Le texte de Foucault sert de préface à l’édition
américaine de L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie,
de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il a ensuite été publié dans Dits
et écrits, de Michel Foucault (Gallimard, 1989).
« Pendant les années 1945-1965 (je pense à
l’Europe), il y avait une certaine manière correcte de penser, un certain style
de discours politique, une certaine éthique de l’intellectuel. Il fallait être
à tu et à toi avec Marx, ne pas laisser ses rêves vagabonder trop loin de
Freud, et traiter les systèmes de signes -le signifiant- avec le plus grand
respect. Telles étaient les trois conditions qui rendaient acceptable cette
singulière occupation qu’est le fait d’écrire et d’énoncer une part de vérité
sur soi-même et sur son époque.
Puis vinrent cinq années brèves, passionnées, cinq
années de jubilation et d’énigme. Aux portes de notre monde, le Vietnam,
évidemment, et le premier grand coup porté aux pouvoirs constitués. Mais ici, à
l’intérieur de nos murs, que se passait-il exactement ? Un amalgame de
politique révolutionnaire et antirépressive ? Une guerre menée sur deux
fronts -l’exploitation sociale et la répression psychique ? Une montée de
la libido modulée par le conflit des classes ? C’est possible. Quoi qu’il
en soit, c’est par cette interprétation familière et dualiste que l’on a
prétendu expliquer les événements de ces années. Le rêve qui, entre la Première
Guerre mondiale et l’avènement du fascisme, avait tenue sous son charme les
fractions les plus utopistes de l’Europe - l’Allemagne de Wilhelm Reich et la
France des surréalistes - était revenue pour embraser la réalité
elle-même : Marx et Freud éclairés par la même incandescence.
Mais est-ce bien là ce qui s’est passé ? S’est-il
bien agi d’une reprise du projet utopique des années trente, cette fois à
l’échelle de la pratique historique ? Ou y a-t-il eu, au contraire, un
mouvement vers des luttes politiques qui ne se conformaient plus au modèle
prescrit par la tradition marxiste ? Vers une expérience et une
technologie du désir qui n’étaient plus freudiennes ? On a certes brandi
les vieux étendards, mais le combat s’est déplacé et a gagné de nouvelles
zones.
L’Anti-Oedipe montre,
tout d’abord, l’étendue du terrain couvert. Mais il fait beaucoup plus. Il ne
se dissipe pas dans le dénigrement des vieilles idoles, même s’il s’amuse
beaucoup avec Freud. Et surtout, il nous incite à aller plus loin.
Ce serait une erreur de lire L’Anti-Oedipe comme
la nouvelle référence théorique (vous savez, cette fameuse théorie qu’on nous a
si souvent annoncée : celle qui va tout englober, celle qui est absolument
totalisante et rassurante, celle, nous assure-t-on, dont « nous avons tant
besoin » en cette époque de dispersion et de spécialisation d’où
« l’espoir » a disparu). Il ne faut pas chercher une
« philosophie » dans cette extraordinaire profusion de notions
nouvelles et de concepts-surprise : L’Anti-Oedipe n’est
pas un Hegel clinquant. La meilleure manière, je crois, de lire L’Anti-Oedipe,
est de l’aborder comme un « art », au sens où l’on parle d’« art
érotique », par exemple. S’appuyant sur les notions en apparence
abstraites de multiplicités, de flux, de dispositifs et de branchements,
l’analyse du rapport du désir à la réalité et à la « machine »
capitaliste apporte des réponses à des questions concrètes. Des questions qui
se soucient moins du pourquoi des choses que de leur comment. Comment
introduit-on le désir dans la pensée, dans le discours, dans l’action ?
Comment le désir peut-il et doit-il déployer ses forces dans la sphère du politique
et s’intensifier dans le processus de renversement de l’ordre établi ? Ars
erotica, ars theoretica, ars politica.
