« Que faire ? Il n'y a qu'un remède. Meslier n'hésite pas à l'indiquer : il faut un bouleversement complet de la société et une révolution qui détruise tout ce qui existe. [...] Son œuvre, incomplètement connue au XVIIIe siècle, est certainement une de ses productions les plus remarquables. »
-André Lichtenberger, Le
Socialisme au XVIIIe siècle. Essai sur les idées socialistes dans les écrivains
français du XVIIIe siècle, avant la Révolution, Thèse de doctorat présentée
à la faculté des lettres de Paris, Biblio Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour
la première édition), 471 pages, p.81-83.
"Sachons d’abord que le
curé Jean Meslier, philosophe autodidacte, est l’homme d’un seul livre intitulé
Mémoire des pensées et sentiments de Jean
Meslier. Ce volumineux ouvrage, dont il fit trois copies manuscrites
presque identiques, comprend 97 chapitres réunis sous huit « preuves ». Travail
d’une vie, il s’agit en fait d’une œuvre posthume, ou plus précisément, d’un
livre-testament." (p.105)
"Jean Meslier fut un
curé de campagne tout ce qu’il y avait de plus banal sous l’Ancien régime, en
extérieur du moins. À l’intérieur de lui bouillait cependant une sourde colère
qui le fit devenir philosophe. Ce qu’il y a de fascinant chez ce penseur est
justement cette double vie au cours de laquelle son œuvre fut écrite. Alors
qu’il vaquait, publiquement, à ses tâches de curé, il devenait, dans le secret,
un criminel. Le mot n’est pas trop fort, au contraire, car ses réflexions
solitaires, qu’il prenait le risque de coucher sur papier, auraient amplement
suffit à le faire condamner à mort. Ses crimes étaient nombreux et très graves
pour l’époque : il affirme, entre autres, que toutes les religions ne sont que
des supercheries; il attaque le pouvoir de l’Église, celui de la noblesse, et,
surtout, celui du roi, qu’il ose même qualifier de tyran ; il en appelle au régicide
salvateur; il condamne la propriété privée comme immorale ; il espère un
soulèvement populaire qui renversera la monarchie pour la remplacer par des
villages communistes ; il voudrait substituer aux mariages des unions libres ;
il ne jure que par la rationalité, la science et par une compréhension
matérialiste du monde ; et, enfin, le pire crime de tous, il affirme clairement
l’inexistence de Dieu. Bref, à lui seul, ce penseur isolé écrivit presque la
somme totale de ce que sera ce XVIIIe siècle philosophique qu’il
inaugure." (p.106)
"Meslier écrit mal. Son
style est lourd, long, lent, et surtout, ennuyeux. Sa plume est laborieuse,
sans beauté, ses phrases boiteuses, et les nombreux extraits des auteurs qu’il
cite sont de lecture plus agréable que son texte lui-même. […] Le sujet même du
texte fut probablement un frein à une notoriété officielle. Même si de
nombreuses copies manuscrites clandestines du Mémoire prirent place dans les bibliothèques des Grands du XVIIIe
siècle, le contenu extrêmement licencieux de cette œuvre dût lui conférer une
aura de « possession honteuse », dont on parle seulement à ses amis les plus
intimes, et encore. Et, quatrièmement, il y eut également le destin peu commun
de la diffusion du Mémoire, subissant
trahisons et travestissements. D’abord se vendant sous le manteau dans des
versions manuscrites souvent abrégées, Voltaire en fit publier une version
imprimée encore davantage écourtée et au message édulcoré, l’athéisme de
Meslier y devenant le déisme de Voltaire. Comme si cette trahison n’était pas
suffisante, de très nombreux éditeurs vendirent Le bon sens, de d’Holbach, sous le titre du Testament du curé Jean Meslier, jusqu’au moins en 1961 ! Mais nous
avons aujourd’hui, heureusement, la chance de redécouvrir le texte original du Mémoire, grâce à l’édition de 1970,
dirigée par Roland Desné, et basée sur ce qui seraient les manuscrits originaux
conservés à la Bibliothèque Nationale française dans le Fonds français des
manuscrits. Ce qui nous permettra très certainement de reconnaître à ce penseur
la place qui lui revient dans l’histoire des idées." (p.107)
"Nous oserons même
avancer que Meslier est le penseur qui symbolise le mieux l’émotivité
sous-jacente de la France rurale de la fin XVIIe, et début XVIIIe siècle. Il
mène une double vie : à la fois curé de campagne qui s’adonne aux tâches d’une
existence publique des plus banales, et philosophe critique qui s’acharne, dans
le plus grand secret, à une critique radicale de la pensée dominante de son
époque. Ainsi tiraillé entre la résignation et la révolte silencieuse, il
représente à merveille la condition populaire de son époque : encore figée dans
les vieilles traditions comme dans des fers, mais ressentant une indignation
grandissante et un inavouable désir de liberté. Ce curé, qui est-il donc ?
