jeudi 10 juillet 2025

L’Angleterre moderne (XVIe – XVIIe siècle). Éléments d’introduction

"L' "âge des Tudors", le "temps des Stuarts" correspondent à une époque de considérable développement de la richesse anglaise. Les progrès, plus rapides au XVIe siècle, ne cèdent pas la place, comme dans la France de Louis XIV, à une récession importante et, malgré des crises certaines, les deux siècles étudiés ici sont marqués par la régularité relative de la croissance économique. A l'Angleterre "pauvre" du début de la période s'oppose l'image d'un pays enrichi et plus prospère que ses voisins continentaux au déclin du XVIIe siècle." (p.103)

"L'Europe occidentale et centrale tout entière connaît, à partir du deuxième tiers ou de la seconde moitié du XVIe siècle, les effets de l'arrivée en quantités croissantes de métaux précieux en provenance de l'Afrique occidentale, de l'Asie, mais surtout de l'Amérique espagnole, relayée au XVIIe siècle par le Brésil. [...] Par le jeu des échanges commerciaux, mais aussi de la piraterie, et les corsaires anglais du temps d'Élisabeth, conseillée par Gresham, en 1560-61. La confiance dans la monnaie agit positivement dans tous les secteurs de la vie économique. Surtout, l'augmentation de la masse monétaire en circulation provoque une élévation lente et continue des prix : les victimes sont surtout les salariés, cependant que les producteurs et les employeurs, qui ne cherchent pas à relever les salaires en proportion de la hausse des prix, bénéficient de profits supérieurs. L'esprit d'entreprise en est fortement stimulé." (p.104)

"Trois millions d'habitants environ sous Henri VII, moins de quatre millions et demi vers 1579, environ cinq millions quatre cent mille [...] en 1688, l'essor est important même si, à la date de la dernière estimation, l'Angleterre n'a encore qu'un peu plus du quart de la population française d'alors. [...] Le taux d'élévation annuel aurait été en moyenne supérieure à 1%." (p.105)

"[Selon Tawney] ni l'Etat ni l'église d'Angleterre n'ont cessé de protester contre l'usure, de la poursuivre et de la condamner, de chercher au moins à limiter le taux d'intérêt [...]

L'emprise certainement moins forte de l'Église établie a favorisé la mise en question des vieilles valeurs et permis à l'esprit de gain de se développer. Nombre de dissidents, privés de fonctions officielles, ont pu être d'autant plus tentés de rechercher dans les affaires la satisfaction de leurs ambitions qu'effectivement enrichissement et salut n'étaient plus contradictoires. La haine croissante des "papistes" a apporté le soutien de l'opinion publique à ceux qui s'attaquaient aux monopoles commerciaux espagnols et portugais. Ni les souverains, ni les hommes d'affaires n'ont pu être embarrassés par les décisions pontificales qui avaient partagé à la fin du XVe siècle l'hémisphère occidentale entre les deux puissances ibériques. Ce sont là des points importants. Ils ne permettent pas de parler d'un rôle déterminant de l'esprit protestant. D'autant qu'il ne faut pas oublier les grands hommes d'affaires catholiques du Continent, des Médicis aux Fugger, la hardiesse des armateurs catholiques, tel le Français Jean Ango, le refus d'un roi très chrétien, François Ier, de reconnaître le partage du monde garanti par les bulles pontificales... Et l'on pourrait aussi bien trouver dans mainte religion, la catholique comme la juive, des facteurs tout aussi "déterminants" de progrès économique !" (pp.106-107)