D’où les trois adversaires auxquels L’Anti-Oedipe se
trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui
représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens
différents.
1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les
terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la
politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les
fonctionnaires de la Vérité.
2. Les pitoyables techniciens du désir - les
psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque
symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi
binaire de la structure et du manque.
3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique
(alors que l’opposition de L’Anti-Oedipe à ses autres ennemis
constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement
le fascisme historique de Hitler et de Mussolini - qui a su si bien mobiliser
et utiliser le désir des masses - mais aussi les fascisme qui est en nous tous,
qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait
aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.
Je dirais que L’Anti-Oedipe (puissent
ses auteurs me pardonner) est un livre d’éthique, le premier livre d’éthique
que l’on ait écrit en France depuis assez longtemps (c’est peut-être la raison
pour laquelle son succès ne s’est pas limité à un « lectorat »
particulier : être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de
pensée et de vie). Comment faire pour ne pas devenir fasciste même quand
(surtout quand) on croit être un militant révolutionnaire ? Comment débarrasser
notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ?
Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ?
Les moralistes chrétiens cherchaient les traces de la chair qui s’étaient
logées dans les replis de l’âme. Deleuze et Guatari, pour leur part, guettent
les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.
En rendant un modeste hommage à saint François de
Sales (Homme d’Eglise du XVIIe siècle, qui fut évêque de Genève. Il est connu
pour son Introduction à la vie dévote), on pourrait dire que L’Anti-Oedipe est
une introduction à la vie non fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de
fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne
d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je
devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie
quotidienne :
* Libérez l’action politique de toute forme de
paranoïa unitaire et totalisante.
* Faites croître l’action, la pensée et les désirs par
prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et
hiérarchisation pyramidale.
* Affranchissez-vous des vieilles catégories du
Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée
occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode
d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à
l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes.
Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.
* N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être
militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir
à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède
une force révolutionnaire.
* N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique
politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer
une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique
politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur
des formes et des domaines d’intervention de l’action politique.
* N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les
« droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis.
L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser »
par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons
différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des
individus hiérarchisés, mais un constant générateur de
« désindividualisation ».
* Ne tombez pas amoureux du pouvoir.
On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment
si peu le pouvoir qu’ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoir liés à
leur propre discours. D’où les jeux et les pièges que l’on trouve un peu
partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force.
Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à
séduire le lecteur sans qu’il soit conscient de la manipulation, et finissent
par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Oedipe sont
ceux de l’humour : tant d’invitations à se laisser expulser, à prendre
congé du texte en claquant la porte. Le livre donne souvent à penser qu’il
n’est qu’humour et jeu là où pourtant quelque chose d’essentiel se passe,
quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les
formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous
écrasent, jusqu’aux formes menues qui font l’amère tyrannie de nos vies
quotidiennes. »
***
Il s’agit maintenant de notes du cours de M.
Jean-Baptiste Vuillerod, « La philosophie face à Mai 68 : repenser
l’action politique » (Université Paris 10 Nanterre – La Défense,1er semestre
2015-2016) :
« En 68 sort la thèse principale de Deleuze, Différence et Répétition. Elle exprime
sous forme académique ses thèses. En 69, Logique
du sens est déjà un peu plus atypique.
En mai 68, Deleuze enseigne à Lyon, il est l’un des
seuls professeurs à soutenir le mouvement. Il rencontre Guattari.
1972, sortie de L’Anti-Œdipe.
Ontologie, machine désirante, désir schizophrénique. Il s’inscrit dans une
tentative de révolutionner la forme de l’œuvre philosophique (voir aussi Glas de Derrida).
Plan du livre : 4 chapitres : Chapitre I,
section 1 à 3, l’ontologie des machines désirantes. Section 4, le problème
politique de la répression du désir par lui-même. Pourquoi désire-t-on la
répression ?
