dimanche 19 novembre 2023

Pourquoi le Rassemblement national n'est pas un parti d'extrême-droite, mais un banal mouvement de droite anti-sociale

« On n’a pas besoin de sortir dans la rue pour qu’il soit clair qu’une large majorité des Français condamne l’antisémitisme. Il n’y a non plus de doute sur la position des institutions de la République à cet égard. Alors, qu’est ce que la manifestation de dimanche a dit au monde qu’on ne sut pas déjà sans qu’il soit la peine de le dire ? La manifestation de dimanche correspond exactement au mécanisme que je dénonçais dans mon dernier papier : c’est la manifestation collective d’une condamnation qui, comme souvent, se substitue à l’action. On condamne pour se donner bonne conscience, pour donner l’illusion qu’on agit. Et encore, je m’arrête à la surface des choses, sans chercher dans les arrières pensées – électorales, cela va sans dire – des uns et des autres. Autant de ceux qui pensent capter un certain vote en y allant, que ceux qui pensent en capter un autre en proclamant qu’ils n’iraient pas.

Le point le plus intéressant dans cette affaire, c’est la participation du Rassemblement national aux festivités. Dès publication de l’appel signé par les présidents du Sénat et de l’Assemblée, les dirigeants du RN ont manifesté leur volonté d’y participer. Je ne sais pas, cher lecteur, si tu réalises la signification du geste. Voilà un mouvement qui en son temps conchiait la République et regroupait ce qui restait des troupes de l’antisémitisme français, des nostalgiques de Vichy et de son statut des juifs, aux catholiques intégristes qui parlaient encore du « peuple déicide ». Troupes suffisamment importantes pour qu’un Jean-Marie Le Pen les caresse régulièrement dans le sens du poil avec ses commentaires sur les chambres à gaz et ses calembours au gout douteux. Et voici que l’héritier de ce mouvement, après avoir exclu le patriarche et conquis un nouvel électorat populaire, peut se permettre le luxe de se joindre publiquement et sans la moindre réserve à une manifestation « contre l’antisémitisme et pour la République ».

On parlera à ce propos d’opportunisme ou d’électoralisme. On dira qu’au fond ni les dirigeants du RN ni ses électeurs n’ont changé d’avis, que ce n’est qu’une posture pour aller chercher de nouveaux électeurs modérés. Mais je t’invite, cher lecteur, à aller un peu plus loin dans l’analyse. Regardons l’effet de cette prise de position non pas sur les électeurs que le RN voudrait conquérir, mais sur ceux qu’il a déjà, et au-delà, sur ses propres militants. Quel effet aura sur eux cet appel à manifester « contre l’antisémitisme et pour la République » ? Si les militants et l’électorat du RN étaient, comme le disent certains, antirépublicains et antisémites, on devrait entendre des militants protester et claquer la porte, des électeurs se réfugier dans l’abstention ou chercher d’autres candidats plus radicaux. Or, il est clair que les dirigeants du RN ne craignent pas un telle fronde, et que rien n’indique qu’elle soit sur le point d’éclater.

La conclusion apparaîtra évidente aux lecteurs qui suivent régulièrement ce blog. Que le RN puisse se permettre vis-à-vis de ses propres troupes d’endosser sans précaution particulière le rejet de l’antisémitisme et l’adhésion à la République montre qu’entre le FN de Jean-Marie Le Pen et le RN de sa fille il y a un changement sociologique majeur. Les nostalgiques de Vichy, les catholiques intégristes antisémites et anti-IVG ont laissé la place à un corps militant et à un électorat populaire, conservateur certes, mais profondément républicain. Et ce n’est pas vraiment nouveau : le RN s’est permis le luxe il y a déjà plusieurs années de reprendre le drapeau d’une laïcité sourcilleuse que la gauche avait laissé tomber. L’aurait-il pu s’il dépendait encore électoralement des intégristes catholiques ?

J’ai toujours pensé qu’on avait tort de réduire la stratégie de Marine Le Pen à une simple « dédiabolisation ». Ce à quoi on assiste depuis vingt ans, ce n’est pas un simple changement d’image, mais un changement très profond dans la sociologie de l’électorat et du corps militant de l’extrême droite. Adhérer publiquement à la laïcité et à la République, rejeter l’antisémitisme, réhabiliter l’image de l’Etat, du service public, des fonctionnaires, ce ne sont pas des simples questions cosmétiques. Il y a vingt ans, cela aurait valu au FN une fuite de ses militants et de ses électeurs. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Parce que ses militants, ses électeurs ont changé.

