vendredi 6 septembre 2024

Capes de philosophie 2024 – Commentaire de texte, Platon, République, Livre V. La nature des femmes exige-t-elle leur participation à la direction de la Cité idéale ?

Voici le texte suivi de mon commentaire, lequel reçu la note –décevante- de 6.5/20.

 

« [Socrate] : Nous sommes bien d'accord qu'une nature différente doit se consacrer à une occupation différente, et nous que la nature de la femme et celle de l'homme sont différentes. Or nous affirmons à présent que ces natures, qui sont différentes, doivent avoir la même occupation. C'est de cela que vous nous accusez ?

[Glaucon] : Oui, parfaitement.

[Socrate] : Certes, elle est imposante, Glaucon, dis-je, la puissance de l’art de la controverse !

[Glaucon] : En quoi ?

[Socrate] : C'est que, dis-je, il me semble que beaucoup de gens y succombent même malgré eux ; ils croient non pas disputer, mais dialoguer, alors qu’en fait ils ne sont pas capables d'examiner ce dont on parle en y distinguant des espèces différentes, mais s’attachent aux mots en eux-mêmes pour aller à la chasse de la contradiction dans les termes employés : c’est une dispute, non un dialogue, que la relation qu’ils ont entre eux.

[Glaucon] : En effet, dit-il, c’est bien ce qui arrive à beaucoup de gens. Mais est-ce que nous aussi ce reproche nous atteint en ce moment ?

[Socrate] : Oui, tout à fait, dis-je. Nous risquons bien, malgré nous, de nous adonner à la controverse.

[Glaucon] : Comment cela ?

[Socrate] : L’idée que des natures qui ne sont pas les mêmes ne doivent pas avoir les mêmes occupations, nous la poursuivons avec beaucoup de vaillance et de goût de la dispute, en nous rattachant aux mots, mais nous n’avons nullement examiné comment définir tant l’espèce de la nature autre que celle de la nature identique, et à quoi chacune se rapportait, au moment où nous avons attribué des occupations différentes à une nature différente, et les mêmes à la même.

[Glaucon] : Non, en effet, dit-il, nous ne l'avons pas examiné.

[Socrate] : Dès lors, dis-je, il nous serait possible, apparemment, de nous demander si la nature des chauves est la même que celle des hommes chevelus, et non pas opposée, puis, après être tombés d’accord qu’elle est opposée, s’il se trouvait que les chauves fassent les savetiers, de ne pas le permettre aux chevelus, et au cas où ce seraient les chevelus, de ne pas le permettre aux autres.

[Glaucon] : Ce serait certes risible, dit-il.

[Socrate] : Est-ce que par hasard, dis-je, ce serait risible pour une autre raison que celle-ci : parce que nous n'avons pas posé la nature identique et la nature différente au sens absolu, mais que nous n'avons pris garde qu'à l'espèce d'altérité et de similitude qui se rapporte à ces occupations mêmes ? Par exemple, nous avons pu dire qu'un homme doué pour la médecine, et un autre qui a l'esprit médical ont la même nature. Ne le crois-tu pas ?

[Glaucon] : Si.

[Socrate] : Tandis qu’un homme doué pour la médecine et un homme doué pour la charpenterie en ont une différente ?

[Glaucon] : Oui, absolument.

[Socrate] : Par conséquent, dis-je, pour le genre des hommes comme pour celui des femmes, s'il apparaît qu’ils différent pour l'exercice de tel art ou d telle occupation, nous déclarerons effectivement qu’il faut conférer cette occupation à l'un ou bien à l’autre ; mais s’ils n’apparaissent différer que sur ce seul point, à savoir que le genre féminin enfante, et que le genre masculin engendre, nous affirmerons qu'il n'a nullement été démontré pour autant que la femme diffère de l'homme pour ce dont nous parlons, et nous continuerons nous à croire que nos gardiens et leurs femmes doivent avoir les mêmes occupations.

[Glaucon] : Et nous aurons raison, dit-il.

