dimanche 11 juillet 2021

De la pertinence de la vie heureuse comme norme éthico-politique universelle

 

« A l'individu, dès lors qu'il cherche son bonheur, on ne doit pas imposer de prescriptions sur le chemin qui y mène. Car le bonheur individuel procède de lois propres à chacun et que tous ignorent, il ne peut qu'être empêché et entravé par des prescriptions venues du dehors. Les prescriptions que l'on appelle "morales" sont en vérité dirigées contre les individus et ne visent absolument pas leur bonheur. Ces prescriptions se rapportent tout aussi peu au "bonheur et au bien-être de l'humanité", termes auxquels on ne peut aucunement associer des concepts rigoureux, et qu'on peut encore moins utiliser comme étoiles pour se guider sur le sombre océan des aspirations morales. »

(Friedrich Nietzsche, Aurore. Pensées sur les préjugés moraux, trad. Éric Blondel et all., Paris, GF Flammarion, 2012 (1881 pour la première édition allemande), 419 pages, §108, pp.104-105).

 

Dans la philosophie des Lumières, et chez des auteurs aussi différents que Voltaire, Rousseau, Condorcet, Diderot ou d’Holbach, le bonheur constitue la valeur éthico-politique éminente. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) affirme solennement que le bonheur, cette « idée neuve en Europe » (Saint-Just, Discours du 3 mars 1794), constitue le but final en vue duquel sont proclamés les nouveaux principes constitutionnels.

A l’inverse, les pensées réactionnaires, obscurantistes et anti-Lumières n’ont jamais manqué de condamner le bonheur comme un idéal ou impossible, ou vide de sens, ou encore médiocre et mesquin.

Kant a joué un rôle important dans l’éviction de l’eudémonisme de la philosophie morale moderne, en soutenant qu’« on ne peut en aucun cas fonder la morale sur le bonheur, car il n’y a pas de loi universelle du bonheur » (Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Kant, Ellipses, 2007, 192 pages, p.34). Kant –qui ne semble pas distinguer très clairement plaisir et bonheur- accepte la prémisse anthropologique de l’eudémonisme téléologique suivant laquelle « Etre heureux est nécessairement ce à quoi aspire tout être raisonnable » (Kant, Critique de la raison pratique, traduction Jean-Pierre Fussler, 2003, p.118). Mais il refuse de partir de cette universalité empirique pour fonder des normes morales universelles, parce que, selon lui « Ce en quoi chacun peut placer son bonheur, cela dépend du sentiment de plaisir et de peine propre à chacun [...] Des préceptes pratiques qui se fondent sur ces principes ne peuvent jamais être universels, car le fondement de la détermination de la faculté de désirer repose sur le sentiment de plaisir et de peine dont on ne peut jamais supposer qu'il vise universellement les mêmes objets. » (pp.118-119) ». Il ose même prétendre que « Ce qui procure un avantage vraiment durable est toujours, si cet avantage doit être étendu à l'existence entière, enveloppé d'une obscurité impénétrable. » (p.135).

Par la suite, l’idéalisme allemand n’est pas revenu de ces idées (cf Ludwig von Mises, 1927). La philosophie morale française des 19ème et 20ème siècles, peu développée, s’inscrit largement dans cet l’héritage kantien. 

En Allemagne, l’eudémonisme a ensuite été tourné encore plus nettement en dérision par les philosophies pessimistes de Schopenhauer et Nietzsche –ces kantiens radicalisés…- puis des droites radicales de la fin du 19ème siècle et de la Révolution conservatrice allemande.

Pourtant, la science contemporaine apporte à la philosophie morale eudémoniste des arguments forts pour rejeter ces objections et continuer à faire du bonheur un idéal normatif dense, apte à définir des normes universelles.  

Les notes qui suivent sont issus d’un article du sociologue hollandais Ruut Veenhoven, qui a joué un rôle majeur dans l’établissement d’organes de recherche scientifiques internationaux consacrés à l’étude du bonheur humain. Ses recherches amènent à contester l’idée que les différences (biologiques, culturelles, historiques, etc.) entre les individus rendraient impossibles d’identifier des conditions générales favorables au bonheur de tout être humain.