Deuxième chapitre : critique de la psychanalyse
comme l’une des institutions qui permet l’auto-répression du désir. Lorsqu’on
dit que le désir circule dans le champ familial, on l’enferme dans la honte et
on l’amène à s’auto-réprimer.
Troisième chapitre : théorie de l’histoire.
Toutes les sociétés construisent une forme de répression du désir dont l’Œdipe
est la dernière variante.
Quatrième chapitre : la schizo-analyse. Une
théorie de l’inconscient qui cherche à comprendre de quelle façon on peut se
libérer de l’auto-répression du désir.
Première thèse de l’ontologie : Tout est machine et connexion de machine.
Une machine est un flux et/ou
une coupure de flux.
Ex : l’électricité est un flux, coupé par un élément de la lampe, nouveau
flux, lumière, flux, le Capital de Marx. Chaque
chose est Machine énergie
et machine-organe. Seule la connexion avec autre chose peut
nous permette de produire. Théorie de
la rencontre. On n’agit pas spontanément, mais par rencontre. Chaque
chose est renvoyée à autre chose.
Pourquoi parler de coupure plutôt que simplement
de causalité ? Le
courant électrique n’est pas là pour alimenter la lampe, mais il circule et la
lampe vient couper le flux. Cette position de la lampe à une dimension d’imprévue : c’est
l’événement. Le flux ne sait pas vers quoi il va.
La machine est pensée contre la structure
de Lacan (dont Guattari fut le disciple). La machine introduit le concept de
coupure. Mai 68 est vu par Guattari comme une rupture dans l’ordre de la
causalité. Bouleversement de structures éternelles de l’inconscient.
L’œuvre, l’appel à libérer le désir, parlaient à
l’époque aux MLF ou au mouvement homosexuel.
Ce qui intéresse Deleuze, à ce moment, n’est pas
l’essence, mais le fonctionnement. Comment les choses
fonctionnent-elles ? Par rencontre et coupure de flux. L’homme est machine
d’une machine sociale.
Kant affirme la distinction radicale entre l’organique
(unité immanente) et le mécanique (créés par l’homme). Samuel Butler,
métaphysicien repris par Deleuze et Guattari, affirme que cette distinction
n’est pas réelle (l’homme n’est pas une vraie unité, il a des sous-systèmes
dont il peut être délesté, comme les handicapés). L’homme est codé (ADN) comme
une machine. Indistinction de l’organique et du machinique.
Pourquoi machines désirantes ? Désir parce qu’il
faut bien un principe de fonctionnement. C’est parce qu’il y a désir que les
machines produisent des flux. Le désir n’est pas pensé comme un objet qui
manque au sujet, mais comme le conatus,
la tendance à persister dans l’être. On ne désire pas un objet. Le désir, c’est
le fait d’émettre un flux. Il n’y a pas encore de sujet humain dans cette
ontologie. Il y a désir avant même
qu’il y est un objet à désirer. Le désir est ensuite coupé par
quelque chose, qui nous interprétons a
posteriori comme ce que nous voulons.
De Zamba, philosophe mexicain, a appelé « ontologie
plate » celles de Deleuze et Badiou, opposées à l’ontologie
scalaire, avec une échelle des êtres.
Wolf a distingué deux branches de la
métaphysique : la métaphysique générale (qu’est-ce que l’être ?) et
la métaphysique spéciale, divisée en théologie (étude de l’être suprême), la
psychologie (étude de l’âme) et cosmologie (étude de l’âme).
Heidegger critique la métaphysique chrétienne (dans Kant et le problème de la métaphysique),
qui s’est concentrée sur la métaphysique spéciale. La modernité (Kant) marque
selon Heidegger un retour à l’étude de l’être en tant qu’être.
Kant détruit la métaphysique au sens classique.
Heidegger en fait une lecture « ultra-tordue ».
Dans l’ontologie plate, l’être est identique. Mais
pour Deleuze, l’univocité de l’être n’exclut pas des différences en son sein,
entre la pierre immuable et le cerveau dont les connexions évaluent en
permanence.
