Ivan Aïvazovski, La Création ou Le Chaos, 1841.
Définition de l’ontologie :
« Science des présupposés ultimes. » (p.46)
« L’ontologie, définie [par Aristote] comme
science de l’être en tant qu’être, nous conduit à oublier que l’ontologie peut
être une science du possible, une théorie de l’objet ou même du quelque chose,
etc. L’ontologie est […] science des traits catégoriaux ultimes de la
réalité. » (p.409)
« La différence entre la science et la métaphysique
est que la première n’a pas affaire à quelque chose d’aussi général que « la
réalité », « ce qui est », « la totalité de l’étant », etc., à la différence de
la métaphysique. La science est une juxtaposition de sciences particulières,
régionales (Husserl), chacune d’entre elles spécialisée dans un type
de réalité, d’êtres, par exemple les êtres vivants pour la biologie. »
(p.62)
-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?,
Gallimard, coll. Folio essais, 2004, 1062 pages.
"Puissance du dehors [...] Parmi les
philosophes contemporains, c'est sans doute Gilbert Simondon, en particulier
avec les notions d'apeiron, de
préindividuel ou d'indéterminé [...] qui s'efforce le plus nettement mais aussi
de la façon la plus positive de sortir du cercle à la fois enchanté et vicieux
de l'ordre existant, de la prison de l'humanisme, en refusant l'opposition
entre culture et nature, entre humain et non-humain. C'est ainsi qu'on a pu,
non sans raisons, lui reprocher, avec plus ou moins de virulence, son refus de
l'« anthropologie » ; s'inquiéter de voir ses analyses déboucher sur «
l'anarchie absolue des singularités et des ruptures que la pensée [...] ne
peut plus lier sérieusement », promouvoir un « sens éclaté en monades et en
instants », « un univers éclaté, merveilleux et terrible, sans principe et sans
foi, ou à l'infinité de principes et de fois », « un univers de l'infinitude
des possibles - où rien n'est impossible ».
Pour Simondon, comme pour la pensée libertaire et
contre l'humanisme dominant, il s'agit bien en effet d'affirmer une spécificité
de l'existence humaine qui réside justement dans sa capacité à s'ouvrir à
l'autre, à ce qui n'est pas elle et donc ce qui n'est pas humain, à s'ouvrir
sur le dehors qu'elle porte en elle, sur la puissance polymorphe de la
nature ou de l'être, et à pouvoir ainsi créer sans cesse de nouvelles
formes d'individuations ou de subjectivités [...] C'est pourquoi Simondon
refuse l'anthropologie classique, là où, à l'inverse, il s'agit d'enfermer
l'humanité dans les « limites immuables » d'une forteresse ou d'une « île »,
pour reprendre la formule de Kant, et de fonder la spécificité de l'être humain
sur la lutte contre la nature qui l'entoure et qu'il porte en lui-même, contre
le non-humain (ou le sauvage), et sur sa maîtrise. Pour Simondon « la Nature
n'est pas le contraire de l'homme », puisque la spécificité de l'être humain
réside justement dans la possibilité de faire retour à elle, à l'être dans sa
totalité, de remobiliser la totalité des forces du dehors, les forces («
terribles », dirait Gilbert Hottois) de l'être comme réserve d'être, comme
illimité dans la limite [...]
Le projet philosophique de Simondon fait ainsi
directement écho à la tâche que s'assignait Nietzsche quelque soixante-dix ans
plus tôt : « Ma tâche : la déshumanisation de la nature et ensuite la
naturalisation de l'homme, une fois acquis le pur concept de nature » ; cette
nature que l'on croit extérieure à nous alors que nous la portons en nous-mêmes.
Simondon fait écho à la volonté de Nietzsche de libérer l'homme de sa propre
prison, dans laquelle il prétend également enfermer le monde, sans le moindre «
reste », en le capturant lui aussi dans les rets et la grossièreté de ses
codes. Comme Simondon, Nietzsche prétend inventer d'autres perspectives, non
plus les perspectives d'une « espèce d'homme bien déterminée » et « plus
précisément : un instinct bien déterminé, l'instinct grégaire » (souligné par
Nietzsche), à partir duquel l'homme « tente de parvenir à la domination », mais
« les perspectives [ ... ] d'un être plus grand » ; les perspectives d'un être retrouvant
en lui la puissance de l'indéterminé, la puissance du chaos : « Je vous le
dis : il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir engendrer une étoile
dansante. Je vous le dis : vous avez encore du chaos en vous. » [...]
