"L'Europe occidentale et centrale tout entière
connaît, à partir du deuxième tiers ou de la seconde moitié du XVIe siècle, les
effets de l'arrivée en quantités croissantes de métaux précieux en provenance
de l'Afrique occidentale, de l'Asie, mais surtout de l'Amérique espagnole,
relayée au XVIIe siècle par le Brésil. [...] Par le jeu des échanges
commerciaux, mais aussi de la piraterie, et les corsaires anglais du temps
d'Élisabeth, conseillée par Gresham, en 1560-61. La confiance dans la monnaie agit
positivement dans tous les secteurs de la vie économique. Surtout,
l'augmentation de la masse monétaire en circulation provoque une élévation
lente et continue des prix : les victimes sont surtout les salariés, cependant
que les producteurs et les employeurs, qui ne cherchent pas à relever les
salaires en proportion de la hausse des prix, bénéficient de profits
supérieurs. L'esprit d'entreprise en est fortement stimulé." (p.104)
"Trois millions d'habitants environ sous Henri
VII, moins de quatre millions et demi vers 1579, environ cinq millions quatre
cent mille [...] en 1688, l'essor est important même si, à la date de la
dernière estimation, l'Angleterre n'a encore qu'un peu plus du quart de la
population française d'alors. [...] Le taux d'élévation annuel aurait été en
moyenne supérieure à 1%." (p.105)
"[Selon Tawney] ni l'Etat ni l'église
d'Angleterre n'ont cessé de protester contre l'usure, de la poursuivre et de la
condamner, de chercher au moins à limiter le taux d'intérêt [...]
L'emprise certainement moins forte de l'Église établie
a favorisé la mise en question des vieilles valeurs et permis à l'esprit de
gain de se développer. Nombre de dissidents, privés de fonctions officielles,
ont pu être d'autant plus tentés de rechercher dans les affaires la
satisfaction de leurs ambitions qu'effectivement enrichissement et salut
n'étaient plus contradictoires. La haine croissante des "papistes" a
apporté le soutien de l'opinion publique à ceux qui s'attaquaient aux monopoles
commerciaux espagnols et portugais. Ni les souverains, ni les hommes d'affaires
n'ont pu être embarrassés par les décisions pontificales qui avaient partagé à
la fin du XVe siècle l'hémisphère occidentale entre les deux puissances
ibériques. Ce sont là des points importants. Ils ne permettent pas de
parler d'un rôle déterminant de l'esprit protestant. D'autant qu'il ne faut
pas oublier les grands hommes d'affaires catholiques du Continent, des Médicis
aux Fugger, la hardiesse des armateurs catholiques, tel le Français Jean Ango,
le refus d'un roi très chrétien, François Ier, de reconnaître le partage du
monde garanti par les bulles pontificales... Et l'on pourrait aussi bien
trouver dans mainte religion, la catholique comme la juive, des facteurs tout
aussi "déterminants" de progrès économique !" (pp.106-107)
"On passe progressivement à un véritable
mercantilisme (plus réel au XVIIe siècle qu'au XVIe), de recherche d'une
production intérieure sans cesse accrue, de véritable guerre monétaire et
douanière avec l'étranger, de protection à des compagnies de commerce et de
colonisation dotées de monopoles. Politique d'un des meilleurs conseillers
d'Elisabeth, Burleigh, comme de Cromwell lui-même ; politique parallèle à celle
des grandes puissances du Continent, dont elles s'inspire d'ailleurs souvent.