Baptisé le 15 juin 1664 à
Mazerny, il est « fils d’un marchant
possédant quelques terres, sachant écrire et jouissant, dans son village, d’une
bonne réputation ». Nous devons comprendre la position sociale de son père
comme étant celle d’un petit bourgeois qui, aujourd’hui, passerait pour être de
la classe moyenne. À cette époque où les paysans étaient tous très pauvres,
posséder un petit pécule donnait à la personne une certaine importance. Cette
classe de petits commerçants fournissait à l’époque la majeure partie du bas
clergé ; ce que sera, justement, Jean Meslier." (p.108)
"Il faut savoir qu’à
l’époque, être membre du clergé assurait des revenus supérieurs à la majorité
de la population. Et si le bas clergé bénéficiait de revenues relativement
confortables, le haut clergé, lui, vivait dans une grande opulence qui
contrastait de manière obscène avec la grande pauvreté des paysans. Il faut
aussi savoir qu’à cette époque entrer au séminaire comportait des coûts : il
fallait pouvoir garantir une rente au séminariste pour qu’il puisse pourvoir à
ses besoins tout au long de ses études sans qu’il ne doive travailler. C’est
pour cette raison que les curés de campagne ne provenaient pas de la
paysannerie, ceux-ci étant incapables d’en défrayer les coûts exigés.
Jean Meslier deviendra donc
curé d’Étrépigny et de Balaive le 7 janvier 1689 ; il est alors âgé de 25 ans.
Il y passera le restant de sa vie, consacrant 40 années à ses charges
cléricales. On retiendra principalement de sa vie une courte période
d’accrochages avec les autorités temporelle et spirituelle.
Le seigneur de sa région,
Antoine de Toully de Cléry, ayant maltraité des paysans, provoqua l’indignation
et la colère du curé Meslier. Ce dernier osa dénoncer les agissements du
seigneur, au su et au vu de tous pendant son sermon dominical, et réprouver ses
abus. Le noble, attaqué publiquement, alla s’en plaindre au supérieur de
Meslier, qui exigea de ce dernier la correction qui s’imposait. Dès le dimanche
suivant, Meslier récidivait, renforçant même sa critique « contre les seigneurs
et les grands du monde ».
Suite à une nouvelle plainte
du seigneur, le curé rétif sera condamné par son archevêque à un mois de
réclusion au séminaire. Cette confrontation avec le seigneur local n’est pas
l’unique raison pour laquelle Meslier fut réprimandé. En effet, son supérieur
lui reprochait également de nombreux autres comportements.
Dans son rapport de 1716,
l’archevêque de Mailly reproche au curé Meslier, entre autres choses, d’avoir
comme servante une jeune femme d’à peu près 18 ans, alors que l’Église exige
que les servantes soient d’âge canonique. Pour la petite histoire, soulignons
que cet archevêque, soucieux des bonnes mœurs du curé d’Étrépigny, décèdera le
corps complètement rongé par une « maladie honteuse » ! Celui-ci reproche
également au curé Meslier de ne pas entretenir ses églises qui menacent de
tomber en ruines, de ne pas faire ses comptes, d’avoir osé placer des bancs
pour des bourgeois là où il ne devrait y avoir que celui du seigneur, et de ne
pas avoir fait payer pour ces bancs, de distribuer aux enfants des hosties non
consacrées, et sans les faire payer, et, aussi, on lui fait grief d’être «
ignorant, présomptueux, très entêté et opiniâtre, […] négligeant l’église […] ;
il se mêle de décider des cas qu’il n’entend pas, et ne revient pas de son
sentiment ».
De tout ce rapport très
négatif ressortent tout de même deux points positifs : il est « homme de bien
», ce qui signifierait, selon Roland Desné, qu’il mène « une vie régulière (ne
s’enivrant pas, ne jouant pas aux cartes, ne se battant pas avec les paysans) »
et serait aussi un bon maître d’école." (pp.109-110)
"Un bref survol des
rapports de l’archevêque de Mailly qui, en 1716, fit la visite des cures de la
région, nous présente un portrait d’un bas clergé récalcitrant. Les différents
curés de la région sont ainsi décrits : « revêche,
pas assez soumis, ignorant, arrogant, raisonneur, fort entêté, résistant,
processif, ne voulant pas se conformer aux ordres, opiniâtre, ne se soumettant
nullement, fort négligeant, très peu exact, un peu brouillon, s’absente
souvent, a bien des plaintes contre lui, il est haut, caché, aime les gens qui
résistent aux supérieurs, soupçonné de faire entrer les livres interdits, toute
la paroisse criait contre lui, rebelle ».
Ainsi compris, le curé
Meslier n’était pas un cas à part, mais plutôt un membre du bas clergé très
représentatif de son milieu. Ce qui le distinguera cependant des autres
curés, c’est le témoignage de sa vie secrète de philosophe qu’est son Mémoire.
Nous ne pouvons affirmer avec exactitude le moment où la vie du curé se scinda
en deux, mais nous pouvons faire une supposition. L’idée du Mémoire dut germer
pendant sa retraite forcée au séminaire, ou peu de temps après, lorsque le fier
curé réalisa le pouvoir qu’avaient sur lui la noblesse et le haut clergé. Se
voyant dans l’obligation de plier l’échine, sa colère au travers de la gorge,
l’écriture de son Mémoire ne pouvait
faire autrement que lui apparaître comme le parfait exutoire. Mais de quelle
colère s’agit-il ici ?" (p.111)
"Les conditions de vie
des paysans de la Champagne de cette époque étaient pénibles. Ils travaillaient
très fort aux champs pour se faire prendre la plus grande part de leurs efforts
par les nombreux et lourds impôts, taxes, dîmes, quêtes et droits seigneuriaux.