Ce changement est mal compris par la gauche, d’autant plus que ces dernières années la « lutte contre l’extrême droite » constitue le seul ciment d’un ensemble où l’on est finalement d’accord sur pas grande chose. La gauche aurait dû se réjouir de voir le dernier rempart de l’antisémitisme institutionnel tomber, d’entendre un parti qui a la confiance d’un votant sur quatre adhérer sans équivoque à la République et condamner l’antisémitisme. Mais c’est tout le contraire qu’on observe : la gauche semble tenir absolument à ce que le RN reste un parti anti-républicain et antisémite. Elle n’est tout simplement pas prête à imaginer que le RN puisse changer, que l’extrême droite d’aujourd’hui puisse ne pas être celle d’hier.

Cela peut se comprendre pour une simple question d’intérêt. Un RN qui embrasse la République et se débarrasse des scories antisémites est un RN bien plus difficile à combattre qu’un RN maurrassien et antisémite. Déjà, le RN a réussi à piquer à la gauche son électorat populaire, et à ce titre devient un concurrent redoutable… Mais il y a autre chose. La gauche est, en fait, essentialise. Elle croit à une « essence » immuable des mouvements politiques, qui passe devant la réalité de leurs actes. Ainsi, le Parti socialiste est un parti « de gauche », et le fait que lors de ses passages au pouvoir il ait fait une politique « de droite » – réformes néolibérales, privatisations, réforme du code du travail, traités européens – n’y change rien. Il peut trahir mille fois, il restera « de gauche ». Et à l’inverse, le RN a une « essence » antisémite et antirépublicaine, et quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, il le restera. On continue à jeter à la figure de Marine Le Pen les déclarations de son père, comme si elle n’avait pas pris la lourde décision de l’exclure du mouvement – et cela précisément lorsqu’il a réitéré ses commentaires négationnistes – comme si ces déclarations étaient inscrites dans l’essence inaltérable de son mouvement. Tout changement, tout écart par rapport à cette « essence » ne peut être que simulation.

En fait, la question de savoir si Marine Le Pen a changé d’avis ou si elle reste dans le secret de son cœur antisémite, antirépublicaine et néolibérale n’a aucun intérêt. Tout parti politique est, in fine, otage de sa base sociologique. Un politicien – et c’est là toute la différence avec l’homme d’Etat – est tenu par la règle d’or : « je suis leur leader, je dois les suivre ». Ce principe aide aussi à comprendre l’attitude de LFI, qui se trouve dans la position symétrique par rapport au RN. La base sociologique sur laquelle Mélenchon table – et on sait bien que la politique de LFI c’est la politique de Mélenchon – est l’électorat abstentionniste de la périphérie des grandes villes. C’est-à-dire, un électorat où l’antisémitisme est rampant et l’adhésion à la République assez superficielle. Mais surtout un électorat que les évènements du Proche Orient placent en situation de concurrence victimaire avec la communauté juive. Dans ce contexte, le choix tactique de Mélenchon est limpide : refuser d’adhérer à la manifestation au prétexte que les organisateurs ne font référence qu’à une forme de discrimination et pas aux autres. Une tactique qui a l’avantage d’entrer dans la logique adolescente du « seul contre tous » que Mélenchon affectionne, et qui s’est révélée très efficace au départ, mais qui le conduit à prendre des positions de plus en plus extrêmes pour pouvoir se distinguer des autres, au risque d’effrayer de plus en plus d’électeurs. »

-Le blogueur "Descartes", 15 novembre 2023

« Marine Le Pen a choisi de présenter un visage plus social qu’Éric Zemmour. Pourtant, quand on creuse ses propositions et ses votes, on voit qu’elle n’est pas favorable aux travailleurs.

Le Rassemblement National (RN) affirme défendre le pouvoir d’achat. Toutefois, au cours de la crise d’inflation qui a secoué la France en 2022, Marine Le Pen s’est opposée à des augmentations de salaire brut des travailleurs. Le 20 juillet 2022 à l’Assemblée nationale, les députés du RN et les autres députés de droite ont voté contre l’augmentation du SMIC (salaire minimum en France) à 1 500 €. Notons que le RN a voté en ce sens alors que 84 % des sympathisants RN souhaitent la hausse du SMIC.

Marine Le Pen propose à la place d’autoriser les entreprises, sur la base du volontariat, à augmenter les salaires nets en réduisant les cotisations patronales, donc en réduisant le financement de la sécurité sociale. Il s’agit d’une augmentation du salaire direct (en poche) en diminuant le salaire indirect (sécurité sociale). Sur le long terme, les travailleurs n’y gagneraient rien puisque l’argent reçu en plus en fin du mois leur sera repris plus tard avec la réduction du financement de la sécurité sociale et donc des pensions, de la santé, etc. Il s’agit d’une proposition d’inspiration libérale.