[...] La paix intérieure, pratiquement assurée, sauf à de rares intervalles,
jusqu'en 1642, et l'absence de toute invasion ont permis la régularité de la
croissance économique [...] La structure sociale, marquée par l'absence de
toute barrière infranchissable, par le renouvellement par le bas de la classe
aristocratique, par le besoin des cadets de grandes familles de trouver leurs
propres voies vers les honneurs et la richesse, par le va-et-vient de bourgeois
enrichis vers les campagnes et de fils de la gentry vers les villes, joue
contre la routine et draine capitaux et énergies vers les secteurs les plus
rentables. Le bourgeois peut être tenté d'investir son argent dans la terre,
mais, contrairement à son homologue français, il ne le gaspille pas dans
l'achat d'un office anoblissant." (pp.107-108)
"De grands domaines traditionnels sont vendus en
bloc ou en détail : domaines des adversaires des Tudors ou des Stuarts,
domaines des soixante-dix lords pendant la première révolution ; biens de
main-morte des monastères, confisqués par les deux actes de 1536 et 1537,
distribués ou vendus par Henri VIII et ses successeurs immédiats ; les
bénéficiaires de ces opérations ont pu être de grands personnages, mais souvent
aussi des membres de la gentry et surtout des bourgeois enrichis ; les
transferts de propriété ont été durables, sauf dans le cas des terres
confisquées par la révolution [...]
La science agronomique relève la tête et on voit paraître des ouvrages
importants à l'usage des agriculteurs [...] qui plaident en général pour les
enclosures." (pp.108-109)
"Il faut distinguer les enclosures faites ou
demandées pour l'amélioration des conditions du travail et des rendements de
celles effectuées par la seule croissance des revenus du lord et accompagnées
d'évictions brutales. Les plaintes nombreuses, auxquelles font écho tant
d'écrits, de l'Utopie de Thomas More (1516) aux proclamations des Levellers (Niveleurs)
sous la première révolution, soulignent l'importance des opérations de la
seconde catégorie, mais ne doivent pas faire oublier les premières. L'Etat s'est
longtemps opposé aux unes et aux et le Conseil privé a efficacement joué, sous
les Tudors comme sous les premiers Stuarts, son rôle judiciaire de dernier
recours des plaignants. Des enquêtes parlementaires, semblables à celles de
1517, ont été menées à plusieurs reprises et des actes passées contre les
enclosures en 1562-63, 1597-1598, 1601, pour ne prendre que le seul règne
d'Elisabeth. Cette ardeur devient plus molle à partir de la révolution et les
Parlements en arrivent, dès 1656, à considérer la lutte contre l'enclosure
"comme le programme d'une secte de radicaux religieux et politiques"
[...] signe à la fois de la portée des conseils agronomiques et de l'influence
des propriétaires dans le Parlement. Il ne faudrait pas croire pourtant qu'entre
le début du XVIe siècle et la fin du siècle suivant le paysage anglais ait été
fondamentalement modifié : le mouvement a surtout affecté les comtés de l'Est
et des Midlands, très peu les comtés du Sud-ouest (Devon et Cornouailles) et
ceux du Nord, à l'exception du Northumberland et du Durham. La majorité des
terres encore soumises à l'ancien système communautaire au début du XVIIIe
siècle. Il est pourtant remarquable que la longue opposition de l'Etat n'ait
pas davantage retardé les innovations : sans doute l'explication est-elle à
rechercher dans la mauvaise volonté des serviteurs mêmes de cet Etat qui, dans
les campagnes, ne sont autres que des propriétaires fonciers personnellement
intéressés à leur réalisation." (pp.110-111)
"La société rurale
Les classes dirigeantes
Une hiérarchie sociale plus différenciée caractérise de plus en plus les
campagnes. Les lords (les Russel, les Seymour, les Dudley, les Cecil...),
possesseurs de domaines immenses, d'acquisition souvent récente, laissent en
général, par leur non-résidence, le haut du pavé à la petite noblesse, dont les
rangs se renouvellent d'ailleurs. Il n'est guère possible de dire d'un mot la
condition de cette gentry, extrêmement diverse, où se rencontrent aussi bien de
très grosses fortunes foncières que des cas de réelle pauvreté ; dans son
ensemble, la classe a inégalement bénéficié de l'évolution économique : la
hausse des prix a durement touché au XVIe siècle, des propriétaires moyens au
train de vie exagéré, mais au XVIIe siècle, les achets de terres et les
nouveaux modes d'exploitation ont relevé certaines fortunes... de même que des
alliances matrimoniales opportunes ; véritable bourgeoisie rurale riche et
active ou groupe sans homogénéité et en partie en crise, les deux définitions
font l'objet des controverses entre historiens ; tous s'accordent à souligner
son rôle social et son prestige, et la plupart des tenants de la thèse
pessimiste distinguent entre la "vieille" gentry et la
"nouvelle", d'origine bourgeoise et plus aisée.