"Le bonheur ne serait qu'un concept insaisissable et non mesurable. En conséquence, il ne serait pas possible de prévoir les effets des divers comportements sur le bonheur, donc de vérifier suppositions ou hypothèses. D'autres considèrent le bonheur comme un trait immuable qui ne pourrait être modifié. [...]
Le bonheur ne serait que plaisir ou illusion et ne vaudrait rien en lui-même ; il ne pourrait donc pas constituer une fin éthique ultime
." (pp.2-3)

"Comment se tiennent ces objections face au test empirique ? Je présenterai d'abord la recherche empirique récente sur le bonheur après quoi je confronterai les objections à la lumière de ces résultats." (p.3)

"En psychologie, le concept a servi la recherche en santé mentale. Jahoda (1958) considérait le bonheur comme un critère de « santé mentale positive » de sorte que des items relatifs au bonheur firent partie des enquêtes épidémiologiques classiques (Gurin, Veroff et Feld, 1960; Bradburn et Caplovitz, 1965). À cette époque, Cantril (1965) introduisit l'évaluation du bonheur dans sa fameuse étude transnationale (« Human concerns »). Il en fut de même en gérontologie où le bonheur devint un indice de « vieillissement réussi » (Neugarten, Havighurst et Tobin, 1961). Vingt ans plus tard, le concept fit son apparition dans la recherche médicale, le bonheur étant un item courant dans les questionnaires sur « la qualité de vie relative à la santé » (par exemple, le SF-36; Ware, 1996). Plus tardivement, les économistes Oswald (1997) et Frey et Stutzer (2000) se sont intéressés au bonheur." (p.4)

"À date, 3000 rapports de recherche ont été publiés et le nombre de publications croit de façon exponentielle.
La recherche sur le bonheur s'est structurée au cours des dernières années. C'est ainsi qu'est née l'
International Society for Quality of Life Studies [...], le Journal of Happiness Studies et que les résultats de recherche sont regroupés dans le World Database of Happiness." (p.4)

« Qu'est-ce donc que cette « satisfaction » ? Voilà encore un terme à significations multiples que nous allons clarifier à l'aide du schéma du Tableau 2. Il est basé sur deux distinctions: verticalement, on distingue la satisfaction relative aux « domaines » de la vie et celle relative à la « vie-dans-son-ensemble »; horizontalement : on distingue la satisfaction « passagère » et la satisfaction « durable ». Cette double partition donne une taxonomie de quatre catégories.

Plaisir.
La satisfaction transitoire relative à un domaine de la vie est appelée « plaisir ». Les plaisirs peuvent être sensoriels, comme un verre de bon vin, ou mentaux, comme lire ce texte ! L'approche consistant à vouloir maximiser ces satisfactions a pour nom « hédonisme ».

Satisfaction relative aux domaines de la vie.
Pareille satisfaction se rapporte à certains domaines, comme la vie au travail. Le terme bonheur est parfois utilisé en ce sens, en particulier pour la satisfaction dans la carrière.

Expérience-sommet.
La satisfaction transitoire relative à la vie-comme-un-tout est appelée « expérience-sommet », en particulier lorsqu'elle est intense et « océanique ». Lorsqu'ils parlent du bonheur, les poètes décrivent une expérience de ce genre. Par ailleurs, les écrits religieux réfèrent au bonheur dans un sens d'extase mystique. Le terme « illumination » décrit parfois ce type de satisfaction.

Satisfaction de vivre.
Cette « satisfaction de vivre » correspond à la satisfaction durable relative à sa vie-comme-un-tout et est communément désigné par le terme « bonheur ». C'est cette sorte de satisfaction que Bentham avait en tête quand il définissait le bonheur comme « la somme des plaisirs et des peines ». J'ai expliqué ce concept ailleurs et [l'ai] défini comme « l'appréciation globale de sa vie-comme-un-tout » (Veenhoven, 1984, 2000a).