Ces prélèvements énormes laissaient les paysans pratiquement sans moyens de
subsistance lorsque les récoltes étaient mauvaises, ou que la spéculation
faisait trop grimper les prix des denrées alimentaires. Malgré le fait qu’ils
étaient les producteurs de la nourriture, les famines et les disettes étaient
le lot de leur vie. Cette précarité ne touchait cependant pas les nobles
et le clergé, ainsi que la bourgeoisie, qui toujours les premiers, prenaient
leur part, sans se soucier du sort des paysans.
Et comme si cette situation
malheureuse et choquante n’était pas suffisante, la région de Champagne, étant
frontalière, subissait aussi les conséquences des guerres qui perduraient «
depuis celle de Trente ans, avec son cortège de pillages, d’incendies et de
massacres ». Des villages non loin d’Étrépigny « furent mis à sac » en 1641 et
en 1657, et ces mauvais souvenirs restaient frais dans la mémoire populaire. Et
quand ce n’était pas les soldats ennemis, c’étaient les soldats de leur propre
roi qui pillaient les villages, et qui battaient, violaient ou tuaient les
paysans sans défenses, comme nous l’illustre d’ailleurs certains documents du
début du XVIIIe siècle.
Dans ce contexte
où tout le poids de l’État reposait sur les paysans, qui devaient également
supporter le poids de la noblesse et de l’Église, subissant famines et
disettes, et sans avoir droit pour autant au respect ou à la dignité humaine,
il se répandit dans les campagnes françaises, tout au long du XVIIe siècle, de
nombreuses révoltes paysannes.
Ces soulèvements, excès spontané de colère et de désespoir, « traduisaient une conscience humiliée et une
revendication de dignité, même s’ils débouchaient sur des actes de violences
sans rationalité politique précise » [Albert Soboul, Le critique social
devant son temps, préface des Œuvres
de Jean Meslier, tome 1].
Les paysans, ignorants,
n’avaient peut-être pas les mots pour le dire politiquement, mais ils
ressentaient de plus en plus comme intolérable l’injuste sort auquel leur
société les condamnait." (pp.111-113)
"C’est donc au milieu
de la grande pauvreté rurale, non loin des crimes et des humiliations de la
guerre, face aux privilèges abusifs de la noblesse et du clergé, et de leur
mépris, que le curé Meslier ressent lui aussi cette colère toute paysanne,
franche et sans raffinements, envers cette situation odieuse qui ne peut être
davantage tolérée. De la colère, oui, mais comme de nombreux pauvres paysans,
il ressent aussi la morsure humiliante de la résignation, la peur au ventre
d’avoir à affronter la « justice » de son époque, faite de sinistres cachots,
de tortures et d’exécutions. Nous croyons donc qu’au regard de ce contexte
historique, le Mémoire de Meslier
doit être reçu par nous comme la somme de tout ce qu’il était interdit de
penser." (p.113)
"Dans la préface au Mémoire, un commentateur avance que le
communisme de Meslier est consubstantiel à son athéisme." (p.113)
"L’immense admiration
que le curé d’Étrépigny voue à Montaigne, qu’il cite régulièrement, ne pouvait
faire autrement que de l’amener à lire La Boétie. S’il ne cite pas ce dernier
textuellement (probablement parce qu’il n’en a pas d’exemplaire sous les yeux),
certains passages du Mémoire laisse peu de doute quant au fait que Meslier fut
un lecteur enthousiaste du Discours de la servitude volontaire.
C’est principalement dans sa
conclusion que Meslier rapporte trois thèses qui paraissent être directement
tirées de La Boétie. Il nous présente ainsi, premièrement, la thèse Laboétienne
selon laquelle ce n’est pas par lâcheté que les peuples endurent la tyrannie,
mais par atavisme, parce que nous acceptons comme notre nature intime la
réalité dans laquelle nous naissons. Est aussi présente, deuxièmement, la thèse
qui dépeint les tyrans comme des individus aussi faibles que n’importe quel
homme, mais qui deviennent tout puissants grâce au peuple qui, en acceptant de
les servir, « s’esclavage » lui-même ; le tyran ne faisant qu’utiliser la
propre force du peuple contre le peuple lui-même.
Et, troisièmement, Meslier
propose une façon de combattre la tyrannie presque identique à celle de La
Boétie : la désobéissance civile, l’arrêt de toute coopération avec l’autorité
tyrannique." (pp.113-114)
"Si donc la tyrannie
peut se protéger derrière la religion, une critique de la seule tyrannie ne
peut suffire à la faire s’écrouler. Pour attaquer le pouvoir des rois, il faut
d’abord réduire à néant le pouvoir qu’a la religion de justifier leurs
despotismes inhumains." (p.116)
"Le souhait premier de
Meslier est la libération des peuples, leur affranchissement des autorités
malsaines, temporelles et religieuses. Cette libération leur permettrait enfin
de regagner leurs droits humains naturels, et par cette dignité retrouvée, ils
pourraient sagement suivre les lumières de la raison humaine pour établir entre
eux justice et équité et pour perfectionner les sciences et les arts.
Et Meslier, lucide, sait
très bien que l’athéisme n’est pas la libération des peuples. Si l’athéisme se
répand dans la population, celle-ci se débarrassera certes ainsi de la
domination de ceux qui veulent être vénérés, et qui justifient leur domination
au nom de Dieu, « mais ce n’est pas assez ».
