Il est toujours difficile de restituer un état
d’esprit qui était le nôtre lorsque celui-ci s’est évanoui depuis longtemps.
Que pourrais-je dire des raisons qui ont politisé une
version antérieure de moi-même vers le marxisme, une doctrine politique
passablement en voie de disparition depuis la chute du mur de Berlin (et dont la
perte de popularité a en réalité commencé en France au milieu des années
1970) ?
Nous étions alors au sortir d’années où une droite d’arrogance, sarkozyste, nous avait dégoûté de notre gouvernement et presque de notre pays par sa petitesse, sa bassesse morale, ses trahisons anti-démocratiques, son alignement fervent sur l’impérialisme états-unien.
Nous étions dans des années suivant la plus grave
crise économique et financière qu’avaient connu les Etats capitalistes
occidentaux depuis 1929. Des années de montée du chômage, de la crise de
l’euro, de la faillite de l’Etat grec. Et nous cherchions des réponses.
Et nous étions dans ces années où je rencontrais tout ce qu’on ne dit jamais aux lycéens sur l’histoire de France. Sur l’histoire du dix-neuvième-siècle. L’histoire de nos guerres civiles, de nos déchirements, de nos luttes de classes ; l’histoire du « quatrième Etat », du peuple héroïque auquel l’égoïsme sans borne d’une classe abjecte avait imposé et Thermidor et les deux Bonaparte et les massacres de la Semaine Sanglante.
De ces textes de jeunesse, il faudra aussi faire la
part de l’enthousiasme, de la provocation et de la bonne humeur polémique. Et
de la fièvre. Car nos choix sont toujours d’abord les actes d’un corps.
Il faudra faire la part de l’influence de Nietzsche, de Stirner, et d’un individualisme dont je devais mettre (bien) longtemps à faire la critique.
Il faudra faire la part des illusions et de rêves
couleur de feu. Et d’une colère qui ne s’éteint pas.
En dépit de quoi, jugeant aujourd’hui de celui que je
fus, et du faible poids que purent avoir mes idées et mes actes tant pour le
mal que pour le bien, je ne crois pas mettre trop trompé, compte-tenu de ce que
je pouvais connaître.
Je vous souhaite une bonne lecture : [Mes années marxistes libertaires (2013-2014) ] - Fichier PDF (fichier-pdf.fr)
Comme le temps passe ! Je n'ai jamais étudié Marx, donc il m'est difficile d'émettre un jugement pertinent sur ce corpus. Il est certain que l'on discerne certaines outrances juvéniles, une grande confiance en soi, et une indéniable foi en la praxis politique comme modalité de transformation du monde. Des pointes d'humour par-ci par-là. Et bien entendu une grande érudition et une indéniable dextérité à manier les concepts et les références. Vous preniez déjà des distances avec le marxisme, mais je crois pouvoir dire, sans avoir le moins du monde étudié Marx, que cette théorie est une excellente école, très formatrice. Mon maître Jacques Ellul est imprégné de marxisme, cela se voit à une grande rigueur conceptuelle, au refus du lyrisme, à un indéniable réalisme. Le marxisme, qu'on le veuille ou non, reste valide dans ce que j’appellerais sa posture originelle, à savoir, en plein romantisme, la ferme volonté de ne pas s'en laisser compter, de ne céder à aucun idéalisme, de dégager les véritables facteurs déterminants des mécanismes sociaux hors de toute illusion consolatrice. En cela – mais ce serait trop long à développer ici – il se rapproche du postulat biblique, juif, qui nourrissait un peu les mêmes aspirations au sein d'un monde imprégné de magie, d'astrologie, d’idolâtrie, etc. Donc même s'il y a eu forte réaction chez vous (Stirner, Nietzsche, Rand, Mieses, etc.), je pense que cette période (en effet atroce politiquement, mais le pire peut toujours revenir, et à mon avis il reviendra de votre vivant) a été bénéfique, formatrice. Le côté péremptoire est périmé – moi aussi j'ai souvent été péremptoire – mais la rigueur méthodologique et les aspirations restent.
RépondreSupprimerC'est gentil cher Laconique, je vais tâcher d'être à la hauteur de vos compliments.
SupprimerC'est vrai que j'ai probablement sur-réagi dans l'anti-marxisme et l'anti-socialisme durant les années qui ont suivi, dès que les failles de la pensée de Marx me sont apparues. Ce n'était pas très charitable. Mais j'ai un rapport exigeant aux doctrines, et peut-être aussi assez impatient ; j'ai envie d'avoir la vérité rapidement, donc je les soumet à la critique, je cherche le point jusqu'où elles ne tiennent pas... Et je pense que ce n'est pas injustifié d'être d'une radicalité sans pitié quand on est jeune, parce que je n'ai pas envie de me faire avoir, de m'assoupir pendant des années et de finir par bâtir ma vie sur des erreurs... Je connais trop bien l'histoire du XXème siècle pour être averti des ravages du dogmatisme et de l'aveuglement volontaire...
Même si on finit par mesurer la fragilité de ses croyances et le fait que l'erreur est toujours possible... D'ailleurs ces derniers temps je continue à changer subtilement de positions en philosophie. Il y a tout simplement tellement de choses qu'on ne sait pas que c'est normal d'évoluer au fur et à mesure de ce qu'on rencontre.