Le RN souhaite baisser les impôts sur les entreprises en supprimant les cotisations foncières des entreprises et les impôts de production (ce qui entraînera plus de bénéfices pour les entreprises). Il souhaite aussi supprimer l’impôt sur la fortune immobilière, qui s’applique aux biens supérieurs à 1,3 million d’euros. Il souhaite le compenser par un autre impôt sur la fortune financière, ce qui semble être une mesure redistributive. Mais ils souhaitent faire des exceptions de telle sorte qu’il y aura moyen d’éviter cet impôt. Le RN souhaite aussi réduire la taxation sur l’héritage et les donations ce qui va bénéficier aux individus fortunés. Ils se sont également abstenus sur un vote quant au rétablissement de l’impôt sur la fortune. Dans l’ensemble, comme l’analyse un article de Challenges, leur programme fiscal est à l’avantage des plus fortunés.’

Un entretien sur France Inter est éloquent à ce sujet :

Journaliste : « On pourrait taxer les plus riches ? »

Marine LP : « Taxer les plus riches c’est un peu vague »

Journaliste : « On taxe les entreprises ou pas ? »

Marine LP : « Le marteau n’a pas qu’un clou, des taxes, toujours des taxes »

Si le RN affiche des mesures sociales, il ne semble en tous cas pas souhaiter prélever de l’argent auprès des entreprises ou des plus fortunés pour le financer.

Lors des votes à l’Assemblée nationale, le RN s’est abstenu sur un amendement en faveur d’une imposition plus juste des multinationales. Il s’est également abstenu sur une réforme de l’impôt sur les sociétés qui favoriserait les PME, alors qu’il se prétend pourtant défenseur des PME.

Concernant une taxe sur les super dividendes, la position est ambiguë : les députés RN ont voté pour une telle taxe dans le cas français, mais contre dans le cadre européen.

Marine Le Pen s’oppose à la réforme du gouvernement Macron visant à augmenter l’âge de départ à la retraite.

Elle n’est pas pour autant favorable aux grévistes s’opposant à la réforme, comme elle le laisse paraître lors d’une interview sur France Inter :

Auditeur : « Pourquoi ne pas utiliser la force contre ces salauds de grévistes ? »

Marine Le Pen : « Vous avez parfaitement raison, à partir du moment où le blocage empêche d’accéder à l’essence, on fait débloquer par les forces de l’ordre, il y a eu des réquisitions et c’est parfaitement naturel ».

Même son de cloche chez Jordan Bardella, président du RN, qui se dit « pas favorable au blocage ».

Marine Le Pen est donc contre la réforme, mais sans soutenir les moyens les plus efficaces pour s’opposer à celle-ci.

Alors que 93 % des sympathisants RN souhaitent un blocage des prix pour faire face à l’explosion des prix, Marine Le Pen a voté contre à l’Assemblée nationale.

Le Rassemblement National donne des avis mitigés sur le sujet. Sur 10 projets législatifs proposés, il s’est montré défavorable à la moitié (abstention ou contre). Ces propositions visaient : une meilleure coopération entre les États en matière d’impôt sur les sociétés pour éviter d’attirer les capitaux étrangers, plus de transparence pour les impôts payés par les multinationales dans chaque pays, une directive anti-blanchiment et financement du terrorisme, une harmonisation des sanctions pénales contre le blanchiment et une transparence des intermédiaires financiers.

[…]

Devoir de vigilance des entreprises : le Parlement européen a approuvé le principe d’un devoir de vigilance européen : il permettra de tenir responsables les multinationales en cas de violations des droits humains ou de dommages environnementaux. Cela vaut même si ces atteintes sont commises par le biais des filiales et des sous-traitants. Le 10 mars 2021, tous les partis français ont voté pour sauf le RN qui a voté contre.

Le RN affirme : « Nous volons substituer au libre-échange, destructeur pour la nature et pour les hommes, le juste échange ». Pourtant le RN est absent lors des votes sur les traités de libre-échange entre l’UE et les États-Unis.

L’opinion de Marine Le Pen en 2007 n’était pas favorable aux syndicats : « Les syndicalistes sont toujours ceux qui font semblant de combattre et enterrent en général les travailleurs ».

A-t-elle réellement changé depuis ? »

-Olivier Malay et Angela Duzan, « L’extrême droite et ses votes antisociaux : 30 exemples », Lava, 13 juin 2023.

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