Dans la quatrième partie de l’Anti-Œdipe, le discours
du schizophrène dévoile la vérité de l’être. Expérience transcendantale.
Dans l’antipsychiatrie, le schizophrène était vu comme
une victime de la société plutôt que comme une maladie.
Deleuze et Guattari ont une position intermédiaire. La
maladie du schizo n’en fait pas un personnage à enfermer ou dénué d’un discours
intéressant sur la réalité des choses. L’Anti-Œdipe
n’est pas un éloge de la schizophrénie, mais elle l’utilise pour en retirer
quelque chose. Expériences schizophrénique de l’être via des citations
d’artistes. Le schizophrène accède à l’essence de la réalité, mais n’en a pas
conscience, ne peut pas le conceptualiser.
L’art est l’expression, la médiatisation ; il
permet d’écrire des textes que la philosophie peut utiliser.
Le parti-pris de Deleuze, la schizophrénie et les
expériences-limites comme cas pertinents pour accéder à l’être est largement
contestable.
Penser comme fonctionnement plutôt que
comme essence révèle l’influence de Nietzsche.
Deleuze part de Kant. Le criticisme détruit la
prétention de connaître des essences éternelles. Destruction de la
métaphysique. On ne connaît que le phénomène. Le sujet unifie l’expérience
grâce à ses catégories (fondement de notre conscience). Mais Deleuze s’oppose à la disparition de
l’ontologie. Il reproche à Kant
d’avoir déduit le fondement du contenu de la conscience. Pour Deleuze,
le fondement doit être autre que le fondé.
La conscience n’est qu’un moment, le produit d’une
genèse, du développement de l’être. Elle ne se suffit pas à elle-même comme
principe explicateur (critique de la phénoménologie). Il faut trouver le
fonctionnement d’avant la conscience pour comprendre son émergence.
La vision du schizophrène correspond au fondement de
la conscience, c’est pourquoi elle semble incompréhensible.
Chez Deleuze, l’être n’est jamais identique à
lui-même. Deleuze, selon certains de ses commentateurs, ne fait pas une
ontologie mais plutôt une « onto-génèse » ou une
« philo-génèse ».
L’anti-Œdipe réfute la psychanalyse en montrant que le désir n’est pas simplement dirigé vers
« papa-maman » mais potentiellement vers n’importe quel objet.
Le désir « délire le monde ».
Les interprétations psychanalytiques ramènent toujours le désir aux figures de
la famille. Le désir est immédiatement social (« molaire »).
Pour Deleuze et Guattari, il est avantageux pour le
capitalisme de réduire le désir à la famille, car dès lors qu’il déborde dans
la société, tout devient possible. Pour créer une société, il faut un minimum
d’organisation, des pôles de désir. Si le désir est totalement libéré, la
société devient impossible. L’Anti-Œdipe est
donc une critique de la psychanalyse, qui expliquait Mai 68 en termes de
complexe d’Œdipe non résolu (thèse de Mendel et Stéphane). En Mai 68, le désir
quitte la sphère de la famille pour gagner la société.
Pour eux, le désir n’a rien à voir avec la
consommation de tel ou tel objet.
La société n’est possible que si le désir s’oriente
vers certains objectifs, certaines tâches, certains objets. La société n’est
possible que par répression.
Si tout est désir, comment la répression est-elle
possible ? Deleuze et Guattari ajoutent
au freudo-marxisme l’idée que le désir peut se réprimer lui-même,
plutôt que d’être réprimé par le capitalisme.
L’auto-répression du désir est le problème central de
l’Anti-Œdipe. Chaque société
(Sauvage, barbare i.e étatique, civilisé i.e capitaliste) a produit des formes
de répression du désir. Dans la société sauvage, le désir est
reterritorialisation sur certains objets. Elle fonctionne grâce au marquage des corps (violence
physique, intériorisation de la culture par le corps). Les sociétés barbares
fonctionnent au ressentiment.