Qu'on la nomme chaos, indéterminé, apeiron, anarchie,
ou d'un tout autre nom, la puissance du dehors est certes au centre de la
pensée et du désir libertaires, de sa volonté de faire naître un autre
monde, d'engendrer de nouvelles étoiles, mais elle est également un pari ou un
défi qui n'est pas sans susciter beaucoup de doutes et d'angoisse."
(pp.257-260)
"En effet, contrairement aux images d'Épinal que
l'on dresse trop souvent de lui - le bon sauvage, l'homme « naturellement »
bon, corrompu par les artifices de la société, l'optimisme rousseauiste, la
volonté de s'abandonner naïvement ou béatement aux désirs et autres impératifs
de la Nature -, l'anarchisme n'est pas un naturalisme [...] et il n'est pas
indifférent que son appel aux forces du « dehors » soit si souvent référé au
désespoir et à l'anéantissement, aux « horizons lointains et terribles » dont
parle Cœuderoy, au chaos et à la mort que symbolise de façon explicite la
couleur de son drapeau [...] Le « dehors » auquel l'anarchisme fait appel est
effectivement porteur à ses yeux d'une infinité d'autres possibles,
d'agencements collectifs libérateurs et de subjectivités émancipatrices, mais
tout autant de forces et d'identités oppressives et mortifères, et, plus encore,
comme Guy Hottois craint de le percevoir chez Simondon, de forces aveugles et
destructrices, « merveilleuses et terribles », « sans principe et sans foi »,
indifférentes aux effets de leur puissance.
En aucun cas, et comme l'ensemble de ce lexique permet
de le comprendre, l'anarchisme ne fait appel à une puissance originaire «
naturellement » bénéfique, un élan vital, un sens de l'histoire (fût-il
dialectique), une puissance créatrice ou déterminante (fût-elle rapportée, avec
Marx, aux forces productives), qui, au contraire, pour la pensée libertaire,
s'identifie forcément, sous toutes ces formes, au vieux mythe trompeur de la
providence divine, aux illusions oppressives d'un principe premier et divin
[...] Avant de correspondre, peut-être, un jour, à l'anarchie positive que les
mouvements libertaires prétendent possible [...] à l'expression et à
l'agencement émancipés de la totalité des forces dont le réel est porteur [...]
le « dehors » auquel l'anarchisme fait appel relève d'abord du chaos, de
l'indéterminé, de l'anarchie au sens premier ou originaire du terme, d'une
puissance anarchique effectivement terrifiante ; comme chacun peut parfois
l'éprouver et comme le souligne Gilbert Simondon dans un très beau texte sur l'angoisse,
cette expérience où chacun découvre au fond de lui ce plus que soi-même dont il
est porteur." (pp.261-262)
"La violence de l'arrachement aux limites
familières et rassurantes des rôles et des fonctions qui nous constituent
présentement (comme mère de famille, comme informaticien, comme
propriétaire et comme citoyen garantis par le droit, les préfectures et l'ordre
social) n'est-elle pas pire que la prison dont nous voudrions sortir, dont nous
pressentons pourtant tout ce qu'elle nous empêche de vivre ? [ ... ]
Comment franchir la ligne sans mourir ? Comment sortir
de l'humain trop humain qui nous entrave et nous opprime sans se perdre définitivement
? Comment donner corps à une puissance du dehors qui ne soit pas une puissance
de mort mais au contraire une puissance de vie ? Telles sont les questions
auxquelles, chacun à sa façon, Simondon, Nietzsche, Foucault, et Deleuze à
travers lui, se sont efforcés de répondre. Tel est le défi que la pensée et le
mouvement libertaires, dans leurs moments les plus intenses - des événements
insurrectionnels de 1848 aux journées de mai 1968, de la Commune de Paris à la
Commune de Shanghai, des tragiques passages à l'acte des insurrections
allemande et hongroise aux horizons meurtriers des révolutions russe et
espagnole, en Ukraine, à Munich, à Cronstadt, à Budapest et à Barcelone-, n'ont
jamais cessé de se lancer à eux-mêmes." (pp.264-265)
"« Révolutionnaires anarchistes, disons-le
hautement : nous n'avons d'espoir que dans le déluge humain ; nous n'avons
d'avenir que dans le chaos ; nous n'avons de ressource que dans une guerre
générale qui, mêlant toutes les races et brisant tous les rapports établis,