À mon sens, c'est cette satisfaction de vivre qui est la plus appropriée comme but des politiques publiques. De toute évidence, la satisfaction durable est plus valable que la satisfaction passagère de même que la satisfaction pour l'ensemble de sa vie par rapport à celle qui se rapporte à un seul domaine. [...]

En somme, le bonheur peut se définir comme « l'enchantement global de sa vie-comme-un-tout »." (pp.6-7)

"Même s'il y a un substrat biochimique à l'expérience, on ne peut mesurer le bonheur sur la base d'indicateurs biochimiques, « l'hédomètre » n'existant pas encore. Des états extrêmes de bonheur et de malheur se manifestent dans le comportement non verbal comme le sourire et la posture corporelle, mais ces indices ne sont pas toujours apparents. Restent les évaluations auto-rapportées (self-reports). Peuvent-elles mesurer adéquatement le bonheur ?

Il y a plusieurs critiques à propos des mesures auto-rapportées : les gens peuvent difficilement voir l'ensemble de leur vie, les défenses psychologiques faussent le jugement et la désirabilité sociale enjolive les réponses. En raison de ces biais potentiels, les premiers chercheurs ont eu recours aux méthodes indirectes : entrevue clinique, analyse qualitative des journaux personnels et techniques projectives (comme le test d'aperception thématique). Ces méthodes sont laborieuses et leur validité est parfois problématique. Voilà pourquoi les questions directes ont été fréquemment utilisées. La comparaison attentive des méthodes a démontré que l'approche directe fournit la même information à moindre coût (Wessman et Ricks, 1966)." (p.7)

"Les réponses aux questions sur le bonheur ne seraient pas comparables, un score de 6, par exemple, ne signifiant pas la même chose pour tous. Selon une argumentation philosophique commune, le bonheur dépendrait de la satisfaction des désirs, ceux-ci variant selon les personnes et les cultures (Smart et Williams, 1973). Rien n'est moins sûr, car la théorie stipule plutôt que le bonheur dépend de la gratification des besoins universels et non des désirs idiosyncratiques (Veenhoven, 1991). Je reviendrai sur ce point dans la discussion sur la « fonction de signal » du bonheur.

On objecte également que le bonheur est un concept typiquement occidental qui ne serait pas reconnu dans les autres cultures. Absolument pas : le bonheur est une émotion universelle qui se reconnaît dans l'expression faciale partout dans le monde (Ekman et Freesen, 1975) et qui s'exprime dans toutes les langues.

De plus, le bonheur serait une expérience unique qui ne pourrait se traduire sur une même échelle. D'un point de vue évolutionniste, c'est très peu plausible que les humains soient si différents ; il existe plutôt un éventail commun d'expériences, comme c'est le cas pour la douleur, par exemple. [...]
En somme, le bonheur conçu comme satisfaction de vivre est mesurable par des questions directes et est comparable entre personnes et entre cultures
." (pp.9-10)

"La Figure 1 présente la distribution des réponses à la question portant sur la satisfaction de vivre aux États-Unis. Les réponses les plus fréquentes se situent à 7, 8 et 9 (sur 10); moins de 2 % des scores sont sous le point milieu et la moyenne est de 7,4. Ce résultat signifie que la plupart des gens se sentent heureux la plupart du temps. Il est corroboré par des études annuelles qui se sont prolongées sur plusieurs années (Ehrhardt, Saris et Veenhoven, 2000) et par des études ayant utilisé la technique de l'échantillonnage de l'expérience (Schimmack et Diener, 2003). Le bonheur pour un grand nombre Un haut niveau de bonheur n'est pas unique aux Etats-Unis. Le Tableau 3 fait voir des moyennes semblables dans plusieurs autres pays occidentaux. En général, la moyenne du bonheur a tendance à se maintenir au-dessus du point milieu dans la plupart des pays." (p.9)