Et Meslier, ayant pourfendu
tout au long de son Mémoire la
religion en appelle, au final, à une action politique concrète : « unissez-vous donc, peuples, si vous êtes
sages, unissez-vous tous, si vous avez du cœur, pour vous délivrer de toutes
vos misères communes ».
Cette union des peuples, que
Meslier espère même planétaire, peut servir à deux objectifs : premièrement,
les peuples auraient tout intérêt à tuer leur roi et leurs princes, à « poignarder tous ces détestables monstres et
ennemis du genre humain » ; et, deuxièmement, objectif probablement tiré de
La Boétie, de ne plus coopérer avec les autorités tyranniques, de priver les
puissants « de ce suc abondant, qu’ils
tirent par vos mains de vos peines et de vos travaux ». Au-delà de la
libération morale par l’athéisme, le peuple ne pourra plus faire autrement que
de se braquer physiquement, avec violence, et de se confronter à ces autorités,
pour parvenir à sa pleine et entière libération.
Comme nous venons de le
voir, l’athéisme de Meslier semble avoir effectivement une allure de « passage
obligé » : nécessaire pour affaiblir la tyrannie honnie, mais seulement
accessoire dans l’assaut final, et violent, censé redonner aux peuples leur
dignité trop longtemps bafouée." (pp.117-118)
"Un premier abus que
dénonce le curé philosophe et qui est non seulement toléré, mais encouragé par
une Église qui s’y vautre allègrement, est l’amplitude des grandes
disproportions de conditions de vie entre les humains. Il y a là, selon
Meslier, une situation contre-nature. En effet, il est d’une évidence limpide
pour lui que tous les humains sont égaux par nature. Cette égalité mesliérienne
possède deux facettes : d’abord, nous possédons tous de manière intrinsèque les
mêmes droits à la vie et à la dignité humaine ; ensuite, nous avons aussi un
égal droit à la jouissance des plaisirs de la vie. L’inégalité grossière de la
richesse à son époque, et dont l’Église profite de manière outrancière, ainsi
que font les rois, les princes et la noblesse, sans oublier aussi quelques
hauts fonctionnaires et la bourgeoisie montante, brime de façon choquante ces
droits fondamentaux chez les paysans.
Pour notre auteur, ces
disproportions dans les jouissances sont : 1) foncièrement injustes, car elles
ne sont nullement fondées sur le mérite réel de l’individu, et, 2) odieuses,
car elles engendrent de dangereux vices autant chez les riches (la cupidité
et les méthodes condamnables d’y satisfaire) que chez les pauvres (l’envie
d’avoir sa part et les crimes pour y parvenir). Ainsi, non seulement ces
énormes disproportions de richesses sont condamnables puisqu’elles obligent la
très grande partie des peuples à vivre dans une pauvreté abjecte et laborieuse,
mais en plus, elles génèrent conséquemment une infinité d’autres maux tout
aussi nuisibles au bonheur des humains. De toute évidence, un Dieu
infiniment bon, sage et juste, ne pourrait tolérer une pareille situation parmi
ceux qu’il aime infiniment ; et cela, bien sûr, devrait valoir aussi pour
l’Église qui se prétend porteuse des divines volontés de cet Être.
Un deuxième abus que dénonce
le curé d’Étrépigny est la fainéantise qu’autorise la religion. Par «
fainéantise », entendons plutôt ici « parasitisme ». Si le premier abus
dénonçait la mauvaise répartition des jouissances, Meslier dénonce maintenant
la répartition inégale des charges du travail. Alors que les paysans, qui
travaillent très dur, se font prendre d’énormes parts de leurs récoltes et de
leur travail par de nombreux impôts, taxes, dîmes, quêtes et droits
seigneuriaux, les condamnant ainsi à la pauvreté, les nombreux destinataires de
ces prélèvements, vivant loin des soucis du besoin, ne participent même
d’aucune manière à la collectivité par un quelconque travail moindrement utile.
Ne vivant que du travail des autres, sans eux-mêmes travailler, ils parasitent
la société et ainsi l’appauvrissent. Cette attaque vise, bien sûr, les inutiles
aristocrates et les moinesses, mais encore bien davantage les opulents moines.
Pour Meslier, les moines sont la pire espèce de profiteurs qui soit. Alors
qu’ils ne travaillent à rien d’utile, ils vivent cependant dans un luxe parfois
révoltant (et ceci est même vrai des ordres mendiants !). Ils ne sont qu’un
poids de plus à porter par les pauvres paysans, déjà bien accablés, et vont
même jusqu’à oser justifier leur parasitisme social au nom d’un Dieu de bonté,
de partage, qui est venu sur Terre pour offrir aux pauvres des richesses
infinies… après la mort. Pour Meslier, les agissements des moines profiteurs
est une preuve de plus que ce que l’Église est elle-même la cause de bien des
maux et des injustices, et ne peut donc pas être inspirée par un dieu de
sagesse, de bonté et de justice infinies." (pp.120-121)
"Le troisième abus que
dénonce notre philosophe est l’appropriation individuelle des fruits de la
terre. Cette façon égoïste de faire, où chacun veut sa part, et où il la veut
la plus grosse possible au détriment de celles des autres, ne peut évidemment
pas trouver sa source dans une sagesse infinie. Il est évident pour Meslier que
la propriété privé n’est source que de vices : elle entraîne une cupidité
insatiable, l’égoïsme, et suivent alors tour à tour de nombreuses autres
méchancetés qui causent tant de maux dans le monde. Ce troisième abus
ressemble, il est vrai, au premier. Il s’en différencie cependant en ceci : si
l’Église, par exemple, profite effectivement des disproportions de richesses,
ses richesses appartiennent toutefois en commun à l’institution, et non
individuellement aux membres du clergé. La critique de l’appropriation privé
attaque donc directement les agissements immoraux des cupides bourgeois et
nobles, et attaque aussi indirectement l’Église qui ne dénonce pas cette source
de graves maux sociaux.