retirera des mains des classes dominantes les instruments d'oppression avec
lesquels elles violent les libertés acquises au prix du sang [...] quand chacun
combattra pour sa propre cause, personne n'aura plus besoin d'être représenté ;
au milieu de la confusion des langues, les avocats, les journalistes, les
dictateurs de l'opinion perdront leurs discours. [...] De même pour le langage
[...]. Les rapports plus intimes entre les nations amèneront l'échange des
idiomes divers. On conversera dans des termes imparfaits, inachevés ; on fera
subir à la prononciation, à l'orthographe, à la grammaire d'innombrables
altérations. Ainsi les langues actuelles seront envahies dans le sanctuaire de
leurs règles absolues ; ainsi la confusion des peuples amènera la confusion des
langues, l'anarchie dans la parole comme dans la pensée. »
Sans doute, au sombre appel de Cœuderoy, écrit au
lendemain de l'écrasement de l'insurrection de juin 1848, peut-on opposer
l'ivresse euphorique des souvenirs de Bakounine sur les semaines révolutionnaires
qui ont précédé le massacre des ouvriers parisiens ; mais dans une même
perception de l'abolition de l'espace et du temps, de l'ordre existant,
une perception non plus imaginaire et prospective mais positive et réelle.
« Et au milieu de cette joie sans bornes, de cette
ivresse, tous étaient [...] doux, humains, compatissants, honnêtes, modestes,
polis, aimables et spirituels [...] ce fut un mois de griserie pour l'âme. Non
seulement j'étais grisé mais tous l'étaient : les uns de leur peur folle, les
autres de folle extase, d'espoirs insensés [...] j'aspirais par tous mes sens
et par tous mes pores l'ivresse de l'atmosphère révolutionnaire. C'était une
fête sans commencement et sans fin ; je voyais tout le monde et je ne voyais
personne, car chaque individu se perdait dans la même foule innombrable et
errante ; je parlais à tout le monde sans me rappeler ni mes paroles ni celles
des autres, car l'attention était absorbée à chaque pas par des événements et
des objets nouveaux, par des nouvelles inattendues. [...] Il semblait que
l'univers entier fût renversé ; l'incroyable était devenu habituel,
l'impossible possible, et le possible et l'habituel insensés. »"
(pp.266-267)
"Telles sont les questions auxquelles
l'anarchisme n'a jamais cessé d'essayer de répondre : théoriquement, et non
sans difficultés, en particulier à travers ce que Proudhon appellera l'anarchie
positive ; pratiquement surtout, pendant une cinquantaine d'années et à une
grande échelle, à travers les différentes expériences d'émancipation ouvrière
qu'il est convenu de regrouper sous les termes de syndicalisme révolutionnaire
et d' anarcho-syndicalisme, là où de nouvelles formes de subjectivité [...] se
sont efforcées d'exprimer la puissance du réel." (p.272)
-Daniel Colson, Petit lexique philosophique de
l'anarchisme. De Proudhon à Deleuze, Librairie Générale Française, 2001,
378 pages.
Post-scriptum 1 : Anarchisme et mœurs sexuelles.
L’anarchisme est bien connu pour sa promotion de l’union libre, de l’amour libre, de la liberté sexuelle ; pour sa critique de la famille traditionnelle et de la normativité sexuelle, etc. Or :
« [Dans l'acte sexuel réussi] À la jouissance
attendue se substitue une jouissance non seulement plus intense mais encore et
surtout d’un autre ordre ; car ce n’est plus un certain corps qui apparaît
alors comme source de jouissance, mais indistinctement tous les corps, et même
le fait de l’existence en général, soudain ressenti comme universellement
désirable. Ce qui s’accomplit lors de l’orgasme peut être ainsi décrit
comme un passage du singulier au général, passage de la recherche d’un plaisir
particulier à l’obtention d’une jouissance sinon universelle du moins ressentie
comme telle. Et on sait qu’il y a au fond peu de l’une à l’autre : car le
plaisir sexuel, tout comme le plaisir esthétique tel que l’analyse Kant dans la
Critique de la faculté de juger, et
comme d’ailleurs le plaisir pris à n’importe quelle chose, implique la pensée
d’une prétention légitime à une reconnaissance universelle, même si cette
unanimité n’a aucune chance de jamais se réaliser concrètement. » (Clément
Rosset, La Force majeure, Éditions de Minuit, 1983).
