importe quelle chose, implique la pensée d’une prétention légitime à une reconnaissance universelle, même si cette unanimité n’a aucune chance de jamais se réaliser concrètement. » (Clément Rosset, La Force majeure, Éditions de Minuit, 1983).


Post-scriptum 2 : Anarchisme et romantisme.

Tout lecteur régulier de la littérature anarchiste aura remarqué, je crois, une tendance poétique chez les anarchistes. Pas nécessairement un anti-intellectualisme ou un irrationalisme, mais une sensibilité moins théorique, moins porté à l’abstraction, plus affective et sensuelle, que dans d’autres courants politiques (le marxisme par exemple). Et pourquoi ?

On peut expliquer cet état de fait à partir de l’idée qu’il existe des affinités fortes entre l’anarchisme et une certaine ontologie indéterministe (ou « chaotique »). En effet, quelque chose comme l’apeiron, le « pré-individuel » de Simondon, le « dehors », le chaos, etc., ne peut pas être dicible dans le langage de la logique (car l’indéterminé échappe à l’identité et à la non-contradiction, il n’est pas ceci ou cela) ou dans le langage du concept (car le concept est abstrait à partir d’éléments particuliers ; or dans le pré-individuel il n’y a pas de particuliers susceptible d’être abstraits).

D’où il suit que c’est par quelque chose comme la poésie qu’on peut laisser filtrer le « dehors » dans le langage. L’anarchisme serait alors solidaire du romantisme, au sens courant, esthétique du terme.

Concluons sur un texte de l’anarchiste allemand Gustav Landauer (1870-1919) :

« Je veux parler du besoin impérieux de se faire renaître, de refonder son être, puis de façonner – autant qu’on en a le pouvoir – son environnement et son monde. Chacun de nous devrait connaître ce suprême instant : où, pour parler avec Nietzsche, il recrée en lui le chaos originel, où il fait jouer devant lui et regarde en spectateur le drame de ses passions (« Triebe ») et de ses sollicitations intérieures les plus pressantes ; et tout cela afin de déterminer laquelle, parmi ses nombreuses personnalités, doit dominer en lui, de déterminer ce qui lui est propre et le distingue des traditions et des héritages du monde des ancêtres, ce qu’il doit être pour le monde et ce que le monde doit être pour lui. J’appelle anarchiste celui qui a la volonté de ne pas jouer un double jeu avec lui-même ; celui qui, dans une crise décisive de son existence, s’est pétri lui-même comme une pâte toute nouvelle, de sorte qu’il se connaît intimement et peut agir selon les lois de son être le plus secret. [...] Ce continent et ce monde de richesses, nous les trouvons lorsque nous parvenons, à travers le chaos et l’anarchie, à travers une expérience intérieure inouïe, silencieuse et abyssale, à découvrir un homme nouveau ; chacun doit se plonger en soi-même. Alors il y aura des anarchistes, alors il y aura de l’anarchie ; il s’agira d’abord d’individus isolés et éparpillés qui se trouveront les uns les autres ; ils ne tueront personne d’autre qu’eux-mêmes dans cette mort mystique qui, par l’immersion la plus profonde en soi, conduit à renaître à la vie nouvelle. [...] Qui réveille à la vie, à la vie individuelle, le monde perdu en lui ; qui se sent comme un rayon du monde, et non pas comme étranger au monde : celui-là vient, il ne sait pas d’où ; celui-là va, il ne sait pas où ; son rapport au monde sera un rapport à soi, et il aimera le monde comme lui-même. Ces hommes régénérés vivront entre eux, parce qu’ils se sentiront faire partie d’un seul et même tout. Là sera l’anarchie. [...]