Une vraie bonne communauté,
faite de lois véritablement sages, jouirait en commun de ses biens, tous
possédés en commun. Bien que tous y seraient égaux, cette communauté serait «
sous la conduite […] de ceux qui seraient les plus sages, et les mieux
intentionnés pour l’avancement et pour le maintien du bien public […] ».
Pour le philosophe
d’Étrépigny, seul ce communisme villageois revêt la façon véritablement sage de
structurer les rapports sociaux entre égaux, alliant à la fois un véritable
partage équitable des biens et des jouissances, et à la fois une structure
saine de subordination (qui est nécessaire au bon fonctionnement d’un groupe)
qui n’élève pas trop ceux en autorité ni n’abaisse trop les subordonnés. Par
cette façon sage de vivre nous éviterions « les
haines et les envies entre les hommes », « les plaintes, les troubles, les séditions, les révoltes et les guerres
», « de méchants et mauvais procès », « les
fraudes, les tromperies, les fourberies, les injustices, les vexations, les
rapines, les vols, les larcins, les brigandages, les meurtres et les
assassinats… ». Pour notre curé athée, sa société est moralement
défectueuse. Pourtant, tous ces maux épouvantables dont souffrent les peuples
pourraient tout simplement être corrigés si la société était instituée selon
des valeurs de partage et d’équité." (pp.121-122)
"Passons rapidement sur
un abus bien de son époque, mais qui nous concerne moins aujourd’hui : les
distinctions de famille. Cette pratique sociale à la base de la noblesse, que
respectait l’Église, consistait à juger d’un individu selon son appartenance
familiale. Cela apparaissait tout à fait inutile et injuste aux yeux de
Meslier. Selon lui, agir ainsi ne fait qu’engendrer du mépris injustifié entre
les humains et ne relève que d’un manque de sagesse. En effet, « il faut estimer un chaqu’un pour son propre
mérite, et non pas sur le mérite, ni par le démérite, d’aucun autre ».
L’Église, accordant son respect selon la famille, perpétue donc un système
méprisant de discrimination indigne d’un message de bonté et de sagesse
infinies.
Un autre abus qui démontre
la grande défectuosité des lois que l’Église prétend détenir d’un Être parfait,
est l’indissolubilité des mariages. Pour Meslier, cette obligation ridicule du
mariage à vie ne sert qu’à rendre des gens malheureux. Quelle sagesse et bonté
infinies peut-il y avoir à obliger des gens à endurer une situation qui leur
est insupportable ? Selon notre curé philosophe, il y a beaucoup trop de
mauvais mariages. Et cette situation est malsaine sur le plan social et humain
: car de mauvais mariages font de mauvais enfants, qui à leur tour, feront de
mauvais mariages. Ainsi, grandir dans une famille où sont absents les doux
sentiments de l’amour et de l’amitié, ne prédisposent pas ces enfants à la
connaissance de leurs droits naturels, ni à celle de la dignité qui devrait
être indissociable de leur condition humaine. Les humains d’une véritablement
bonne société « laisseroient toujours
libres entre eux, l’union et l’amitié conjugale, sans contraindre ni les uns,
ni les autres […] ». Et c’est, seule, « la
bonne amitié qui seroit le principe et le motif principal de leur union
conjugale ».
Dans une société sage et
juste, les enfants ne souffriraient pas de cette situation car ils : « seroient tous élevés, nourris, et entretenus
en commun de biens publics et communs », et seraient tous instruits à
l’école publique. Puisque les richesses sont possédées en commun, et la
jouissance des fruits du travail équitablement répartie, il nous est permis
d’en tirer la conclusion suivante : le communisme de Meslier consacre la
libération des femmes ! En effet, celles-ci n’y sont plus dépendantes d’un mari
pour subvenir à leurs besoins, et n’y ont plus également la contrainte
sexuelle de risquer un enfantement trop lourd de responsabilité à assumer
seuls. Les femmes y seraient donc égales aux hommes dans les faits."
(pp.123-124)
"Avant de terminer ce
tour d’horizon de la 6e preuve, notons au passage un autre abus du catholicisme
que dénonce Meslier : le fait que la religion condamne le régicide ! Pour notre
curé libre-penseur, tuer un tyran est un acte héroïque. En effet, comment une
religion se réclamant de la bonté infinie peut-elle défendre ces rois et ces
princes, qui pillent, qui tuent, qui torturent ? Le fait que le catholicisme
qualifie de péché extrêmement grave toute tentative d’empêcher un tyran de
continuer à faire le mal, prouve sans l’ombre d’un doute que l’Église tolère
les pires injustices ; au plus grand mépris de ce que devrait représenter une
bonté infinie.