Post-scriptum 2 : Anarchisme et romantisme.
Tout lecteur régulier de la littérature anarchiste
aura remarqué, je crois, une tendance poétique chez les anarchistes. Pas
nécessairement un anti-intellectualisme ou un irrationalisme, mais une
sensibilité moins théorique, moins porté à l’abstraction, plus affective et sensuelle,
que dans d’autres courants politiques (le marxisme par exemple). Et
pourquoi ?
On peut expliquer cet état de fait à partir de l’idée
qu’il existe des affinités fortes entre l’anarchisme et une certaine ontologie
indéterministe (ou « chaotique »). En effet, quelque chose comme
l’apeiron, le « pré-individuel »
de Simondon, le « dehors », le chaos, etc., ne peut pas être dicible
dans le langage de la logique (car l’indéterminé échappe à l’identité et à
la non-contradiction, il n’est pas ceci ou cela) ou dans le langage du
concept (car le concept est abstrait à partir d’éléments
particuliers ; or dans le pré-individuel il n’y a pas de particuliers
susceptible d’être abstraits).
D’où il suit que c’est par quelque chose comme la
poésie qu’on peut laisser filtrer le « dehors » dans le langage.
L’anarchisme serait alors solidaire du romantisme, au sens courant, esthétique
du terme.
Concluons sur un texte de l’anarchiste allemand Gustav
Landauer (1870-1919) :
« Je veux parler du besoin impérieux de se faire
renaître, de refonder son être, puis de façonner – autant qu’on en a le pouvoir
– son environnement et son monde. Chacun de nous devrait connaître ce suprême
instant : où, pour parler avec Nietzsche, il recrée en lui le chaos originel,
où il fait jouer devant lui et regarde en spectateur le drame de ses passions (« Triebe »)
et de ses sollicitations intérieures les plus pressantes ; et tout cela afin de
déterminer laquelle, parmi ses nombreuses personnalités, doit dominer en lui,
de déterminer ce qui lui est propre et le distingue des traditions et des
héritages du monde des ancêtres, ce qu’il doit être pour le monde et ce que le
monde doit être pour lui. J’appelle anarchiste celui qui a la volonté de ne pas
jouer un double jeu avec lui-même ; celui qui, dans une crise décisive
de son existence, s’est pétri lui-même comme une pâte toute nouvelle, de sorte
qu’il se connaît intimement et peut agir selon les lois de son être le plus
secret. [...] Ce continent et ce monde de richesses, nous les trouvons lorsque
nous parvenons, à travers le chaos et l’anarchie, à travers une expérience
intérieure inouïe, silencieuse et abyssale, à découvrir un homme nouveau ;
chacun doit se plonger en soi-même. Alors il y aura des anarchistes, alors il y
aura de l’anarchie ; il s’agira d’abord d’individus isolés et éparpillés qui se
trouveront les uns les autres ; ils ne tueront personne d’autre qu’eux-mêmes
dans cette mort mystique qui, par l’immersion la plus profonde en soi,
conduit à renaître à la vie nouvelle. [...] Qui réveille à la vie, à la vie
individuelle, le monde perdu en lui ; qui se sent comme un rayon du monde, et
non pas comme étranger au monde : celui-là vient, il ne sait pas d’où ;
celui-là va, il ne sait pas où ; son rapport au monde sera un rapport à soi, et
il aimera le monde comme lui-même. Ces hommes régénérés vivront entre eux,
parce qu’ils se sentiront faire partie d’un seul et même tout. Là sera
l’anarchie. [...]