Elle possède un despote paranoïaque (Prince) qui use de la loi et de la terreur
pour conserver sa position. Le capitalisme fonctionne à la mauvaise conscience. Les flux sont libérés, la terreur
endiguée. Production, consommation, accroissement du capital. Libération partielle
du désir, qui subit une répression parce qu’on lui fait honte.
Une lecture du schéma historique de l’Anti-Œdipe est que les trois formes
(sauvage, barbare, et civilisée) coexistent dans chaque société (validité
synchronique et diachronique).
Dans les sociétés passées, la position familiale et
sociale est inséparable. Le
capitalisme les dissocie. La société est structurée par l’économie, la
lignée ou la position dans la famille n’ont aucune importance. La famille devient privée.
Elle se referme sur elle-même. Le désir y est alors enfermé. Œdipe est donc
antérieur à la psychanalyse, il est créé par les structures du capitalisme (la
famille nucléaire se forme avec la révolution industrielle, famille restreinte,
exclusion des grands-parents du foyer, etc.).
Comment sortir de l’auto-répression du désir ? La
répression ayant une dimension inconsciente, il paraît difficile d’en sortir.
D’où le chapitre 4, introduction à la skizo-analyse, opposé à la psyché.
Destruction et création. Destruction de ce qui dans la
société et dans l’inconscient même bloque le désir. Nouvelle manière de se
rapporter aux êtres. Moment de relance, d’expérimentations. Il faut relancer le
désir, créer de nouvelles connections, de nouvelles rencontres.
Lacan et les lacaniens ont détesté l’Anti-Œdipe.
Mais qu’est-ce qui va nous permettre de savoir que
l’on détruit les bonnes choses ? Que l’on n’en crée pas de
nouvelles ? Comment éviter les mauvaises rencontres (la drogue préoccupe
Deleuze) ? La drogue ou le rejet total de la famille ou de la société
n’est pas critiqué comme immorale mais comme empêchant la relance du désir.
Autodestruction de soi-même et de ses possibles.
C’est
pour lutter contre cette dérive irrationnelle que la vertu de prudence
(Spinoza, Épicure, Lucrèce) est convoquée dans l’Anti-Œdipe.
Deleuze critique souvent la tradition rationaliste
(Platon, Descartes, Kant, Hegel). Mais il valorise pourtant un moment de
connaissance qui permet le bon usage des destructions / créations.
Au chapitre 3 de Différence
et répétition, il explique qu’il élabore une philosophie du problème. Il
faut poser le problème de la vérité non au niveau des solutions mais au niveau
des problèmes. La vérité n’est pas seulement une correspondance de ma
représentation et de l’objet.
L’énoncé « Je
pense donc je suis » n’est pas intéressant, sauf si on le rattache au
problème épistémologique de Descartes : fonder la vérité. Il faut rapporter les thèses soutenues au
problème posé. Et donc, il faut se poser les bons problèmes pour pouvoir
dire des choses intéressantes.
Deleuze s’oppose à Aristote, qui affirme que chaque
homme cherche naturellement la vérité. Les
vrais problèmes se posent non par un amour de la pensée (philosophia) mais à
cause d’une rencontre. Nous sommes contraints à penser, saisis, poussés.
Les problèmes sont dans l’histoire, dans le champ philosophique, social,
politique. L’histoire brise la tendance fixiste de l’esprit. Contre
Aristote, Deleuze affirme que l’esprit est naturellement bête : sa
curiosité provient de rencontre, de bouleversement, de remises en cause
extérieures.
Le travail philosophique de Deleuze & Guattari se
situe donc à un niveau plus général, et dialogue avec davantage d’altérités,
que la critique politique que fait Rancière.