Je désire seulement décrire un état intérieur qui permettra peut-être à certains d’entre nous de montrer, par l’exemple, ce qu’est le communisme et l’anarchie. Je veux simplement dire que cette liberté doit d’abord naître et se développer au plus profond de l’individu avant de se manifester comme réalité extérieure effective. [...] Les anarchistes aussi ont été jusqu’ici des esprits par trop systématiques, enserrés dans des concepts étroits et rigides ; et c’est là l’ultime réponse à la question de savoir pourquoi les anarchistes [de notre époque] accordent une certaine valeur au meurtre d’êtres humains. Ils ont pris l’habitude de s’occuper de concepts, et non plus des hommes. Pour eux, il y a deux classes distinctes et séparées qui se dressent l’une contre l’autre ; quand ils tuaient, ils ne tuaient point des hommes, mais le concept d’exploiteur, d’oppresseur ou d’homme d’État. La conséquence a été que précisément ceux qui font preuve le plus souvent d’une grande humanité dans la vie intime et les sentiments se laissent aller à l’inhumanité dans les activités publiques. Ils n’éprouvent alors plus aucune émotion ; ils agissent comme des êtres purement pensants qui, à l’instar du culte rendu par Robespierre à la déesse Raison, se font les serviteurs d’une divinité qui classe et juge les hommes. Les condamnations à mort que les anarchistes prononcent froidement s’expliquent par des jugements rendus en vertu d’une logique froide, sans profondeur, abstraite et hostile à la vie. L’anarchie n’a pourtant rien de cette évidence, de cette froideur, de cette clarté que les anarchistes ont cru pouvoir y trouver ; quand l’anarchie deviendra un rêve sombre et profond, au lieu d’être un monde accessible au concept, alors leur éthos et leur pratique seront d’une seule et même espèce. »

-Gustav Landauer, "Pensées anarchistes sur l'anarchie", in Die Zukunft, tome 37, n° 4, 26 octobre 1901, pp. 134-140, In : Siegbert Wolf, Gustav Landauer – Ausgewählte Schriften, volume 2 : « Anarchismus », pp. 274-281, Lich, Verlag Edition AV, 2008. Traduit de l’allemand par Gaël Cheptou.

Post-scriptum 3 du 2 octobre: On pourra lire avec intérêt sur le même sujet l'article de Timothée Becuwe

Post-scriptum du 31 octobre: On pourra suivre une conférence-lecture de ce billet sur ma chaîne Odysse.

1 commentaire:

  1. La démarche de relier l’anarchisme à l’ontologie est intéressante, car on limite souvent celui-ci au domaine politique. Il y a sans doute des choses à creuser dans cette direction. Ellul se disait anarchiste et il a écrit un ouvrage sur Anarchie et christianisme. Je serais plus réservé sur le concept de « nature », qui risque de nous ramener une nouvelle fois à l’éternel panthéisme philosophique, de Parménide et Platon à Spinoza. Éternelle voie de la philosophie athée... Après, comme toujours, c’est sur l’application pratique que ça coince, et là pour le coup ça coince sérieusement. Comme toute pratique sociale, la sexualité obéit à des déterminations sociologiques assez rigoureuses, et d’ailleurs en pleine mutation ces dernières années. On ne peut pas employer ces mots à la légère, ou alors on ne fait plus de la pensée mais de la littérature, des fantasmes. Or ce que l’on observe c’est que précisément les explosions sociétales anarchistes (comme mai 68) n’ont pas conduit à plus de « liberté sexuelle », mais au contraire à l’effondrement des derniers bastions moraux qui préservaient les rapports humains des lois du marché. Tout cela a été magistralement analysé par Michel Houellebecq dans ses deux premiers romans que je cite toujours, mais il n’a pas usurpé sa réputation. Concrètement, et les études sociologiques le confirment, cela signifie non pas la liberté, mais un retour aux lois brutes de la sélection naturelle, une hypergamie féminine exponentielle, un nombre sans précédent de célibataires, à la fois urbains et ruraux, un accroissement des tensions et des violences intra-conjugales, une insatisfaction et une frustration accrues. Malheureusement c’est cela la vérité, il ne faut pas se payer de mots et prendre la posture facile du rebelle face à des dogmes qui sont tombés depuis bien longtemps.

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