Je désire seulement décrire un état intérieur qui
permettra peut-être à certains d’entre nous de montrer, par l’exemple, ce qu’est
le communisme et l’anarchie. Je veux simplement dire que cette liberté doit
d’abord naître et se développer au plus profond de l’individu avant de se
manifester comme réalité extérieure effective. [...] Les anarchistes aussi ont
été jusqu’ici des esprits par trop systématiques, enserrés dans des concepts
étroits et rigides ; et c’est là l’ultime réponse à la question de savoir
pourquoi les anarchistes [de notre époque] accordent une certaine valeur au
meurtre d’êtres humains. Ils ont pris l’habitude de s’occuper de concepts, et
non plus des hommes. Pour eux, il y a deux classes distinctes et séparées qui
se dressent l’une contre l’autre ; quand ils tuaient, ils ne tuaient point des
hommes, mais le concept d’exploiteur, d’oppresseur ou d’homme d’État. La
conséquence a été que précisément ceux qui font preuve le plus souvent d’une
grande humanité dans la vie intime et les sentiments se laissent aller à
l’inhumanité dans les activités publiques. Ils n’éprouvent alors plus aucune
émotion ; ils agissent comme des êtres purement pensants qui, à l’instar du
culte rendu par Robespierre à la déesse Raison, se font les serviteurs d’une
divinité qui classe et juge les hommes. Les condamnations à mort que les
anarchistes prononcent froidement s’expliquent par des jugements rendus en
vertu d’une logique froide, sans profondeur, abstraite et hostile à la vie. L’anarchie
n’a pourtant rien de cette évidence, de cette froideur, de cette clarté que les
anarchistes ont cru pouvoir y trouver ; quand l’anarchie deviendra un rêve
sombre et profond, au lieu d’être un monde accessible au concept, alors leur
éthos et leur pratique seront d’une seule et même espèce. »
-Gustav Landauer, "Pensées anarchistes sur l'anarchie", in Die Zukunft, tome 37, n° 4, 26 octobre 1901, pp. 134-140, In : Siegbert Wolf, Gustav Landauer – Ausgewählte Schriften, volume 2 : « Anarchismus », pp. 274-281, Lich, Verlag Edition AV, 2008. Traduit de l’allemand par Gaël Cheptou.
Post-scriptum 3 du 2 octobre: On pourra lire avec intérêt sur le même sujet l'article de Timothée Becuwe.
Post-scriptum du 31 octobre: On pourra suivre une conférence-lecture de ce billet sur ma chaîne Odysse.
La démarche de relier l’anarchisme à l’ontologie est intéressante, car on limite souvent celui-ci au domaine politique. Il y a sans doute des choses à creuser dans cette direction. Ellul se disait anarchiste et il a écrit un ouvrage sur Anarchie et christianisme. Je serais plus réservé sur le concept de « nature », qui risque de nous ramener une nouvelle fois à l’éternel panthéisme philosophique, de Parménide et Platon à Spinoza. Éternelle voie de la philosophie athée... Après, comme toujours, c’est sur l’application pratique que ça coince, et là pour le coup ça coince sérieusement. Comme toute pratique sociale, la sexualité obéit à des déterminations sociologiques assez rigoureuses, et d’ailleurs en pleine mutation ces dernières années. On ne peut pas employer ces mots à la légère, ou alors on ne fait plus de la pensée mais de la littérature, des fantasmes. Or ce que l’on observe c’est que précisément les explosions sociétales anarchistes (comme mai 68) n’ont pas conduit à plus de « liberté sexuelle », mais au contraire à l’effondrement des derniers bastions moraux qui préservaient les rapports humains des lois du marché. Tout cela a été magistralement analysé par Michel Houellebecq dans ses deux premiers romans que je cite toujours, mais il n’a pas usurpé sa réputation. Concrètement, et les études sociologiques le confirment, cela signifie non pas la liberté, mais un retour aux lois brutes de la sélection naturelle, une hypergamie féminine exponentielle, un nombre sans précédent de célibataires, à la fois urbains et ruraux, un accroissement des tensions et des violences intra-conjugales, une insatisfaction et une frustration accrues. Malheureusement c’est cela la vérité, il ne faut pas se payer de mots et prendre la posture facile du rebelle face à des dogmes qui sont tombés depuis bien longtemps.
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