"On passe progressivement à un véritable mercantilisme (plus réel au XVIIe siècle qu'au XVIe), de recherche d'une production intérieure sans cesse accrue, de véritable guerre monétaire et douanière avec l'étranger, de protection à des compagnies de commerce et de colonisation dotées de monopoles. Politique d'un des meilleurs conseillers d'Elisabeth, Burleigh, comme de Cromwell lui-même ; politique parallèle à celle des grandes puissances du Continent, dont elles s'inspire d'ailleurs souvent. [...] La paix intérieure, pratiquement assurée, sauf à de rares intervalles, jusqu'en 1642, et l'absence de toute invasion ont permis la régularité de la croissance économique [...] La structure sociale, marquée par l'absence de toute barrière infranchissable, par le renouvellement par le bas de la classe aristocratique, par le besoin des cadets de grandes familles de trouver leurs propres voies vers les honneurs et la richesse, par le va-et-vient de bourgeois enrichis vers les campagnes et de fils de la gentry vers les villes, joue contre la routine et draine capitaux et énergies vers les secteurs les plus rentables. Le bourgeois peut être tenté d'investir son argent dans la terre, mais, contrairement à son homologue français, il ne le gaspille pas dans l'achat d'un office anoblissant." (pp.107-108)

"De grands domaines traditionnels sont vendus en bloc ou en détail : domaines des adversaires des Tudors ou des Stuarts, domaines des soixante-dix lords pendant la première révolution ; biens de main-morte des monastères, confisqués par les deux actes de 1536 et 1537, distribués ou vendus par Henri VIII et ses successeurs immédiats ; les bénéficiaires de ces opérations ont pu être de grands personnages, mais souvent aussi des membres de la gentry et surtout des bourgeois enrichis ; les transferts de propriété ont été durables, sauf dans le cas des terres confisquées par la révolution [...]
La science agronomique relève la tête et on voit paraître des ouvrages importants à l'usage des agriculteurs [...] qui plaident en général pour les enclosures." (pp.108-109)

"Il faut distinguer les enclosures faites ou demandées pour l'amélioration des conditions du travail et des rendements de celles effectuées par la seule croissance des revenus du lord et accompagnées d'évictions brutales. Les plaintes nombreuses, auxquelles font écho tant d'écrits, de l'Utopie de Thomas More (1516) aux proclamations des Levellers (Niveleurs) sous la première révolution, soulignent l'importance des opérations de la seconde catégorie, mais ne doivent pas faire oublier les premières. L'Etat s'est longtemps opposé aux unes et aux et le Conseil privé a efficacement joué, sous les Tudors comme sous les premiers Stuarts, son rôle judiciaire de dernier recours des plaignants. Des enquêtes parlementaires, semblables à celles de 1517, ont été menées à plusieurs reprises et des actes passées contre les enclosures en 1562-63, 1597-1598, 1601, pour ne prendre que le seul règne d'Elisabeth. Cette ardeur devient plus molle à partir de la révolution et les Parlements en arrivent, dès 1656, à considérer la lutte contre l'enclosure "comme le programme d'une secte de radicaux religieux et politiques" [...] signe à la fois de la portée des conseils agronomiques et de l'influence des propriétaires dans le Parlement. Il ne faudrait pas croire pourtant qu'entre le début du XVIe siècle et la fin du siècle suivant le paysage anglais ait été fondamentalement modifié : le mouvement a surtout affecté les comtés de l'Est et des Midlands, très peu les comtés du Sud-ouest (Devon et Cornouailles) et ceux du Nord, à l'exception du Northumberland et du Durham. La majorité des terres encore soumises à l'ancien système communautaire au début du XVIIIe siècle. Il est pourtant remarquable que la longue opposition de l'Etat n'ait pas davantage retardé les innovations : sans doute l'explication est-elle à rechercher dans la mauvaise volonté des serviteurs mêmes de cet Etat qui, dans les campagnes, ne sont autres que des propriétaires fonciers personnellement intéressés à leur réalisation." (pp.110-111)

"La société rurale

Les classes dirigeantes
Une hiérarchie sociale plus différenciée caractérise de plus en plus les campagnes. Les lords (les Russel, les Seymour, les Dudley, les Cecil...), possesseurs de domaines immenses, d'acquisition souvent récente, laissent en général, par leur non-résidence, le haut du pavé à la petite noblesse, dont les rangs se renouvellent d'ailleurs. Il n'est guère possible de dire d'un mot la condition de cette gentry, extrêmement diverse, où se rencontrent aussi bien de très grosses fortunes foncières que des cas de réelle pauvreté ; dans son ensemble, la classe a inégalement bénéficié de l'évolution économique : la hausse des prix a durement touché au XVIe siècle, des propriétaires moyens au train de vie exagéré, mais au XVIIe siècle, les achets de terres et les nouveaux modes d'exploitation ont relevé certaines fortunes... de même que des alliances matrimoniales opportunes ; véritable bourgeoisie rurale riche et active ou groupe sans homogénéité et en partie en crise, les deux définitions font l'objet des controverses entre historiens ; tous s'accordent à souligner son rôle social et son prestige, et la plupart des tenants de la thèse pessimiste distinguent entre la "vieille" gentry et la "nouvelle", d'origine bourgeoise et plus aisée.

Les paysans
Cette même diversité se retrouve au niveau inférieur de la yeomanry : terme parfois ambigu, qui désigne en principe les paysans propriétaires d'un bien suffisant pour en faire des citoyens à part entière, mobilisables et dotés du droit de vote lors des élections parlementaires. Leurs biens propres satisfaisant plus ou moins à leurs besoins et nombre d'entre eux sont obligés de louer des terres supplémentaires et apparaissent peu différents des tenanciers ; plus nombreux dans l'Est, les yeomen ont bénéficié du mouvement des prix et leur prospérité s'est traduite dans la construction de fermes cossues à la fin du XVIe siècle ; au début du XVIIe, ils ont été souvent parmi les premiers à solliciter la clôture des terres ; mais leur position indépendante en a parfois fait aussi les adversaires les plus coriaces des lords désireux de remembrer, de partager les communaux, etc. Quelle que soit sa réelle fortune, le yeoman est considéré avec beaucoup d'envie par les tenanciers cependant que les pouvoirs publics voient en lui le citoyen utile par excellence ; selon Gregory King et Ch. Davenant, les yeomen auraient été, avec leurs familles, neuf cent quatre-vingt mille en 1688, près du quart des ruraux, mais deux cent quatre-vingt mille seulement auraient été de la "meilleure condition".

La peasantry regroupe des catégories encore une fois fort variées : la transformation du manoir en une exploitation de type capitaliste a apporté de notables innovations au sort des tenanciers ; on a vu se développer une catégorie de fermiers, tenant leur terre à bail (leaseholders) et dont beaucoup sont forts proches, par leur condition, des plus aisés des yeomen ; les copyholders sont ceux qui, profitant de la conjoncture favorable, ont pu faire établir par écrit la coutume du manoir et détiennent, à titre perpétuel et héréditaire, une tenure d'étendue variable à des conditions fixes ; les tenants at will jouissent d'un droit précaire et purement oral d'occupation et d'exploitation de terres qu'ils ont souvent défrichées de leur propre initiative sur les communaux et peuvent en être privés brusquement. Le grand effort des propriétaires a été, au cours de cette période, de faire prévaloir la condition de lease-holders sur celle de copyholders et d'englober ainsi dans la première catégorie la plupart des tenanciers, avec la possibilité de faire varier les redevances : la pression exercée sur les intéressés a parfois été fort brutale. Dans ce monde des fermiers et tenanciers, les différences de fortune sont considérables [...]

A la base de la société rurale, les cottagers, propriétaires de leur seule maison, à laquelle, selon une loi mal respectée d'Elisabeth (1598), devaient être rattachés au moins quatre acres ; parmi eux se recrute l'essentiel des travailleurs salariés que Gregory King estimait à trois cent soixante-quatre mille familles ou un million deux cent soixante-quinze mille personnes. Un nombre variable de vagabonds et de mendiants -plusieurs dizaines de milliers à la fin du XVIIe siècle- sont durement pourchassés et sujets aux condamnations les plus sévères. Toutes ces oppositions sociales se marquent de plus en plus dans le paysage où les élégantes demeurent précédées de jardins de l'aristocratie et les fermes pimpantes contrastent avec des chaumières misérables. La législation remédie plus ou moins bien aux abus: la loi des pauvres de 1597 ordonne certes, sous la responsabilité des juges de paix, que des secours soient accordées aux indigents sous forme de travail ou de charité en cas d'invalidité ou de jeune âge ; mais le Statut des Apprentis et Artisans de 1563, s'il donne certaines garanties de stabilité aux travailleurs, édicte aussi des contraintes rigoureuses et prescrit la fixation du salaire par les juges de paix, chaque année, après consultation de "personnes compétentes et avisées", ce qui permet en fait au XVII siècle surtout de maintenir son niveau à un taux très bas. La misère des campagnes se traduit par des révoltes agraires plus ou moins sérieuses, surtout sous les premiers Stuarts." (pp.111-114)

"Les fluctuations relativement faibles et peu fréquentes des prix agricoles au XVIIe siècle témoignent en faveur de la thèse d'une production -suffisante pour les besoins de la nation." (p.115)

"Les Tudors comme les premiers Stuarts se font une conception très "dirigiste" de l'industrie et, avec plus ou moins de bonheur, s'efforcent de développer les productions, de les diversifier et d'en assurer la qualité. A son rôle traditionnel de protecteur, l'Etat ajoute ceux d'animateur et de contrôleur. Il prend, pour ce dernier, la place des guildes, en pleine décadence au XVIe siècle, et qui ne se relèvent pas de la confiscation de leurs biens, prononcée par Edouard VI. Des règlements nationaux sont édictés et des méthodes mises au point pour assurer leur application. Nous avons déjà évoqué le fameux Statut des Apprentis et Artisans de 1563 ; il ordonne, pour les métiers industriels, un apprentissage uniforme de sept années, et interdit la maîtrise avant l'âge de vingt-quatre ans ; ces règles sont applicables dans les campagnes comme dans les villes. D'autre part, pour protéger les métiers urbains, draperie, mercerie, orfèvrerie, un véritable cens est fixé : seuls les fils de propriétaires ruraux dont la terre vaut un revenu de plus de 60 shillings, peuvent être admis dans les ateliers urbains comme apprentis ; on aboutit ainsi à une discrimination fort nette entre ruraux et citadins. [...] Pour assurer l'exécution des lois et règlements, on recourt de plus en plus, à partir de la fin du règne d'Elisabeth, à des compagnies industrielles locales, composées de riches fabricants, dotées de privilèges accordés par la Couronne et non pas par les municipalités, et qui prennent des responsabilités autrefois dévolues aux guildes. Jacques Ier et Charles Ier accentuent les contrôles étatiques et nomment des officiers spécialement chargés de veiller à la bonne observance des règles : ainsi en 1605, le duc de Lennox est, avec le titre d'aulnager, placé à la tête d'une administration qui a pour mission de contrôler les tissus. La seconde moitié du XVIIe siècle voit l'écroulement d'un système tracassier et la marche au laisser-faire.

Les souverains ont cherché d'autre part à encourager l'implantation d'industries nouvelles : à une époque où le secret technique est la règle, ils ont dû faire appel, comme la France, à des ouvriers étrangers. Pays protestant et terre de refuge, l'Angleterre a accueilli sur son sol des vagues successives d'immigrants, calvinistes de Flandre et de Wallonie sous Elisabeth, calvinistes français à la même époque, huguenots chassés un siècle plus tard par les persécutions de Louis XIV, etc.
Avec eux sont introduites en Angleterre les industries de la soie, et surtout les futaines, étoffes grossières de laine et de lin ; on leur doit également les premières et petites industries du coton, transférées d'Anvers au Lancashire, et des progrès dans les techniques de la verrerie et de la métallurgie. Les étrangers désireux de s'établir en Angleterre reçoivent des lettres patentes où sont énumérés droits et privilèges de toutes sortes: elles leurs sont d'autant plus nécessaires que, sauf quelques cités (telle Norwich), les corporations municipales leur font un accueil mitigé.

L'octroi de privilèges et de monopoles ne se limite pas aux étrangers : dès le règne d'Elisabeth, mais surtout sous les deux premiers Stuarts, la Couronne prend l'habitude d'octroyer à des particuliers ou à des sociétés l'exclusivité de la production dans un secteur donné, salines, savonneries, papeteries, verreries, etc. ; le monopole est justifié par une invention réelle ou supposée, telle la fonte du verre au charbon de terre, qui permet d'économiser le précieux charbon de bois. En 1624, le Parlement prétend limiter tout monopole à quatorze ans et veut le faire dépendre d'une invention réelle ; mais Charles Ier s'est plus ou moins soucié de ces limitations. [...] L'octroi de lettres patentes a moins favorisé le progrès industriel que permis à la Couronne de "faire de l'argent"." (PP.115-117)

"Sous l'impulsion de l'Etat, mais surtout des particuliers, certains progrès substantiels sont réalisés. Les vieilles industries lainières progressent et gagnent de nouvelles régions, en particulier le Nord et l'Ouest. Dès le règne d'Elisabeth, le Yorkshire, le Lancashire, le Devon, certains districts gallois deviennent des lieux actifs de fabrication des étoffes ; Manchester et Bolton constituent des centres de production de la futaine. Les soieries se développent à Spitalfields et Canterbury. La seconde moitié du XVIIe siècle voit grandir l'importance du coton, concentré presque exclusivement dans le Lancashire. L'accroissement des productions s'accompagne de la modification des structures. Plus que jamais, l'industrie textile est loin d'être une industrie proprement urbaine : les ateliers ruraux restent fort nombreux ; la division du travail devient la règle et le travail industriel est effectué à l'initiative de marchands capitalistes, qui répartissent les matières premières entre de multiples ateliers et ramassent le produit fini, les artisans restant les maîtres de leurs machines (putting-out system). Les crises sont pourtant graves dans l'industrie textile au XVIIe siècle, liées parfois aux événements politiques (première révolution), mais aussi à la politique mercantiliste des autres puissances européennes et à la concurrence hollandaise et française.

Si le textile reste le secteur industriel de base, d'autres se développent: fonderies de cuivre à Birmingham, verreries à Londres, dans le Hampshire et le Staffordshire, petite métallurgie (par exemple à Colchester où s'installent après 1561 quelques dizaines de familles flamandes). Dans les régions du bassin de Londres, la grosse métallurgie est florissante et on construit, dès le règne d'Elisabeth, des hauts-fourneaux de quarante pieds de haut dont la production annuelle, cent à cinq cent tonnes de fonte, est considérable pour l'époque.

Les industries extractives sont sans doute les plus prospères. Les individus sont d'autant plus actifs que la propriété du sous-sol n'appartient ici pas à l'Etat. Des mines de cuivre sont exploitées dans la seconde moitié du XVIe siècle dans le Nord, des mines d'étain et de plomb dans le Devon et la Cornouailles. Et surtout, on voit naître la grande exploitation du charbon de terre : l'épuisement croissant des forêts y pousse et, si les efforts d'utilisation dans les hauts-fourneaux s'avèrent vains, les débouchés sont multiples dans les forges, les verreries et le chauffage domestique. Exploités d'abord à fleur de terre, le charbon l'est au XVIIe siècle par des puits, ce qui pose le difficile problème de l'évacuation de l'eau. Les grandes régions sont le Durham, le Northumberland, les Midlands, le Cumberland et le pays de Galles. La production [...] atteint des totaux de plus en plus élevés, passant de deux cent dix mille tonnes par an en moyenne dans la période 1551-1560 à près de trois millions de tonnes un peu d'un siècle plus tard, dans la période 1681-1690. Expédiés par eau vers les grandes villes, en particulier Londres, le charbon y supplante le bois dans les usages domestiques.