Les paysans
Cette même diversité se retrouve au niveau inférieur de la yeomanry :
terme parfois ambigu, qui désigne en principe les paysans propriétaires
d'un bien suffisant pour en faire des citoyens à part entière, mobilisables et
dotés du droit de vote lors des élections parlementaires. Leurs biens
propres satisfaisant plus ou moins à leurs besoins et nombre d'entre eux sont
obligés de louer des terres supplémentaires et apparaissent peu différents des
tenanciers ; plus nombreux dans l'Est, les yeomen ont bénéficié du mouvement
des prix et leur prospérité s'est traduite dans la construction de fermes
cossues à la fin du XVIe siècle ; au début du XVIIe, ils ont été souvent parmi
les premiers à solliciter la clôture des terres ; mais leur position indépendante
en a parfois fait aussi les adversaires les plus coriaces des lords désireux de
remembrer, de partager les communaux, etc. Quelle que soit sa réelle fortune,
le yeoman est considéré avec beaucoup d'envie par les
tenanciers cependant que les pouvoirs publics voient en lui le citoyen utile
par excellence ; selon Gregory King et Ch. Davenant, les yeomen auraient
été, avec leurs familles, neuf cent quatre-vingt mille en 1688, près du quart
des ruraux, mais deux cent quatre-vingt mille seulement auraient été de la
"meilleure condition".
La peasantry regroupe des catégories
encore une fois fort variées : la transformation du manoir en une exploitation
de type capitaliste a apporté de notables innovations au sort des tenanciers ;
on a vu se développer une catégorie de fermiers, tenant leur terre à bail (leaseholders)
et dont beaucoup sont forts proches, par leur condition, des plus aisés
des yeomen ; les copyholders sont ceux qui,
profitant de la conjoncture favorable, ont pu faire établir par écrit la
coutume du manoir et détiennent, à titre perpétuel et héréditaire, une tenure
d'étendue variable à des conditions fixes ; les tenants at will jouissent
d'un droit précaire et purement oral d'occupation et d'exploitation de terres
qu'ils ont souvent défrichées de leur propre initiative sur les communaux et
peuvent en être privés brusquement. Le grand effort des propriétaires a été, au
cours de cette période, de faire prévaloir la condition de lease-holders sur
celle de copyholders et d'englober ainsi dans la première
catégorie la plupart des tenanciers, avec la possibilité de faire varier les
redevances : la pression exercée sur les intéressés a parfois été fort brutale.
Dans ce monde des fermiers et tenanciers, les différences de fortune sont
considérables [...]
