jeudi 21 mars 2024

Le millionnaire Tim Gurner nous promet la guerre sociale, mais l’arrogance de nos maîtres n’est pas nouvelle

« Un bon coup de chômage de masse pour mater des salariés devenus « arrogants » depuis le Covid ? C’est, en substance, la thèse qu’a défendue Tim Gurner, promoteur spécialisé dans le luxe et dirigeant du groupe immobilier Gurner Group, le 12 septembre lors d’une conférence sur l’immobilier de l’Australian Financial Review. Depuis, un court extrait de son intervention circule massivement sur les réseaux sociaux, alors que de nombreux commentateurs moquent ou condamnent les propos du millionnaire, relatif inconnu, en passe de devenir une figure planétaire de « super vilain » du capitalisme.

« Le problème que nous avons eu, assure Gurner, 41 ans, costume cintré et cheveux en arrière, est que les gens ont décidé qu’ils ne voulaient plus travailler autant depuis le Covid, et que ça a eu un impact colossal sur la productivité. […] Ils ont été payés cher pour ne pas faire grand-chose ces dernières années, et nous avons besoin que ça change. »

Avant de sortir l’arme fatale : « nous avons besoin que le chômage augmente. Le chômage doit bondir de 40-50 %, de mon point de vue. Nous avons besoin de voir de la souffrance dans notre économie. Nous avons besoin de rappeler aux gens qu’ils travaillent pour leur employeur, et non l’inverse. Il y a eu un changement systématique avec des employés qui estiment que l’employeur a énormément de chance de les avoir, et non l’inverse. C’est cette dynamique qu’il faut changer. Nous devons écraser cette arrogance, et ça doit se faire en faisant souffrir l’économie. »

(Source : François Vaneeckhoutte, Libération, 13 septembre 2023).


« Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures, il est nécessaire que l'ouvrier ne s'enrichisse jamais, qu'il n'ait précisément que ce qu'il lui faut pour se bien nourrir et se vêtir. Dans une certaine classe du peuple, trop d'aisance assouplit l'industrie, engendre l'oisiveté et tous les vices qui en dépendent. A mesure que l'ouvrier s'enrichit, il devient difficile sur le choix et le salaire du travail. Le salaire de la main-d'œuvre une fois augmenté, il s'accroît en raison des avantages qu'il procure. C'est un torrent qui a rompu (...).

Personne n'ignore que c'est principalement au bas prix de la main-d'œuvre que les fabriques de Lyon doivent leur étonnante prospérité. Si la nécessité cesse de contraindre l'ouvrier à recevoir de l'occupation, quelque salaire qu'on lui offre, s'il parvient à se dégager de cette espèce de servitude, si ses profits excèdent ses besoins au point qu'il puisse subsister quelque temps sans le secours de ses mains, il emploiera ce temps à former une ligue*. […]

Il est donc très important aux fabricants de Lyon de retenir l'ouvrier dans un besoin continuel de travail, de ne jamais oublier que le bas prix de la main d'œuvre leur est non seulement avantageux par lui-même, mais qu'il le devient encore en rendant l'ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses mœurs, plus soumis à leurs volontés. »

-L’économiste Etienne Mayet, Mémoire sur les fabriques de Lyon, 1786.

* Ligue : un syndicat informel (la liberté syndicale n’existant évidemment pas sous l’Ancien régime –ni d’ailleurs pendant les premières décennies de l’âge capitaliste, les syndicats n’ayant été légalisés en France que sous la Troisième République).

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