Comme nous venons de le
constater dans cette sixième preuve, Meslier lie de manière forte les
agissements concrets et condamnables de l’Église à la fausseté de son message
éthico-métaphysique. Nous devons comprendre ici les deux raisons de la colère
du bon curé d’Étrépigny : non seulement de nombreuses et choquantes injustices
accablent la pauvre population de son époque, premier moment de sa colère, mais
en plus, l’Église, détentrice unique de la référence morale, les sanctifie. La
principale fonction de la religion semble être de faire passer les injustices
commises par les grands, aux yeux du petit peuple, pour de la justice d’un
ordre supérieur. Si nous voulons donc que la population puisse prendre
pleinement conscience du triste sort qui est le sien, afin qu’elle brise ses
fers, il faudrait retirer à la religion son pouvoir d’imprimatur moral. C’est
à ce niveau qu’intervient l’athéisme de Jean Meslier. Car si nous pouvons prouver,
grâce aux lumières de la raison humaine, la fausseté de la religion, alors nous
retirons à cette dernière sa qualité de référence morale pour en affubler la
raison. Pour que le peuple se soulève, il ne reste plus qu’à prouver
l’inexistence de Dieu." (pp.124-125)
"Jamais Dieu ne s’est
publiquement montré, et toutes les lois dont il aurait la prétendue paternité
sont toujours édictées par un intermédiaire tout ce qu’il y a de plus humain.
Et la question que pose notre curé libre-penseur est : pourquoi les dieux se
cachent-ils ? Pourquoi les dieux ont-ils recourt au secret quand il s’agit
justement de faire entendre leurs exigences ?
Deux hypothèses s’offrent à
nous : 1) ou bien ces cachotteries sont un signe de faiblesse, 2) ou bien les
dieux ne désirent pas se faire voir directement par nous. Si les dieux ne
peuvent se montrer, alors ils ne sont pas ce que l’on prétend qu’ils sont, et
si c’est parce qu’il ne le veulent, alors ils ne sont ni divinement bons, ni
divinement sages. En utilisant des méthodes obscures, suspectes et qui
n’offrent aucune garantie évidente d’authenticité, les dieux ouvrent grande la
porte à la contrefaçon de leurs révélations. Pour Meslier, « il n’est nullement croiable que s’il y avoit
véritablement des dieux, qu’ils voudroient souffrir que tant d’imposteurs
abuseront de leurs noms, et de leur autorité pour tromper impunément les hommes
». Comment pouvons-nous effectivement distinguer celui qui serait un véritable
intermédiaire de Dieu, de ceux qui faussement le prétendraient pour en
revendiquer l’autorité ? Et partant de là, puisque la plupart des religions
sont de pures inventions humaines, comment distinguer celle qui serait vraiment
la volonté d’un dieu ? Peut-on trouver quelques signes de vérité qui
confirmeraient la source divine d’au moins une d’entre elles ?
Dans cette recherche,
Meslier nous fait d’abord remarquer que toutes les religions prétendent être
exemptes des erreurs et tromperies qu’elles dénoncent chez les autres, ce qui
ne peut guère nous éclairer. Autre point en commun entre toutes les religions,
c’est qu’elles affirment toutes être la seule et unique vraie religion ; ce qui
ne nous éclaire pas davantage. Il est clair pour Meslier que c’est aux
religions de prouver leur institution divine par une preuve qui soit sûre et
convaincante. Et puisque aucune d’entre elles ne parvient à dissiper les
doutes, il est alors évident que toutes les religions sont de simples
inventions humaines." (pp.126-127)
"La foi, comme type de
croyance, ce caractérise selon Meslier par deux dimensions : 1) elle doit être
ferme et assurée, c’est-à-dire qu’elle doit être impossible à changer ; et, 2)
elle doit être vécue aveuglément, c’est-à-dire qu’elle doit, non seulement être
accueillie sans aucune preuve claire et certaine de vérité, mais qu’elle doit
également être tenue pour vraie sans aucun doute, sans chercher de raisons, et
sans même que l’on désire de raisons sûres. Évidemment, une pareille croyance
ne peut d’aucune manière nous donner de certitudes valables sur le bien fondé
d’une religion plus qu’une autre. En effet, quelqu’un ayant la foi en une
religion sera tout aussi convaincu de sa vérité qu’une autre personne, par sa
foi, le sera d’une autre religion. Ainsi, la croyance inébranlable qu’une
personne peut avoir en la vérité des dogmes d’une religion, sa foi, n’est pas
un critère épistémique satisfaisant. Grâce à la foi, toutes les religions
peuvent faire passer leurs impostures pour de divines vérités, et tous leurs
illustres menteurs pour des élus inspirés de Dieu. Donc, puisque toutes les
religions sont basées sur la foi, elles ont toutes pour fondement un principe
trompeur ; et puisqu’elles ont toutes pour fondement un principe trompeur,
aucune ne peut prétendre être fondée sur une vérité divine et parfaite.
Pour Meslier, la foi n’est
pas seulement un mauvais principe de justification, c’est également une source
importante de division entre les humains. Puisque la foi est avant tout un
entêtement, et non une opinion rationnelle, le dialogue entre des croyants de
différentes religions est impossible. Chacun, selon sa foi, croit sa religion
être la seule véritable, et ne considère les autres cultes que comme des
impostures qui méritent la haine et les discriminations.