[Socrate] : Par conséquent pourquoi ne pas inviter ensuite celui qui parle pour nous contredire à nous apprendre précisément ceci : pour quel art ou pour quelle occupation, parmi ceux qui touchent l'organisation de la cité, la nature de la femme et celle de l'homme sont non pas la même nature, mais des natures différentes ?

[Glaucon] : Oui, ce serait juste.

[Socrate] : Peut-être bien que ce que tu disais un peu auparavant, un autre aussi le dirait, à savoir que répondre sur-le-champ de façon satisfaisante, ce n'est pas de facile, mais que si on examine la question cela n’a rien de difficile.

[Glaucon] : Oui, peut-être le dirait-il.

[Socrate] : Veux-tu alors que nous demandions à celui qui nous oppose de tels arguments de nous suivre pour notre démarche, pour voir si nous pourrons lui démontrer qu'il n'existe aucune occupation qui soit propre à une femme, si l’on considère l'administration de la cité ?

[Glaucon] : Oui, certainement. »

-Platon, La République, V, 453e-455b (traduction Pierre Pachet modifiée).

***

« La dernière fois, nous avions vu comment la polémique de Socrate contre les sophistes –et en particulier contre Thrasymaque, qui niait que la vie de l’homme juste soit meilleure que celle de l’homme injuste- le conduit à décrire ce que serait une cité organisée conformément à la justice. Nous sommes maintenant au milieu du livre et nous travaillons un extrait du Livre V de la République. Platon met ici en scène un échange entre son maître Socrate et l’hôte de celui-ci, Glaucon. Le thème général du texte, ce serait quelque chose comme le principe, le critère permettant d’établir la division sociale du travail idéale. Par division sociale du travail, il faut entendre la manière dont les activités productives de richesses se répartissent entre les hommes de la société. On reconnaît ce thème du travail par les noms de métiers (les « savetiers », la « médecine »), mais Socrate parle aussi d’ « art » ou d’ « occupation ». Je prends donc le terme de travail, soit la production de richesses, dans un sens très large : production de biens et de services. Ce qui permet d’y faire rentrer les « gardiens », c’est-à-dire la caste de la cité idéale chargée d’assurer la sécurité interne et externe. Comme le texte touche aussi à la légitimité des femmes à faire partie des couches dirigeantes, on pourrait aussi dire que le thème du texte est le politique –pris dans un sens large qui déborde les institutions politiques pour englober l’ensemble de l’organisation sociale. Socrate –du moins tel que le dépeint Platon- critique l’ordre social existant à son époque, c’est-à-dire la démocratie athénienne. Il souhaite une autre organisation de la société, que d’aucun pourrait qualifier d’autoritaire ou « de droite ». Ce qui nous importe, c’est la manière dont il va le justifier. Qu’est-ce qui, en droit, c’est-à-dire idéalement, devrait déterminer l’organisation sociale ?

          Juste avant le début de l’extrait, Socrate vient d’affirmer que, dans une cité parfaitement juste, les femmes de la caste des gardiens auraient la même éducation et la même activité que les hommes de cette caste. Ces gardiens sont donc un groupe mixte. C’est une idée tout à fait provocante et même excentrique pour les contemporains de Socrate. Imaginez : des femmes dans la police et l’armée ! Cela n’existe pas à l’époque : la police est assurée par des esclaves publiques et l’armée est réservée aux citoyens adultes masculins. Il n’y a qu’à Sparte que les femmes suivent une éducation militaire. Or Sparte est la cité rivale d’Athènes. Le discours de Socrate est donc doublement choquant et incongru pour ses interlocuteurs.

          Socrate le sait, et c’est donc pour contrer par les critiques qu’on pourrait lui adresser qu’il imagine une objection qu’on pourrait lui faire. On reconnaît que c’est un discours rapporté à son usage de la deuxième personne du pluriel (« vous nous accusez »). Socrate fait comme si quelqu’un était dans la pièce pour le contredire. Imaginer un contradicteur est une méthode rhétorique pour lui permettre de préciser sa pensée, d’éviter les malentendus.