A la base de la société rurale, les cottagers,
propriétaires de leur seule maison, à laquelle, selon une loi mal respectée
d'Elisabeth (1598), devaient être rattachés au moins quatre acres ; parmi eux
se recrute l'essentiel des travailleurs salariés que Gregory King estimait à
trois cent soixante-quatre mille familles ou un million deux cent
soixante-quinze mille personnes. Un nombre variable de vagabonds et de
mendiants -plusieurs dizaines de milliers à la fin du XVIIe siècle- sont
durement pourchassés et sujets aux condamnations les plus sévères. Toutes ces
oppositions sociales se marquent de plus en plus dans le paysage où les
élégantes demeurent précédées de jardins de l'aristocratie et les fermes
pimpantes contrastent avec des chaumières misérables. La législation remédie
plus ou moins bien aux abus: la loi des pauvres de 1597 ordonne certes, sous la
responsabilité des juges de paix, que des secours soient accordées aux
indigents sous forme de travail ou de charité en cas d'invalidité ou de jeune
âge ; mais le Statut des Apprentis et Artisans de 1563, s'il donne certaines
garanties de stabilité aux travailleurs, édicte aussi des contraintes
rigoureuses et prescrit la fixation du salaire par les juges de paix, chaque
année, après consultation de "personnes compétentes et avisées", ce
qui permet en fait au XVII siècle surtout de maintenir son niveau à un taux
très bas. La misère des campagnes se traduit par des révoltes agraires plus ou
moins sérieuses, surtout sous les premiers Stuarts." (pp.111-114)
"Les fluctuations relativement faibles et peu
fréquentes des prix agricoles au XVIIe siècle témoignent en faveur de la thèse
d'une production -suffisante pour les besoins de la nation." (p.115)
"Les Tudors comme les premiers Stuarts se font
une conception très "dirigiste" de l'industrie et, avec plus ou moins
de bonheur, s'efforcent de développer les productions, de les diversifier et
d'en assurer la qualité. A son rôle traditionnel de protecteur, l'Etat ajoute
ceux d'animateur et de contrôleur. Il prend, pour ce dernier, la place des
guildes, en pleine décadence au XVIe siècle, et qui ne se relèvent pas de la
confiscation de leurs biens, prononcée par Edouard VI. Des règlements nationaux
sont édictés et des méthodes mises au point pour assurer leur application. Nous
avons déjà évoqué le fameux Statut des Apprentis et Artisans de 1563 ; il
ordonne, pour les métiers industriels, un apprentissage uniforme de sept
années, et interdit la maîtrise avant l'âge de vingt-quatre ans ; ces règles
sont applicables dans les campagnes comme dans les villes. D'autre part, pour
protéger les métiers urbains, draperie, mercerie, orfèvrerie, un véritable cens
est fixé : seuls les fils de propriétaires ruraux dont la terre vaut un revenu
de plus de 60 shillings, peuvent être admis dans les ateliers urbains comme
apprentis ; on aboutit ainsi à une discrimination fort nette entre ruraux et
citadins. [...] Pour assurer l'exécution des lois et règlements, on recourt de
plus en plus, à partir de la fin du règne d'Elisabeth, à des compagnies
industrielles locales, composées de riches fabricants, dotées de privilèges
accordés par la Couronne et non pas par les municipalités, et qui prennent des
responsabilités autrefois dévolues aux guildes. Jacques Ier et Charles Ier
accentuent les contrôles étatiques et nomment des officiers spécialement
chargés de veiller à la bonne observance des règles : ainsi en 1605, le duc de
Lennox est, avec le titre d'aulnager, placé à la tête d'une
administration qui a pour mission de contrôler les tissus. La seconde moitié du
XVIIe siècle voit l'écroulement d'un système tracassier et la marche au
laisser-faire.
Les souverains ont cherché d'autre part à encourager
l'implantation d'industries nouvelles : à une époque où le secret technique est
la règle, ils ont dû faire appel, comme la France, à des ouvriers
étrangers. Pays protestant et terre de refuge, l'Angleterre a accueilli sur
son sol des vagues successives d'immigrants, calvinistes de Flandre et de
Wallonie sous Elisabeth, calvinistes français à la même époque, huguenots
chassés un siècle plus tard par les persécutions de Louis XIV, etc.
Avec eux sont introduites en Angleterre les industries de la soie, et surtout
les futaines, étoffes grossières de laine et de lin ; on leur doit également
les premières et petites industries du coton, transférées d'Anvers au
Lancashire, et des progrès dans les techniques de la verrerie et de la
métallurgie. Les étrangers désireux de s'établir en Angleterre reçoivent des
lettres patentes où sont énumérés droits et privilèges de toutes sortes: elles
leurs sont d'autant plus nécessaires que, sauf quelques cités (telle Norwich),
les corporations municipales leur font un accueil mitigé.