De plus, l’aveuglément que
requiert la foi pousse les hommes à parfois défendre leur religion jusqu’au
péril de leur vie, et même souvent à tuer. Pour Meslier, cela ne fait aucun
doute : à cause de la foi, les guerres de religion sont les plus cruelles.
Ceci étant dit, il devient
évident qu’un dieu qui serait infiniment bon et infiniment sage ne pourrait
avoir choisi la foi comme base de son culte. Premièrement, si un dieu s’en
remettait à la foi pour faire passer son message, il placerait les humains dans
une situation où, n’ayant aucune marque certaine de vérité, ils auraient autant
de chance de choisir la vraie religion qu’une fausse (et même plus de chances
d’en choisir une fausse, car elles seraient plus nombreuses).
Deuxièmement, choisir
d’établir un message d’infinie bonté et sagesse par un moyen qui provoque des haines,
des exclusions et des guerres, n’est certes pas là une preuve de divinité.
Donc, une religion ayant recours à la foi ne peut être une religion de source
divine ; et puisque toutes les religions ont recours à la foi, toutes les
religions sont fausses." (pp.128-129)
"Si son livre, Mémoire des pensées et sentiments de Jean
Meslier, est principalement une charge antireligieuse, nous ne devons pas
perdre de vue son caractère essentiel de pamphlet politique. En effet,
l’exercice philosophique du curé d’Étrépigny se conclut sur un appel au peuple
à se soulever, lui intimant de retrouver, par la désobéissance civile et par
l’assassinat de leur roi, sa dignité et sa liberté perdues." (p.129)
-Richard-Olivier Mayer,
"Jean Meslier : curé, athée et enragé !", chapitre 4 in Josiane
Boulad-Ayoub & Alexandra Torero-Ibad (dir.), Matérialismes des
Modernes. Nature et mœurs, Presses de l’Université Laval, 2009, 347 pages.
« Le Mémoire […] justifie sa
démarche par des motivations propres au mouvement des Lumières. […] La volonté
de domination a produit toutes les souffrances qu’endure le genre humain. La
seule façon de s’en débarrasser est de propager les lumières naturelles de la
raison, afin que les peuples de la Terre se délivrent des tyrans. […] Meslier
est en tout cas le premier matérialiste à s’indigner de la condition des
classes populaires et à faire de cette révolte un désir de vérité. »
(p.307)
« Les différentes maximes de la morale chrétienne conduisent à défendre
l’injustice et à laisser intact l’oppression du faible : « aimer ses
ennemis » ; « souffrir paisiblement les brimades » ;
« ne pas résister aux ennemis », etc. Cette morale ne tend qu’à
perpétuer les positions des dominants. » (p.311)
« Certes une société a besoin de chefs. Il faudrait que le peuple contrôle
les rois, et que ceux-ci n’agissent qu’avec son approbation. Ainsi, les
guerres de conquête, les impôts excessifs et les brimades seraient empêchés. »
(p.312)
« Si l’espace a été créé, où se trouve son créateur juste avant qu’il le
fasse exister ? Il ne peut que se trouver nulle part, sinon l’espace
aurait existé avant la création. Mais ce qui est nulle part, est incapable de
mouvement ; et ce qui ne se déplace pas, ne peut pas agir. Le mouvement
est en effet indispensable aux modifications de l’être, comme il est
indispensable à un supposé créateur […] Ainsi, Meslier reprend le principal
central du matérialisme antique : le non-être ne peut créer l’être. […] Un
être sans consistance matérielle est voué à demeurer indéfiniment dans le même
état, étranger au mouvement et à l’action. […] Dès lors, la matière ne peut se
mouvoir que d’elle-même. » (pp.313-314)
« Meslier renoue avec un immanentisme radical parce qu’il est le versant
philosophique de ses aspirations égalitaires. Qu’est-ce que le matérialisme
de Jean Meslier ? La traduction conceptuelle de l’équité naturelle :
une égalité absolue au sein de la matière. » (p.320)
« On ne sait pas si Meslier a lu Épicure. [...] Toutefois, il connaît
certains passages de l'œuvre de Lucrèce, grâce aux citations faites par
d'autres auteurs, comme Montaigne. » (note 4 p.404)
-Pascal Charbonnat, Histoire
des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages.
Post-scriptum : Ce qui est très frappant dans la philosophie de Meslier, c’est qu’on y trouve tout de suite, donné en une fois, d’un coup, l’humanisme radical donc il a été question à propos du marxisme, dans toutes ses conséquences.
C’est dans le même mouvement que Meslier affirme le droit de l’Homme à la recherche du bonheur et la nécessité de combattre et renverser toutes les illusions idéologiques, aliénations et barrières sociales qui font obstacles à son épanouissement. La volonté de bien-être, d’autonomie, de dignité, de non-domination, de considération, appelle immédiatement et sans demi-mesures ou compromis la révolte. L’autonomie dans la pensée appelle l’autonomie sociale, la démocratie et l’égalité des sexes.