"Le Tableau 3 montre également que la moyenne du bonheur est sous le point milieu dans la Russie de 1995. Des résultats semblables ont été observés dans la majorité des états qui ont connu le régime soviétique. Cela s'expliquerait par les transformations sociopolitiques survenues dans cette région. Des moyennes semblables apparaîtraient également dans les pays en guerre en Afrique (comme l'Ouganda) et au Moyen Orient (comme en Irak)." (p.10)

" Les conditions sociales du bonheur furent l'objet d'une intense recherche. Dans ce secteur, on distingue le niveau macrosocial — dans quelle sorte de société les gens sont-ils plus heureux ? — et le niveau microsocial — quel niveau de bonheur connaissent-ils selon leur statut social? Il y a très peu de recherches au niveau mésosocial, comme pour l'organisation du travail, par exemple.
[...] Les gens sont plus heureux dans les pays riches que dans les pays pauvres, le bonheur est plus élevé dans les pays caractérisés par un état de droit, la liberté, la citoyenneté participative, la pluralité culturelle et la modernité
." (p.10)

"Ces résultats appuient la théorie selon laquelle le bonheur dépend largement des conditions de vie qui répondent aux besoins humains universaux (théorie de la viabilité). Ils ne conviennent pas à la théorie qui fait dépendre le bonheur des désirs variables selon les cultures (théorie de la comparaison) ou du bonheur accroché aux idées spécifiques que les gens se font à propos de la vie (théorie du folklore)." (p.11)

"Le bonheur peut être créé et amélioré en favorisant la participation sociale et les réseaux primaires, autrement dit en créant du « capital social »." (p.11)

"Une bonne santé est importante, mais que la santé mentale l'est encore plus (c'est universel). L'intelligence — du moins « l'intelligence scolaire » telle que mesurée par les tests de QI — n'est pas associée au bonheur." (p.11)

"Les gens heureux sont plus ouverts au plaisir et plus enclins à adopter des valeurs sociales telles la solidarité, la tolérance et l'amour." (pp.11-12)

"Des politiques publiques peuvent créer des conditions productrices de bonheur, comme la liberté, tandis que la thérapie et l'éducation peuvent contribuer à améliorer des caractéristiques personnelles favorables au bonheur, comme l'autonomie." (p.12)

"La théorie selon laquelle le bonheur est relatif est tout simplement fausse." (p.12)

"Adorno décrivait le bonheur comme une fuite temporaire de la réalité; aussi le rejetait-il pour cette raison (Rath, 2002). Dans ce cas, le bonheur est confondu avec l'expérience-sommet (ou hors réalité). En fait, la satisfaction de vivre n'est justement pas une évasion. La recherche démontre qu'elle est liée à la maîtrise de la réalité.

Le bonheur a également été identifié au succès social et, sur cette base rejeté comme un comportement conformiste illustré par la course au succès [...] Cette critique peut s'appliquer à la satisfaction dans le domaine de la carrière (quadrant en haut à droite du Tableau 2), mais non à la satisfaction relative à sa vie-comme-un-tout. De fait, les gens heureux tendent à être autonomes et peu matérialistes." (p.13)

"Le bonheur est fortement associé à l'activité, prédit les comportements sociaux comme l'aide à autrui et favorise les relations intimes en plus de prolonger la vie." (p.15)

-Ruut Veenhoven, « Le bonheur du plus grand nombre comme buts des politiques sociales », Revue québécoise de psychologie, 2007, vol. 28 (1), 35-60.

5 commentaires:

  1. J'ai du mal à saisir la visée de cet article, étant donné qu'il me semble que le bonheur est d'ores et déjà la norme "éthico-politique universelle". Toute la politique publique ressortit à ce que Kant appelle "les impératifs hypothétiques", c'est-à-dire orientés en vue de fin tangibles, constatables. Certaines sociétés ont pu faire passer la morale ou la religion avant le bonheur, mais ce n'est pas du tout le cas de la nôtre. Le transcendant est complètement ignoré au profit de la santé et du bien-être, il n'y a qu'à voir la manière dont les cultes ont été traités lors du confinement de mars 2020. L'étude de M. Venhoveen me paraît se situer davantage sur le plan de la médecine que de la morale : les gens heureux vivent plus longtemps, sont plus empathiques, certes. Mais sur le plan moral et philosophique Kant ne me semble pas du tout réfuté : faire du bonheur le principe suprême de la morale (eudémonisme) c'est ramener la vie à une immanence sans issue, c'est rabaisser la dignité de l'homme qui n'est plus un sujet libre et créateur de valeurs, mais un organisme qui doit tendre vers un état physiologique prédéterminé et universel, c'est poser qu'il n'y a rien au-dessus du bonheur (donc pas de sacrifice possible pour des valeurs supérieures), c'est donner une direction prédéfinie à la liberté, donc nier en fin de compte la liberté. Cela me semble indéfendable sur le plan philosophique, et les philosophes comme les penseurs se revendiquant du christianisme ne s'y sont pas trompés. Les habitants du Meilleur des Mondes d'Adlous Huxley sont très heureux, doit-on pour autant tendre vers une société de ce type ? Voir ce billet : https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/aldous-huxley-1894-1963-john-le-232504

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    1. Bonjour cher Laconique.
      Je ne suis pas l'auteur de ce billet mais je peux répondre à ma façon à votre objection.

      1) Effectivement, le "bonheur" est un terme assez vide de sens. Dans ma pensée, la seule utilité de cette notion est de prouver l'existence d'un bien objectif et déterminé (cf le PDF sur le sujet de l'auteur de ce sujet). Bref, il est un élément dont l'existence assure l'existence de la question morale (du bien).

      2) Mais comment faire ? En effet, dire à un dépressif "Bah t'as qu'à chercher le bonheur pour être heureux" ne l'aidera pas : le "bonheur" est dans le raisonnement uen sorte d'objet théorique, intermédiaire de raisonnement. En pratique, notons que dans le raisonnement que je citai, on peut voir que "recherche du bonheur = nature humaine". Pour avoir un savoir pratique sur le bonheur (c'est ça qui compte en définitive), il faut donc savoir ce qu'est la nature humaine pour vouloir la réaliser (car de toute manière, on n'y échappera pas, donc autant faire de son mieux pour la réaliser).

      A ce moment là, notons que deux définitions de la philosophie deviennent synonyme : philosophie comme recherche de comment aboutir au bonheur, et philosophie comme recherche de la nature humaine.

      3)A partir de là, on peut dire des tas de choses intéressantes.

      Exemple 1 : l'être humain est intrinsèquement un être religieux (cf les "athées" qui finissent scientistes, marxistes, etc, autant de religions). Il a besoin que ses rapports au monde soient divinisés (cf le naturalisme et son lien avec le christianisme, le paganisme et son lien avec le holisme antique, cf le totemisme, etc). Pourquoi ? Je ne sais pas, je me contente d'observer. Ainsi, pour être heureux (=réaliser sa nature humaine), un homme A BESOIN DE TRANSCENDANCE.

      Exemple 2 : L'homme (en tant qu'individu) fait partie d'entités comme sa famille, sa Nation, etc (qui font un peu partie de lui, je suis aliéné si je perds mes frères, si je suis exilé, etc, j'ai perdu une partie de moi-même). D'où l'idée selon laquelle il faut "aider" ces entités un peu comme on s'aide soi. Cela peut passer par la promotion de la culture de son pays. Souvent, ce sont des valeurs quelques peu idiomatiques, déterminées par les hommes, j'oserais même dire subjectives. D'où une place pour la création. Mais sans verser dasn l'excès constructiviste.

      Exemple 3 : La liberté, c'est à la fois la liberté politique, i.e le droit à l'erreur (je peux essayer d'aller contre les préceptes moraux sans trop me faire taper dessus) et la liberté métaphysique, i.e la possibilité de choisir entre diverses manières de réaliser ma nature humaine. je peux la réaliser en étant un grand technicien (puisque l'homme est aussi un être technicien), un grand théologien, en adorant conduire des voitures (acte hautement technique), tout en m'occupant de ma famille, etc. Beaucoup de voies sont ouvertes et la liberté métaphysique, ce n'est pas de pouvoir faire n'importe quoi (je ne volerai jamais comme Superman, je n'aurai jamais 200kg de muscle), mais de choisir entre ces innombrables possibles.