L'octroi de privilèges et de monopoles ne se limite
pas aux étrangers : dès le règne d'Elisabeth, mais surtout sous les deux
premiers Stuarts, la Couronne prend l'habitude d'octroyer à des particuliers ou
à des sociétés l'exclusivité de la production dans un secteur donné, salines,
savonneries, papeteries, verreries, etc. ; le monopole est justifié par une
invention réelle ou supposée, telle la fonte du verre au charbon de terre, qui
permet d'économiser le précieux charbon de bois. En 1624, le Parlement prétend
limiter tout monopole à quatorze ans et veut le faire dépendre d'une invention
réelle ; mais Charles Ier s'est plus ou moins soucié de ces limitations. [...]
L'octroi de lettres patentes a moins favorisé le progrès industriel que permis
à la Couronne de "faire de l'argent"." (PP.115-117)
"Sous l'impulsion de l'Etat, mais surtout des
particuliers, certains progrès substantiels sont réalisés. Les vieilles
industries lainières progressent et gagnent de nouvelles régions, en
particulier le Nord et l'Ouest. Dès le règne d'Elisabeth, le Yorkshire, le
Lancashire, le Devon, certains districts gallois deviennent des lieux actifs de
fabrication des étoffes ; Manchester et Bolton constituent des centres de
production de la futaine. Les soieries se développent à Spitalfields et
Canterbury. La seconde moitié du XVIIe siècle voit grandir l'importance du
coton, concentré presque exclusivement dans le Lancashire. L'accroissement des
productions s'accompagne de la modification des structures. Plus que jamais,
l'industrie textile est loin d'être une industrie proprement urbaine : les
ateliers ruraux restent fort nombreux ; la division du travail devient la règle
et le travail industriel est effectué à l'initiative de marchands capitalistes,
qui répartissent les matières premières entre de multiples ateliers et
ramassent le produit fini, les artisans restant les maîtres de leurs machines (putting-out
system). Les crises sont pourtant graves dans l'industrie textile au XVIIe
siècle, liées parfois aux événements politiques (première révolution), mais
aussi à la politique mercantiliste des autres puissances européennes et à la
concurrence hollandaise et française.
Si le textile reste le secteur industriel de base,
d'autres se développent: fonderies de cuivre à Birmingham, verreries à Londres,
dans le Hampshire et le Staffordshire, petite métallurgie (par exemple à
Colchester où s'installent après 1561 quelques dizaines de familles flamandes).
Dans les régions du bassin de Londres, la grosse métallurgie est
florissante et on construit, dès le règne d'Elisabeth, des hauts-fourneaux de
quarante pieds de haut dont la production annuelle, cent à cinq cent tonnes de
fonte, est considérable pour l'époque.
Les industries extractives sont sans doute les plus
prospères. Les individus sont d'autant plus actifs que la propriété du sous-sol
n'appartient ici pas à l'Etat. Des mines de cuivre sont exploitées dans la
seconde moitié du XVIe siècle dans le Nord, des mines d'étain et de plomb dans
le Devon et la Cornouailles. Et surtout, on voit naître la grande exploitation
du charbon de terre : l'épuisement croissant des forêts y pousse et, si les
efforts d'utilisation dans les hauts-fourneaux s'avèrent vains, les débouchés
sont multiples dans les forges, les verreries et le chauffage domestique.
