« Le féminisme qu'on aperçoit en filigrane dans la pratique révolutionnaire de 1789 surgit après 1830. »
(Geneviève Fraisse & Michelle Perrot, "Ordres et libertés", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.11-18, p.13).
« Aucune période en France n’avait permis jusqu’alors une telle explosion de la parole féminine ; elles prennent conscience de cette radicale nouveauté. »
(Michèle
Riot-Sarcey, « « Par mes œuvres on saura mon nom » : l'engagement pendant
les « années folles » (1831-1835) », Romantisme, Année 1992, 77,
pp. 37-45).
"Femmes, le grand mouvement insurrectionnel de
l'époque et des femmes me semble suffisamment reconnu [...]
Voyez, l'inquiétude n'est plus vague, elle domine tous
les esprits ; le besoin d'émancipation se manifeste dans les deux sexes et
parmi toutes les classes de femmes, depuis la femme du peuple jusqu'à la noble
privilégiée.
Les unes, avec hardiesse, peignent l'immoralité qui
enivre le siècle, retracent les douleurs de leur passé, l'anxiété de leur
présent, l'espoir de leur avenir ; les autres, oubliant les absurdes préjugés
qui les condamnent au silence et à l'inaction, disent hautement leur pensée sur
toute chose, développent leurs facultés, s'essayent dans la littérature et la
poésie, dans les sciences, les arts et l'industrie.
Voyez comme les femmes maintenant ressaisissent avec
audace leurs droits d'intelligence ; des œuvres de leur génie jaillissent de
toutes parts ; c'est en elles comme la première satisfaction d'un besoin
longtemps comprimé ; elles s'émeuvent et s'agitent dominées d'une inquiétude
inaccoutumée, d'un mouvement progressif confus encore, d'un malaise
indéfinissable ; c'est une impulsion qui les pousse malgré elles, un torrent
qui les emporte, une puissance qui les fascine ; ce sont des lueurs d'un avenir
qui les entraîne, avec lequel elles se familiarisent déjà, et dont l'approche
les rend fortes en face de la lutte qui s'apprête.
Les questions les plus dominantes maintenant sont,
sans contredit, celles qui ont rapport à la liberté des femmes ; c'est un
retentissement universel dans les salons, dans les théâtres, dans les romans,
les ateliers et les mansardes. Il n'est pas jusqu'aux journaux mâles qui
n'agitent plus ou moins directement les questions de la liberté des femmes.
[...] Aussi, faisant un dernier effort pour retenir
devers lui les lambeaux usés d'un monopole qui s'effile, l'homme voudra-t-il
éloigner de la femme tout développement organique et facultatif, toute
éducation libérale, espérant par là la contenir dans les bornes étroites d'une
mesquine domesticité. Dans de telles conjonctures, il est urgent que les femmes
ne dépensent plus en inutile polémique, et en plaintes et récriminations
monotones envers l'homme, la force de pensée, d'action et de volonté dont elles
sont douées.
Les femmes ne devront qu'à elles-mêmes
leur émancipation définitive.
Les hommes, pour vaincre tous les privilèges, font
fondé la Société des Droits de l'Homme ; eh bien ! que les femmes fondent une
société correspondante des Droits de la Femme. C'est par l'association seule
qu'elles s'affranchiront de la tutelle insolente et de l'esclavage injuste
qu'on leur imposa.
[...] Cette société sera, par-dessus tout, une
association mutuelle de secours pour toutes les femmes qui souffrent
physiquement, moralement et intellectuellement, et les femmes par là,
connaissant et respectant leurs droits réciproques, apprendront aux hommes à
les respecter.
Dès que cette société sera fondée, elle présentera une
adresse signée de toutes les sociétaires aux chambres législatives, aux rois,
aux gouvernants de la terre, par laquelle elles réclameront l'exercice de leurs
droits civils, religieux et politiques.
Elle fera sentir aux pouvoirs mâles que toute
représentation nationale est incomplète tant qu'elle n'est que mâle ; que si
les hommes représentent les droits des citoyens, des frères, des époux et des
fils, ils sont totalement impuissants à représenter les droits et les vœux des
citoyennes, des mères, des épouses et des filles.
Dans cette adresse, la Société des Droits de la Femme
réclamera le droit de voter pour son sexe dans des assemblées publiques, dans
des collèges électoraux, ainsi que les femmes aux Etats-Unis.
Elle réclamera le droit et l'autorisation de fonder
des collèges où les jeunes filles recevront toute l'éducation scientifique et
industrielle dont elles seront susceptibles, sans pour cela négliger les
travaux habituels à leur sexe ;
Des écoles de droit et de médecine, d'économie
industrielle et sociale, pourvues de professeurs aussi experts dans ces
spécialités que pour les écoles des jeunes hommes.
La force physique des femmes devra être aussi
développée dès l'enfance par tous les exercices gymnastiques qui peuvent être à
la portée de leur sexe.
En un mot, il est de la plus urgente nécessité que
l'éducation des femmes ait pour but définitif de développer le plus toutes les
facultés morales, physiques et intellectuelles, dont elles sont doués.
La Société des Droits de la Femme devra fonder un
journal dans lequel chaque sociétaire ou non aura le droit, même les hommes,
d'exprimer, sans restriction aucune, toute pensée relative à l'émancipation de
notre sexe.
Si une femme sociétaire ou non vient à la Société des
Droits de la Femme se plaindre d'avoir été outragée par un homme, la Société
entière, par ses représentants, devra réclamer hautement justice devant les
tribunaux, se montrer sévère en face de l'accusé afin de donner aux hommes une
leçon exemplaire.
A mesure que la Société des Droits de la Femme prendra
de l'accroissement, elle devra, par ses agents qui iront des salons aux
mansardes, et des mansardes aux ateliers, s'informer des femmes dans la misère,
sans travail et sans respect de leur dignité, vendues par leurs propres
familles, violées par des hommes, séduites et délaissées par d'autres,
brutalisées par leurs maris, outragées par leurs fils dans leurs cheveux
blancs.
Alors, ayant connaissance de toutes ces turpitudes
affligeantes, la Société des Droits de la Femme, selon ses moyens et son
extension, devra procurer du travail, casser le contrat de vente, relever avec
indulgence et bonté la dignité de celles qui s'avilissent, recueillir et
consoler la fille séduite, obtenir du séducteur, selon sa position et son
pouvoir, la réparation de cette fille ; s'il ne peut l'épouser, qu'il lui
fasse, par contrat devant notaire, une pension proportionnée à son plus ou
moins de fortune, pension réversible sur l'enfant, si cet homme l'a rendue
mère, mais que toujours il reconnaissance cet enfant devant la loi.
En cas de mauvais mariage, de brutalité, d'inconduite
du mari ou de la femme, en cas de non harmonie entre les époux, la Société,
après amples et sages informations, se portera partie et demandera séparation
de corps et de biens. [...]
Bien des femmes riches, et pourtant sans bonheur au
sein même de l'opulence, cherchent, par de factieux plaisirs, à endormir leurs
douleurs ; à cet effet, elles préparent leur budget, comptent à l'avance les
sommes que l'hiver elles jetteront et sèmeront en bals, spectacles, parures et
futilités ; mais pour elles, lorsque s'éclipse l'enivrement de leurs fêtes et
que se dissipe l'endormissement, que reste-il au réveil ? [...]
Combien votre pensée serait délicieuse et clame, si,
au souvenir de vos brillants plaisirs, se mêlait celui du bien que vous auriez
fait ! Et cependant pour chacune de vous il faudrait au plus le prix d'une de
vos luxurieuses fêtes sur dix.
Que ma voix donc de femme et de mère ne soit pas, en
s'adressant à vous; celle qui prêche dans un stérile désert."
-Adèle de Saint-Amand, Proclamation aux femmes sur la nécessité de fonder une Société des droits de la Femme, Paris, impr. H. Fournier, 1834, 4 pages.
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