          L’objection qu’il imagine est la suivante. Socrate admet qu’il existe des êtres de nature différente. La nature d’un être, c’est le principe qui fait de lui ce qu’il est, qui lui confère sa permanence, sa spécificité par rapport aux êtres différents ainsi que sa similitude par rapport aux êtres de la même catégorie, de la même classe, du même genre. Il faut donc entendre ici le terme de nature au sens de l’essence de la chose. Par exemple, l’eau est un genre de liquide ; le triangle est une figure géométrique, etc. Socrate admet aussi que la femme et l’homme sont de nature différente. Il y a ici une difficulté qui pourrait justifier une très longue disgression. La femme et l’homme n’ont-ils pas en partage la même nature, qui est la nature humaine ? Certes, la sexuation implique une différentiation, et seul « le genre féminin enfante » (comme l’observe plus loin Socrate). Mais n’est-ce pas une différence secondaire, superficielle, accidentelle ? Ce que partage les deux individus n’est-il pas plus fondamental que ce qui les distingue ? Mais comment pourrait-on le savoir ? Comment peut-on, sans arbitraire, hiérarchiser les éléments qui caractérisent un individu et séparer ce qui relève de l’essentiel et ce qui ne l’est pas ? Comment isoler sa nature ? Pourquoi telle différence entre deux choses serait-elle cruciale, décisive ? Au-delà de quel(s) changement(s) l’individu aura-t-il perdu sa soi-disant nature ? Est-il raisonnable de croire à l’existence d’essences ainsi défini ?

          Socrate, en tout cas, ne doute pas que l’homme et la femme soient de nature différente. Il affirme qu’une différence de nature fonde la légitimité d’une différence de fonction sociale, de métier, etc. Il devrait donc conclure de ses prémisses qu’une femme ne peut pas, dans une cité juste, avoir la même occupation qu’un homme. Ne pas tirer cette conclusion, c’est manquer à la cohérence, c’est être illogique. Or c’est ce que fait Socrate, puisqu’il veut qu’il y ait des femmes parmi les gardiens de la cité. Non pas simplement des citoyennes ayant épousées des gardiens, mais des citoyennes occupées aux mêmes tâches de surveillance et de répression. Le discours politique et morale de Socrate est donc entachée [sic] d’une contradiction. Socrate se contredit. C’est la preuve qu’il commet une erreur, il ne peut pas tenir un discours vrai, logique.

          Tel est [sic] l’objection que Socrate se fait à lui-même, anticipant sur un contradicteur possible. Comment va-t-il faire pour se tirer de ce faux pas ?

          Tout d’abord, Socrate attribue une telle objection potentielle à la séduction de l’esprit de controverse. La controverse est une corruption du dialogue philosophique authentique, qui est un échange de paroles en vue de progresser en commun vers la vérité. La controverse dégrade cette activité au rang de la joute, de la « dispute », de la chiquanerie verbale. La controverse est séduisante parce qu’elle permet de paraître triompher de l’adversaire. Elle procède pour cela en s’attachant aux mots eux-mêmes, plutôt qu’à la nature des choses. Elle est une « puissance » parce qu’elle est une séduction, mais aussi parce qu’elle permet de remporter des victoires faciles, apparentes, mondaines. Elle est ce que pratique les rhéteurs et les démagogues qui prospèrent sous le régime démocratique. Son moyen est la poursuite des contradictions du discours. Elle en reste à un niveau purement logique. Elle ne nous apprend pas ce que sont les choses. La controverse utilise son art à elle, c’est-à-dire sa technique rhétorique (« art » traduit ici le latin ars qui traduit le terme grec techné, qui désigne un savoir-faire technique, artisanal, artistique, ou autre). Le logicisme chicanier trahit selon Socrate une impuissance à connaître les choses mêmes. C’est l’art de ceux qui sont « [in]capables d’examiner ce dont on parle en y distinguant des espèces différentes ». Il faut donc dépasser ces frivolités polémiques et chercher un véritable savoir (épistémé en grec), lequel consiste à cerner la nature de la chose. Ce dépassement est une exigence ardue et Socrate admet avec l’honnêteté avoir lui-même « le goût de la dispute », ce qui est une manière d’excuse pour l’équivoque possible de son discours et l’objection qui s’ensuit. Il reconnaît ne pas avoir clarifié « comment définir » ce qu’est avoir une nature différente (« nature autre ») ou avoir la même nature (« nature identique »).