Contre le Rancière et le Foucault du début des années
70, Deleuze & Guattari critiquent
le maoïsme et son fonctionnement répressif. Ils voient plutôt des
perspectives émancipatrices du côté du FHAR (Front Homosexuel d’Action
Révolutionnaire) et du MLF (Mouvement de Libération des Femmes). Pour les
auteurs de l’Anti-Œdipe, le maoïsme ignore Mai 68, qui a réveillé un désir de
supprimer la domination des femmes, des homosexuels, etc.
Le Champ d’inscription de L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari.
Le terme de champ d’inscription vient des Règles de l’Art de Bourdieu. Il permet
de comprendre à qui l’on répond, qui l’on combat ou soutient
(alliés/adversaires théoriques, politiques, institutionnels, etc).
L’ouvrage de Deleuze et Guattari s’oppose aux
groupuscules d’extrêmes gauche (maoïstes, trotskystes, anarchistes), au
structuralisme (Saussure, Lacan, Lévi-Strauss, Althusser), à la
psychanalyse.
Il appuie le freudo-marxisme, le FHAR, le MLF, et
l’antipsychiatrie & la psychiatrie communautaire & la psychothérapie
institutionnelle.
Au niveau de l’idéologie, l’extrême-gauche à une
idéologie révolutionnaire (elle veut renverser le capitalisme) mais est guidée,
inconsciemment, par des désirs réactionnaires (qui les pousse à recréer de la
domination, à mépriser la parole des femmes, des homosexuels, etc.).
Outre ce niveau politique, il y a une critique théorique du structuralisme
(Barthes, Lévi-Strauss, Althusser, Lacan, Saussure, Jakobson). Loi de l’échange
des femmes chez Lévi-Strauss ; surdétermination chez Althusser ;
désir toujours décalé dans le signifiant chez Lacan (ce qu’il appelle la Loi de
la castration ou l’impossibilité de jouir réellement) ;
Sartre leur oppose que seule l’intentionnalité fait
fonctionner les structures (les structures de la parenté dépendent de la
conscience subjective des acteurs d’éviter l’inceste, par exemple). Quand les
hommes font leur propre histoire, leur conscience intervient, la structure
n’est pas suffisante pour expliquer le changement social.
Pour Deleuze et Guattari, Mai 68 a montré que les
structures ne fonctionnent que pour la société en temps normal. « Les
structures ne descendent pas dans la rue ». La machine introduit des coupures dans la structure. Ils ne
font pas un retour à la conscience mais utilise le concept d’événement. Mai 68 est donc le surgissement du désir, et
non pas seulement la contestation du savoir-bourgeois ou de la relation
pédagogique (Rancière, Foucault).
Un autre adversaire est la psychanalyse. R. Castel,
ami de Foucault, écrit ainsi Le
psychanalysme.
Deleuze et Guattari considère le FHAR et le MLF comme
ambigus. Autour de la lacanienne Antoinette Fouque se constitue une nouvelle
hiérarchie mandarinale. Les deux mouvements se rejettent aussi mutuellement.
Ils critiquent également la distinction
freudo-marxiste désir / société, la seconde réprimant le premier. Cela
n’explique pas l’auto-répression du désir, que l’on trouve plus chez Wilhelm
Reich que chez Marcuse. Reich explique en effet le vote fasciste des ouvriers
(à l’encontre de leurs intérêts objectifs) par l’idéologie fasciste, par le surmoi,
par la répression du désir (entendu au sens sexuel).
Le problème de Reich, c’est son articulation de Marx
et Freud. Deleuze et Guattari critique le freudo-marxisme de Reich pour en être
resté à l’idéologie au lieu d’interroger le désir.
L’Anti-Œdipe est possible grâce à la fondation de Vincennes, qui offre une légitimité institutionnelle à Deleuze, la possibilité de s’exprimer. Même chose pour Guattari qui a travaillé 15 ans à la clinique de La Borde. La position de l’auteur influence la réception de l’œuvre. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire