Dans le numéro de l’émission radio Géographie à la carte, diffusée le 27 janvier 2022 sur France Culture, le journaliste Matthieu Garrigou-Lagrange interroge ses invités sur autour du thème des Géographies des enfants.
Le pluriel de l’intitulé laisse d’emblée entendre la
dualité de l’objet étudié. D’une part, il faut entendre par géographie
des enfants l’investigation scientifique des représentations, des
croyances, etc., que possèdent les enfants à propos de différents espaces. Il
s’agit de comprendre comment l’espace est perçu et représenté selon les âges de
la vie. D’autre part, cette dénomination peut aussi recouvrir une prise
en compte des pratiques concrètes des enfants, de la manière dont ils
découvrent et parcourent l’espace, en développant des compétences spatiales.
La géographie des enfants relève dès lors d’une géographie
culturelle, mais également d’une géographie individuelle centrée sur la
dimension actorielle de l’enfant.
Pour aborder ce sujet, sont invités deux chercheuses :
-Nolwen Rigollet agrégée de géographie,
professeure d'histoire-Géographie au Lycée Champlain de Chennevières-sur-Marne
(94) ; doctorante à l’université Paris 1, thèse en cours sur les
représentations du monde chez les adolescentes.
-Anne Cécile-Aude, doctorante en géographie à Paris 1
Panthéon-Sorbonne, thèse sur les représentations de l’espace mondial chez les
enfants
Mais sont également invités, de façon plus inattendue,
4 enfants : Violette (8 ans), Noémie (10 ans), Victoria (11 ans, 6ème), Ian (16
ans). Toutes les filles vivent à Paris. Chaque enfant sera interrogé
régulièrement au cours de l’émission, sur ses représentations du monde, ses
pratiques de l’espace, mais aussi son rapport à la géographie scolaire. On peut
mentionner le cas de Yann (6ème minute) qui témoigne de sa découverte de villes
étrangères grâce aux cartes distribuées par les offices du tourisme.
Dans une première partie, les géographes invitées
abordent l’historiographie de la géographie des enfants. Il s’agit d’un champ
disciplinaire émergent (depuis quelques années) de la recherche
scientifique, qui trouve plutôt ses préfigurations dans la géographie
culturelle anglo-saxonne. Dans l’histoire de la discipline géographie, la
perspective des enfants n’avait jusqu’à présent jamais été prise en compte.
Nolwen Rigollet et Anne Cécile-Aude avancent certaines causes explicatives de
ce désintérêt : le fait que les enfants sont un groupe social inhabituel pour
le chercheur, exigeant de développer une méthode nouvelle ; le fait que
l’enfant a longtemps été déprécié (considérer comme « peu en capacité de
produire des discours, des représentations », ou bien comme reproduisant
mécaniquement l’opinion de ses parents), on considérait en somme qu’ils ne
pouvaient pas nous apporter de connaissances. Enfin, l’étude des
représentations de l’enfant était traditionnellement une chasse gardée de la
psychologie.
A rebours de cette perspective, les chercheuses interrogées souhaitent réhabiliter le point de vue des enfants et des adolescents : ces derniers sont des acteurs (ils ont une agency dirait-on en anglais ; une « agencivité », une capacité d’action), et influencent à ce titre l’organisation de l’espace des sociétés (l’émission aurait à ce sujet pu intégrer la question de l’aménagement des lieux de l’enfance : espaces publics de jeux, implantations des crèches, centre aérées et accès à des colonies de vacances…).
Pour accéder à ces représentations, Nolwen Rigollet a
suivi la méthodologie suivante :
-531 réponses à un questionnaire donné à des lycéens ;
-Des productions graphiques récoltées chez des élèves
de la seconde à la terminale : « Dessine-moi le monde » sans autre consigne.
-Entretiens de 30 minutes menés dans 4 lycées de
différents endroits en France, visant à reproduire une certaine diversité
géographique et sociale.
L’émission relate un certain nombre de résultats des
recherches en cours :
L’opinion courante est que les enfants auraient des
représentations concrètes, intimes, à très grandes échelles, mais c’est une
méconnaissance de leurs représentations réelles de l’espace.
On peut classifier les représentations spatiales des
enfants et adolescents en 3 échelles différentes :
-Le milieu familial, le quartier, l’échelle locale. Le
monde pratiqué au quotidien ou déjà parcouru.
-Le monde à l’échelle mondiale mais avec une série de
points plus précis déjà parcouru.
-Le monde représenté, imaginé et décrit au travers
d’un discours politique et social.
Ces représentations sont inégales selon les classes
d’âges. Elles ne sont pas forcément acquises successivement, de manière
linéaire. Néanmoins, à partir du CE2, le monde devient perçu de manière plus
large.
(32 min) : Selon les géographes invitées, l’idée que
les enfants ont un point de vue politique est très négligée par les sciences
sociales. Ils ont des représentations hiérarchisées sur les pays, dès le CP.
Tous les espaces ne sont pas également représentés ou également attractifs ou
répulsifs. Par exemple, New York ou le Japon font beaucoup rêver les enfants. A
l’inverse, l’Afrique est très répulsive ; elle est méconnue, stéréotypée et
perçue comme un tout homogène, exclusivement constituée d’espaces ruraux
traditionnels.
Dans les productions graphiques recueillies, il y a
également une angoisse exprimée spontanément par les enfants pour l’avenir de
l’environnement (vignette « planète en danger »).
(Le caractère politique (et plus
précisément normatifs) de ces représentations apparaît comme discutable
au vu des éléments avancés dans l’émission => aimer ou non quelque chose
n’indique pas nécessairement une volonté d’exercer une contrainte politique sur
cette chose…).
La formation de ses représentations spatiales provient
de plusieurs instances de socialisation :
-la famille. Elle transmet des habitudes prises dès
l’enfance (prendre le bus, le métro, la voiture…)
-Mais aussi, également, à l’adolescence, le groupe de
pairs (car « l’adolescence est un moment d’autonomisation spatiale »).
-Le rôle des média est lui aussi décisif : les
représentations se diffusent notamment via la fiction. Ainsi, beaucoup
d’adolescents regardent des séries new-yorkaises (d’où une verticalisation
du paysage attendu). La frontière, autre sujet de recherche dynamique dans
la géographie scientifique, est aussi très présence dans les oeuvres
cinématographiques contemporaines.
Outre ses influences, les enfants peuvent développer
une compréhension plus abstraite de l’espace, par la médiation de cartes pour
savoir se déplacer ; une compétence qui peut être acquise très jeune.
Avec le numérique, les enfants développent des
représentations mondiales (par exemple explorer Google Earth, le
logiciel de visualisation terrestre développé par Google).
S’agissant de la géographie scolaire, les invités ont
dans l’ensemble un discours critique. Ils font part d’une déconnexion entre les
expériences ordinaires de l’espace et la science géographique telle qu’on
l’enseigne. Les enfants participant à l’émission sentent que les professeurs « baclent
» la géographie, ils sont « pas intéressants ». Cette situation
tient à la faiblesse du nombre d’enseignants en histoire-géo ayant une
formation initiale de géographes (« Très peu de géographe dans le
secondaire (au-delà du 90 / 10). »). La critique porte également sur le
fait que l’enseignement scolaire ne part pas assez des représentations des
enfants pour les impliquer dans l’apprentissage de la géographie. La dimension
de plaisir n’est pas introduite dans les apprentissages.
(On peut se demander s’il n’y a pas un lien entre le
désintérêt initial de la plupart des professeurs d’histoire-géographie -incluant
votre serviteur- à l’endroit de la science géographique, et le fait que la
transmission scolaire peine à susciter du plaisir chez les élèves. Comment
peut-on passionner les élèves pour quelque chose qui, souvent, ne nous
intéresse pas nous-mêmes ? L’institution scolaire produit et reproduit
ainsi de la frustration…).
Dernière partie de l’émission (49ème minute) avec :
Jérôme Damblant (inspecteur pédagogique) et Éric Froment (professeur
d’histoire-géographie) d'une expérimentation menée dans la région des
Hauts-de-France, qui mise sur la géographie de proximité avec les élèves. Un
partenariat entre l’éducation nationale et l’agence haut-de-France 2040 (qui
dépend de la région), qui a conduit à la production d’un Atlas, et plus
récemment d’une exposition à destination des établissements scolaires, afin de
travailler sur la géographie de la région, les « territoires de proximité », et
mesurer l’appropriation de l’espace pour les enfants.
Il s’agit de permettre aux enfants de dépasser
l’espace familier voire familial, afin d’entrer dans un espace social,
collectif. Passer de l’espace vécu à un début d’analyse géographique.
En conclusion, on peut souligner l’originalité de ce nouveau domaine de recherche, mais également le fait qu’en affirmant que « la géographie est partout » et en intégrant l’analyse des représentations comme démarche légitime en géographie, les doctorantes interrogées contribuent à une stratégie collective de légitimation de la géographie parmi les sciences sociales contemporaines, laquelle demeure manifestement nécessaire compte-tenu de la relégation relative dont a traditionnellement fait l’objet cette discipline.
Vous vous intéressez vraiment à beaucoup de choses, vous êtes une nature très ouverte intellectuellement...
RépondreSupprimerIl faut devenir polymathe, atteindre le niveau de l'Homme de la Renaissance ! ;)
SupprimerC'est surtout que l'été est propice à un certain relâchement et à une diversification des centres d'intérêt... Je me remet même à lire du roman, ça fait longtemps !