          Glaucon reconnaît cette lacune. Socrate reprend la parole et tire les conséquences de cette imprécision entourant l’identité de nature. Que pouvait-il vouloir dire en affirmant que des individus de nature différente doivent exercer « une occupation différente » ? Qu’est-ce que cette différence ? A quoi reconnaît-on une différence essentielle, susceptible de permettre ou d’interdire l’exercice d’une activité ?

          Pour faire saisir ce qu’est cette différence, Socrate emploie d’abord une méthode négative. Il va montrer ce qu’elle n’est pas. Il considère une possibilité : on pourrait se demander si les chauves sont de même nature que ceux qui ne le sont pas. Socrate admet qu’ils sont de nature distincte, et même « opposée ».

          Ici encore, la difficulté justifierait qu’on s’y arrête. Comment un homme chauve et celui qui ne l’est pas peuvent-ils être d’une nature –c’est-à-dire d’une essence- différente ? Ne sont-ils pas tout deux différents exemplaires d’une même espèce humaine ? Ou bien faut-il maintenant comprendre que n’importe quelle différence entre deux individus fait une différence de nature ? Mais alors leur nature n’a plus rien à voir avec une essence. Car entre deux individus, on trouvera toujours une différence (en l’absence de différence il n’y aurait pas deux individus mais un seul. Il y aurait identité, indistinction). Si une différence exclut une communauté de genre, alors il n’y a pas de genre commun à deux individus différents. Il n’y a donc aucune nature commune à deux individus. Il n’y a que des singularités, dont le langage (général, fixiste) ne rend pas compte. Si ce nominalisme était exact, la fidélité à la vérité de la chose ne nous obligerait-elle pas à renoncer à en dire quoi que ce soit, et nous contenter, comme Cratyle, de la désigner du doigt ?

          Laissons cette difficulté à laquelle la suite du texte répondra peut-être. Posons que l’homme chauve n’est pas de même nature que l’homme chevelu. Socrate, avec l’approbation de Glaucon, souligne qu’il serait ridicule de vouloir arguer de cette différence (de nature…) pour justifier de confier aux uns une profession à l’exclusion des autres.

          Le ridicule de la conséquence permet à Socrate de justifier que, lorsqu’il a affirmé que la justice exigeait que la différence des natures se traduise par une position différente dans la hiérarchie sociale, il n’entendait pas une différence de nature « au sens absolu ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Est absolu ce qui n’a pas d’exception, ce qui est vrai ou effectif, partout et toujours. Par exemple, si un théologien dit que la puissance de Dieu est absolue, cela signifie qu’elle s’applique partout, qu’elle englobe tout ; Dieu peut tout faire, à tout moment, etc. Donc, lorsque Socrate dit qu’il ne fallait pas entendre une différence de nature au sens absolu, cela veut dire que ce n’est pas l’existence d’une différence quelconque (comme avoir des cheveux) qui justifie une inégalité de rôle social. Ce n’est pas l’absence de toute exception qui est nécessaire pour ordonner la distribution des rangs selon la justice (elle supprimerait en fait l’individualité et donc le problème). Ce n’est donc pas de la différence de nature en soi, dans l’absolu, dont il est question. On peut éviter l’impasse du nominalisme : on ne cherche pas à donner la même occupation à des individus absoluments [sic] identiques, mais semblables et différents sous un certain rapport. Et ce rapport est celui des « occupations mêmes ». Ainsi, lorsqu’un homme « doué pour la médecine » est dit de nature différente de celui qui ne l’est pas, Socrate veut dire qu’il est d’une nature qui diffère de manière relative, partielle, limitée, spécifique.

          En quoi consiste cette différence relative ? C’est une différence capacitaire, une différence de techné, de savoir-faire, de maîtrise technique. L’homme doué pour la médecine (ou la « charpenterie », etc.) possède une puissance que les autres n’ont pas (ou pas au même degré). Cette puissance semble de nature intellective, puisque Socrate identifie la maîtrise de l’art médical avec « l’esprit médical ». (A se limiter à ce seul texte, on pourrait soupçonner Socrate-Platon de sous-estimer l’importance du corps, du geste, du coup de main, dans l’exercice d’une techné). Cette inégalité de capacité, de compétence à faire telle ou telle chose, est le critère que veut faire prévaloir Socrate dans l’organisation de la cité selon la raison. Il est juste, il est raisonnable que ceux qui sont les meilleurs pour faire une certaine activité exerce ce métier. Les autres devront faire autre chose ; dans une autre occupation ils pourront peut-être manifester une excellence relative qui leur est propre. Il y a donc autant de natures individuelles que de talents susceptibles de maîtriser les différentes activités.

          (On pourrait adresser plusieurs critiques à la validité de ce raisonnement. La diversité de nature des individus est ici inférée de la diversité des activités sociales. Est-ce à dire que lorsque le degré de la division sociale n’est pas le même entre deux sociétés, on trouve une moins grande diversité des natures des individus qui la compose ? Et une plus grande diversité lorsqu’il y a un accroissement historique de la division du travail (formation d’un secteur industriel, tertiaire, etc.). Mais qu’est-ce donc que cette étrange « nature » qui fluctue au gré des formes historiques du monde social ? Ne serait-elle pas tout à fait autre chose, cette puissance, que l’ordre cosmique, fixe et harmonieux censé servir de boussole à l’ordre social ? … Que d’embarras, tout de même, à convoquer la nature ! N’aurait-il pas été autrement plus simple, et moins risqué, d’observer que les individus n’ont pas les mêmes aptitudes –lesquelles peuvent bien être acquises et non point naturelles, sinon sur fond d’une commune nature humaine limitant nos possibilités- et qu’il est avantageux à tous que chacun fasse ce à quoi il est le plus excellent –ce qui couvre d’ailleurs aussi une part de goût -qui n’est pas une technique- de motivation, dont la naturalité est douteuse, etc.).

          Voilà pour le problème principal du texte. Ayant précisé son critère pour répartir les occupations dans une cité réellement juste, Socrate peut en revenir à la place des femmes, et écarter définitivement le soupçon d’incohérence dont son discours aurait pu faire l’objet. Il reconnaît certes que la femme et l’homme sont différents sur le plan biologique. La génération est mis [sic] en œuvre par « le genre masculin », tandis que le « genre féminin » (d’une manière plus passive qui pourrait préfigurer la théorie aristotélicienne en la matière) conduit le mouvement impulsé jusqu’à terme et « engendre ». Mais cette différence biologique est insuffisante à fonder en raison l’ordre social. La pensée politique qui se déploit [sic] dans La République, pour être hiérarchique et autoritaire, n’est nullement proto-hitlérienne. Ce serait même confondre deux ordres de choses distinct que de rabattre la place des individus sur la différence biologique. En effet, la raison, la justice exige de donner à chacun l’occupation pour laquelle il est le plus apte. Il faut se demander non pas si deux individus diffèrent biologiquement, mais quels sont leurs capacités, leurs compétences techniques. Or, dans cet ordre, « il n’a nullement été démontré que la femme diffère de l’homme », conclut Socrate. Il n’y a donc pas de contradiction à envisager qu’une femme soit aussi apte qu’un homme pour exercer des tâches de maintien de l’ordre et de défense militaire. On peut l’envisager a priori.

          A cette conclusion, qui surprend par sa modernité, Socrate ajoute, à la fin de l’extrait, qu’il est prêt à avancer des arguments supplémentaires pour prouver que la sexuation ne destine pas l’individu à une tâche sociale spécifique, prédéterminée. Le long développement passé à réfuter l’objection d’incohérence, ainsi que l’annonce d’une argumentation renouvelée, laisse deviner le scepticisme des interlocuteurs du philosophe devant un discours qui bouscule les fondements (genrés et démocratiques) de l’organisation sociale. Les socratiques, eux aussi, peuvent faire des considérations intempestives. »

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