      Qu'en pensez-vous ?

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  2. Bonjour.
    C'est intéressant tout ce que vous écrivez. Je partage la plupart de vos constats. Oui, l'homme a besoin de transcendance, et c'est précisément cette transcendance qui me semble niée dans le texte proposé par J. Razorback, qui est d'un immanentisme qui me semble assez radical. L'homme a besoin de se projeter dans autre chose que lui-même et son propre sort, son propre "bonheur". La plupart des gens ne croient pas en Dieu et transfèrent ce besoin d'absolu dans la sphère intime (couple, famille) ou politique (militantisme). Vous abordez ces deux sujets. Nous en sommes là aujourd'hui. Mais ce sont deux pis-allers. L'illusion politique s'est effondrée au vingtième siècle, et l'illusion sentimentale prend un énorme coup dans l'aile avec les nouvelles mœurs dont les médias mainstream ne parlent pas beaucoup (violences conjuguales, hypergamie féminine, célibat exponentiel des mâles, mgtows, incels, etc.). Bref le véritable enjeu est toujours le sacré, et on n'y coupera pas.

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    1. -Ayant parlé pas mal de temps avec Razorback par internet, je confirme que sa vision du bonheur est obscure. Il considère le bonheur comme une boîte noire et ne va pas plus loin, ce qui mène à une sorte d'immanentisme, oui. Ce avec quoi je suis en désaccord profond.

      -Pour la sacralisation du politique, il suffit de dire que les axiomes du politique et du religieux sont différents, si on confond les deux, on finit par être aliéné dans une idolatrie (Razorback avait écrit un document intéressant sur l’idolâtrie sur son ancien blog), d'où le malheur car on ne réalise plus sa nature humaine. Même si en Occident, nos modèles politiques se sont construits sur des modèles théologiques.

      -Quant au fait que la masse des gens ne croit plus en Dieu, c'est très faux. Regardons le succès de l'islam(isme) en France et dans d'autres contrées. Regardons le succès récent des évangélistes (en France même !) et des communautés charismatiques du Brésil, visant à rendre un sens à la vie des gens, à restaurer une Eglise qui s'est perdue en ecuménisme (et qui est devenue pure philosophie en passant, abandonnant le côté sacré, religieux, etc). En réponse à cette "perte de Dieu", la religion fait un retour en force, de manière détestable via l'islamisme, et de manière sympa via l'évangélisme et les communautés charismatiques. Le Pape François, lui, est à des lieux de la religiosité de l'avenir qui est en train d'émerger...

      -Quant à la projection hors de soi, j'ai trouvé d'assez bonnes réflexions sur le sujet qui ont changé ma façon de voir le monde. Je peux vous préparer un document sur le sujet si vous le souhaitez (par quel média vous le transmettre ?). Mieux, nous pourrions en discuter via un autre média plus pratique d'utilisation si vous voulez.

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    2. Merci pour votre réponse.

      « Nos modèles politiques se sont construits sur des modèles théologiques »
      Et vice versa pourrait-on dire. Le langage de la Bible par exemple est constitué en grande partie de la terminologie politique des différentes époques auxquelles elle a été rédigée.

      Pour le retour du religieux, je ne suis pas vraiment d’accord avec vous. Oui, il y a des manifestations diverses, une soif latente, mais aucune des expressions que vous mentionnez n’affecte réellement le cours de la société considérée dans son ensemble. L’émotionnel, le technique, le bien-être matériel continuent de dicter concrètement les lois (lois sanitaires, etc.), les modes de vie, etc. Le transcendant n’entre à aucun moment en compte dans tout cela, il ne sort à aucun moment de la sphère privée. Ce qui est sans précédent sur un plan historique.

      Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : legoutdeslettres@gmail.com. Après, je suis surtout un littéraire, et je m’intéresse à la spiritualité (Bible). Je suis bien moins philosophe et porté sur les débats idéologiques que J. Razorback.

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