Diversifiée, réorganisée, encouragée, dotée depuis 1571 d'un véritable marché national par l'abolition des douanes intérieures, l'industrie anglaise paraît dès la fin du XVIIe siècle avoir surpassé toutes les autres." (pp.118-120)

"Le développement de l'industrie s'est accompagné de maux sociaux certains. En période de hausse des prix, les artisans soumis au putting-out system et les ouvriers ont été plus ou moins victimes des efforts des fabricants pour maintenir au plus bas les salaires et les rémunérations. Le Statut des Apprentis a certes permis de garantir un salaire minimum, mais il n'a été appliqué en fait que jusqu'à la révolution de 1642 et avec beaucoup de répugnance ; de plus, les juges de paix ont systématiquement estimé que les nouveaux secteurs industriels n'étaient pas couverts par le Statut. Les périodes de dépression ont été d'autant plus sévèrement ressenties que la Loi des Pauvres, de son côté, ne semble pas avoir été appliquée avec un zèle excessif. L'absence de toute organisation de défense a privé les ouvriers de tout moyen de réagir efficacement. Dans certaines villes où le développement industriel est grand, à commencer par Londres, les questions de l'hygiène et du logement se posent de façon dramatique et dans l'agglomération de près d'un demi-million d'habitants, les travailleurs, logés surtout dans les quartiers extérieurs de Saint Giles, Cripplegate, Whitechapel, Stepney, souffrent particulièrement en cas de maladie ou de disette. Il est difficile d'estimer le niveau de vie des artisans et ouvriers en général, car au salaire s'ajoute fréquemment, toujours dans les campagnes, les ressources tirées de l'exploitation d'un champ ou d'un jardin et, d'autre part, le revenu d'un artisan est celui que lui procurent son propre travail et celui des membres de sa famille. Il serait certainement erroné de dresser un tableau très optimiste de la situation sociale de l'Angleterre. Aux fortunes accumulées par les fabricants et marchands-fabricants, les Winchcombe, les Dudley, les Foley, correspondent la misère ou la pauvreté du plus grand nombre." (pp.120-121)

"Le XVIe siècle voit la fin du rêve de colonisation continentale. La perte de Calais en 1558 symbolise l'achèvement d'une période." (p.121)

"Le développement commercial et la fondation de colonies ont lieu simultanément. Ils sont dus tous au rôle de compagnies privées par actions qui reçoivent de la Couronne des Chartes : celles-ci concèdent un monopole pour les relations commerciales entre l'Angleterre et un secteur déterminé du monde, octroient des droits régaliens sur les territoires où il y aurait établissement. Les processus sont identiques à ceux que l'on retrouve dans tous les pays européens du temps, mais le rôle de l'Etat et ses droits sont inférieurs en Angleterre à ceux que la monarchie se réserve en Espagne ou au Portugal. Vers le milieu du XVIe siècle, la seule grande association de marchands est celle des Merchant Adventurers, constituée un siècle plus tôt pour le commerce de la mer du Nord et de la Baltique, en lutte constante contre la Hanse à qui elle parvient à faire retirer tous ses privilèges à Londres (1552). En 1553, la Compagnie de Moscovie (240 actionnaires) a été créées. Le règne d'Elisabeth voit se multiplier les compagnies : de la Baltique (1579), du Levant (1581), du Maroc (1585), de Sénégambie (1588), de Gambie et de Sierra Leone (1592), et surtout la Compagnie des Indes orientales, fondée en 1600. Cette dernière est promise aux destins les plus importants ; elle est fondée à l'initiative d'un marchand de Londres, Jacques Lancaster ; son capital initial est de quatre-vingt mille livres, ce qui est relativement peu, et son rôle premier est purement commercial ; la concurrence anglaise la rejette bientôt vers l'Inde. Après plusieurs crises, elle est réorganisée en 1657 et son capital fixé à sept cent quarante mille livres : elle assure alors des dividendes de plus en plus importants à ses actionnaires (20 à 40%). Sous les Stuarts, apparaissent d'autres compagnies, plus ou moins heureuse dans leurs opérations et plus ou moins précaires dans leur existence : une compagnie de Guinée doit être réorganisée à plusieurs reprises, la Compagnie de la Baie d'Hudson (1670) connaît une prospérité relative." (pp.122-123)

"La plupart des petites Antilles ont été occupées entre 1624 et 1650 et la Jamaïque acquise en 1655. Tous les régimes ont apporté leur pierre à cette construction antillaise, et on se l'explique aisément par les immenses profits que valent les plantations de tabac, de canne à sucre et aussi de coton. Un commerce triangulaire peut ainsi se développer, qui englobe l'Afrique où, dès les années 1562-1569, John Hawkins avait montré la voie de la traite des Noirs. [...] Hors du continent américain, les colonies sont avant tout des comptoirs [...] fondés en Inde à Madras, puis à Hugli sur le delta du Gange, à Bombay en 1662 et près de Calcutta en 1686." (pp.123-124)

"Les difficultés rencontrées sont pourtant considérables. C'est la piraterie, difficilement combattue par les marines de guerre des grands Etats, et contre laquelle les souverains anglais n'ont jamais pu réunir des moyens suffisants ; c'est le coût croissant de la construction des navires, lié à l'augmentation du prix du bois qui se raréfie en Angleterre ; c'est surtout la difficulté de recruter des équipages dans un pays qui, à la fin du XVe siècle encore, ne comptait qu'environ vingt mille marins et pêcheurs et qui n'en a guère plus de trente mille un siècle plus tard. Des efforts considérables sont faits sous le règne d'Elisabeth, stimulés par les dangers extérieurs qui culminent avec la menace de l'Invincible Armada en 1588. Burleigh semble avoir été le principal conseiller de la reine dans ce domaine aussi. Dès 1558, un Statut interdit d'abattre des arbres pour la métallurgie dans un rayon de 14 milles à partir de la côte. On encourage l'établissement de corderies et de fabrication de toiles. Pour développer la pêche, une loi de 1563 ordonne qu'il y aura trois jours de consommation de poissons par semaine : les pêcheries passent pour d'excellentes écoles de marins. La même loi dispense pêcheurs et marins de tout service militaire à terre. Mais le problème du recrutement resta grave pendant toute la période et on dut avoir recours à des étrangers : un équipage formé pour les trois quarts seulement par des marins anglais paraissait un cas normal au milieu du XVIIe siècle. En 1688, il y aurait eu cinquante mille marins. [...]

C'est en 1651 qu'un acte est promulgué "pour l'accroissement de la flotte et l'encouragement de la vie maritime de la nation": toute marchandise coloniale ou provenant d'un continent extra-européen devait être apportée dans un port anglais uniquement sur des bateaux anglais, dont l'équipage serait en majorité anglais. D'Europe, les marchandises pouvaient venir sur bâtiments étrangers, mais de la nationalité exclusive des pays producteurs du bien vendu ; aux navires anglais seuls était réservé le trafic entre des ports dépendant de la Couronne d'Angleterre. Inspiré par des nécessités militaires autant que par des vues économiques, mais sollicité avec vigueur par des marchands de Londres, l'acte de Navigation de 1651 a surtout provoqué une guerre contre la Hollande. Ses dispositions sont reprises dès la Restauration et l'acte de Navigation de 1660 précise que les trois quarts d'un équipage de navire anglais devaient être de nationalité anglaise ; il est complété en 1663 par un nouvel acte, qui réserve à la métropole le commerce exclusif avec ses colonies et fait de l'Angleterre l'entrepôt et l'étape nécessaires de tous les produits à destination des colonies ou en arrivant. Ces actes sont plus ou moins rigoureusement appliqués, car souvent la nécessité oblige à tourner la loi." (pp.125-126)

"Tous ces efforts de la monarchie, l'élan qui anime navigateurs et marchands ne se comprendraient pas sans un état d'esprit "impérialiste" progressivement forgé. Des écrivains et des hommes d'action ont dès le début du XVIe siècle poussé l'Angleterre "vers le large". Thomas More est généralement cité le premier, qui dans son Utopie exalte un Etat insulaire idéal, tournant le dos au continent et se lançant vers la mer : mais, traduite en anglais en 1551 seulement, l'œuvre ne semble pas avoir eu, du point de vue maritime et colonial, l'importance qu'on lui a parfois prêtée. Au temps d'Elisabeth, la haine de l'Espagne et le patriotisme agissent en faveur d'une expansion que souhaitent des hommes bien en cour : Richard Hakluyt, auteur des Principal Navigations, Sir Humprey Gilbert, originaire du Devon et grand tenant de la route du nord-est, son ami Peckham plaident pour une colonisation qui résoudrait le problème du "surpeuplement" en Angleterre et pour le développement d'une flotte qui permettrait à leur pays de tirer le plus grand profit des relations avec la Chine et tout l'Extrême-orient. Walter Raleigh souligne que "qui tient la mer, tient le commerce du monde, qui tient le commerce du monde, tient le monde lui-même." Elisabeth, qui n'hésite pas à investir de l'argent dans l'expédition de Francis Drake contre les gallions espagnols (1573-1580), est d'autant plus convaincue que nombre de hauts personnages sont également séduits par toutes ces perspectives : tels Burleigh, les comtes de Leicester et de Pembroke, le Lord Amiral Clinton. Un esprit d'aventure pénètre la population anglaise, plus fort d'abord en Cornouailles et dans le Devon, d'où partent les grands marins, mais qui se répand partout: on le retrouve dans certaines œuvres de Shakespeare, dont La Tempête [...] Moins fort que dans les pays catholiques, le sentiment que colonisation et diffusion d'une civilisation et surtout d'une religion sont liées contribue à encourager explorateurs, marchands et gouvernants. Au XVIIe siècle, tous ces sentiments ne font que s'accentuer et les deux premiers Stuarts sont convaincus de la nécessité de l'expansion commerciale et coloniale. Vers le milieu du siècle, deux ouvrages viennent montrer combien le destin de l'Angleterre est désormais associé à la mer: Thomas Hobbes, dans son Leviathan, réunit par un lien indissoluble les colonies à la métropole dans un même Commonwealth ; James Harrington, près d'un siècle et demi après l'Utopia publie l'Oceania, où l'Etat-type tire l'essentiel de sa force et de sa puissance de l'exploitation de la mer et la possession de territoires lointains. L'approbation que la Restauration s'empresse de donner aux actes du pouvoir puritain démontre que les milieux influents du Royaume sont désormais acquis à tout ce qui peut développer la prospérité maritime." (pp.127-128)

"Sur la suggestion de Gresham, [Londres voit en 1558 la création du Royal Exchange], grande bourse de commerce imitée de celle d'Anvers. La City est le cœur commercial et industriel [...] De cent mille habitants vers 1558, sa population passe à deux cent mille vers 1603, à environ un demi-million à la fin du XVIIe siècle. Décimée par la peste en 1665, la ville surmonte toutes ses épreuves et témoigne d'une vitalité étonnante." (p.129)

"A la fin de cette période, Gregory King affirmait que l'Angleterre était le pays le plus riche d'Europe après la Hollande et il pouvait avec orgueil souligner la supériorité du revenu moyen par tête d'habitant en Angleterre par rapport à la France." (p.129)

-Roland Marx & Philippe Chassaigne, Histoire de la Grande-Bretagne, Perrin, 2004 (1980 pour la première édition), 581 pages.

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