Il y a un véritable effet de cascade, ou, pour employer un concept simondonien, une transduction qui s’opère depuis le matérialisme jusqu’au communisme démocratique de Meslier. On pourrait dire qu’avec sa doctrine matérialiste, Meslier a porté un coup mortel à la signification centrale de l’imaginaire social d’Ancien Régime. Comme l’explique Castoradis, « d’un changement dans ces significations centrales peut donc découler une évolution de l’ensemble, le changement se répercutant, par le biais des significations secondaires, dans tous les aspects de la vie quotidienne, depuis l’organisation de la société jusqu’aux identités, la façon d’envisager le réel ou aux interactions entre individus et entre l’individu et le monde. » (Sara Calderon, Quels enjeux pour les nouveaux imaginaires du féminin ?).
Avec le matérialisme, il n’y a plus d’inégalité ontologique radicale entre les êtres. Il n’y a plus une forme immatérielle fécondant une matière seconde et passive, modèle métaphysique de tous les rapports de domination (maître / esclave ; seigneur / serf ; suzerain / sujet ; Dieu / créature ; clergé / croyant ; patriarche / mère au foyer ; colon / colonisé ; patron / salarié ; etc. etc.) –comme l’a montré Simondon dans sa critique du schème hylémorphique.
On peut vraiment dire que Meslier a eu la révélation d’un programme de libération dont l’ampleur appelait l’effort de plusieurs siècles, jusqu’à notre époque incluse. Durant les 250 ans qui ont suivi la mort de ce visionnaire, des millions, des dizaines de millions de femmes et d’hommes à travers le monde sont arrivés aux mêmes conclusions, partiellement ou en totalité. C’est en partie ainsi que l’Ancien régime a laissé la place au monde moderne.
PS: On pourra lire le billet d'Axel Evigiran sur le même auteur. La place donnée aux animaux par Meslier est particulièrement digne d'intérêt.
C’est toujours un peu étrange d’avoir à lire l’équivalent de 20 ou 30 pages sur un blog. Mais c’est votre choix éditorial...
RépondreSupprimerJe crois que Michel Onfray s’est souvent référé à l’abbé Meslier. Le combat de Meslier était sans doute légitime à son époque. Mais maintenant… Nous en avons eu des révolutions depuis ! C’est amusant d’ailleurs, Onfray qui a commencé d’extrême gauche nietzschéen bouffeur de curés finit nationaliste conservateur et passe son temps à disserter sur la dérive de l’Église catholique. Cela montre bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le logiciel d’extrême gauche !
Pourquoi être surpris cher Laconique ? Onfray a fait sa thèse (ce qui est déjà surprenant...) sur les pensées pessimistes de Schopenhauer à Spengler, et manifestement ce n'était pas pour dénoncer les philosophies de droite et ce qu'elles ont fait à l'Allemagne... (Schopenhauer est l'un des rares philosophes, avec Fichte, dont Hitler se soit déclaré sympathisant).
SupprimerSouvenez-vous, nous en parlions déjà il y a quelques années. Vous m'écriviez alors que le sieur Onfray n'était pas attiré par les honneurs et l'argent. S'agissant de quelqu'un qui a démissionné de l'éducation nationale pour mieux courir les plateaux télés et pondre 2 livres par an de 400 pages (souvent fort mauvais), je suis très dubitatif...
A mon avis Onfray n'a jamais été d'extrême-gauche. C'est un proudhonien, mais Proudhon n'a que très partiellement servi de référence à l'anarchisme ultérieur, de part ses côtés conservateurs, chauvins, patriarcaux et antisémites. Inversement, il y a eu toute une histoire de reprise de Proudhon par l'extrême-droite, depuis Maurras et le cercle Proudhon
jusqu'à ce demi-habile de Thibault Isabel. Quand on peut impunément encensé un auteur dans Le Figaro, c'est qu'il n'est pas de gauche radicale. La droitisation d'Onfray avec les années n'a donc vraiment rien d'imprévisible.
Par contre, je cherche encore la cohérence lorsqu'on passe de soi-disant positions anarchistes à la défense de la souveraineté nationale. Tous le monde peut changer d'avis, mais pourquoi Onfray veut-il maintenant un Etat national fort alors qu'il faisait hier des procès en jacobinisme à un Mélenchon ? ...
Pour revenir à Meslier, je ne crois pas que tout soit terminé (en histoire il n'y a guère de choses qui soient tout à fait terminées), que la France de 2021 soit pleinement démocratique, débarrassée des aliénations religieuses, des rapports de domination, ou inspirée par une sensibilité communiste hostile aux inégalités et à l'accumulation de propriété au détriment du travail d'autrui... Ce sera d'ailleurs l'objet de mon prochain billet.
Ma foi, votre généalogie du parcours de Michel Onfray est brillante, et je vous crois sur parole, je ne connais pas du tout Proudhon. Pour autant je ne pense pas qu'Onfray soit opportuniste, son positionnement récent est très clivant, et en tout cas pas vraiment politiquement correct. Je le crois sincère, et son évolution me paraît surtout manifester la faiblesse existentielle de ses positions antérieures : c'est facile de détruire les idoles quand on a trente ans, mais quand on se heurte à la vérité de la vie, quand on rentre dans le dur, quand on atteint un certain âge et qu'on perd sa compagne comme ça a été le cas pour Onfray, il me semble compréhensible de revenir à son atavisme paysan et catholique, à la terre et à l'Eglise, qui ont quand même plus de consistance que toutes les "jubilations sensibles" qu'il vantait tant jadis, mais qui ne sont en fait que du vent, que des mots, et totalement conformistes pour le coup.
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