Exploités d'abord à fleur de terre, le charbon l'est au XVIIe siècle par des
puits, ce qui pose le difficile problème de l'évacuation de l'eau. Les grandes
régions sont le Durham, le Northumberland, les Midlands, le Cumberland et le
pays de Galles. La production [...] atteint des totaux de plus en plus élevés,
passant de deux cent dix mille tonnes par an en moyenne dans la période
1551-1560 à près de trois millions de tonnes un peu d'un siècle plus tard, dans
la période 1681-1690. Expédiés par eau vers les grandes villes, en particulier
Londres, le charbon y supplante le bois dans les usages domestiques.
Diversifiée, réorganisée, encouragée, dotée
depuis 1571 d'un véritable marché national par l'abolition des douanes
intérieures, l'industrie anglaise paraît dès la fin du XVIIe siècle avoir
surpassé toutes les autres." (pp.118-120)
"Le développement de l'industrie s'est accompagné
de maux sociaux certains. En période de hausse des prix, les artisans soumis
au putting-out system et les ouvriers ont été plus ou moins
victimes des efforts des fabricants pour maintenir au plus bas les salaires et
les rémunérations. Le Statut des Apprentis a certes permis de garantir un
salaire minimum, mais il n'a été appliqué en fait que jusqu'à la révolution de
1642 et avec beaucoup de répugnance ; de plus, les juges de paix ont
systématiquement estimé que les nouveaux secteurs industriels n'étaient pas
couverts par le Statut. Les périodes de dépression ont été d'autant plus
sévèrement ressenties que la Loi des Pauvres, de son côté, ne semble pas avoir
été appliquée avec un zèle excessif. L'absence de toute organisation de
défense a privé les ouvriers de tout moyen de réagir efficacement. Dans
certaines villes où le développement industriel est grand, à commencer par
Londres, les questions de l'hygiène et du logement se posent de façon
dramatique et dans l'agglomération de près d'un demi-million d'habitants, les
travailleurs, logés surtout dans les quartiers extérieurs de Saint Giles,
Cripplegate, Whitechapel, Stepney, souffrent particulièrement en cas de maladie
ou de disette. Il est difficile d'estimer le niveau de vie des artisans et
ouvriers en général, car au salaire s'ajoute fréquemment, toujours dans les
campagnes, les ressources tirées de l'exploitation d'un champ ou d'un jardin
et, d'autre part, le revenu d'un artisan est celui que lui procurent son propre
travail et celui des membres de sa famille. Il serait certainement erroné de
dresser un tableau très optimiste de la situation sociale de l'Angleterre. Aux
fortunes accumulées par les fabricants et marchands-fabricants, les Winchcombe,
les Dudley, les Foley, correspondent la misère ou la pauvreté du plus grand
nombre." (pp.120-121)
"Le XVIe siècle voit la fin du rêve de
colonisation continentale. La perte de Calais en 1558 symbolise l'achèvement
d'une période." (p.121)
"Le développement commercial et la fondation de
colonies ont lieu simultanément. Ils sont dus tous au rôle de compagnies
privées par actions qui reçoivent de la Couronne des Chartes : celles-ci
concèdent un monopole pour les relations commerciales entre l'Angleterre et un
secteur déterminé du monde, octroient des droits régaliens sur les territoires
où il y aurait établissement. Les processus sont identiques à ceux que l'on
retrouve dans tous les pays européens du temps, mais le rôle de l'Etat et ses
droits sont inférieurs en Angleterre à ceux que la monarchie se réserve en
Espagne ou au Portugal. Vers le milieu du XVIe siècle, la seule grande
association de marchands est celle des Merchant Adventurers,
constituée un siècle plus tôt pour le commerce de la mer du Nord et de la
Baltique, en lutte constante contre la Hanse à qui elle parvient à faire
retirer tous ses privilèges à Londres (1552). En 1553, la Compagnie de Moscovie
(240 actionnaires) a été créées. Le règne d'Elisabeth voit se multiplier les
compagnies : de la Baltique (1579), du Levant (1581), du Maroc (1585), de
Sénégambie (1588), de Gambie et de Sierra Leone (1592), et surtout la Compagnie
des Indes orientales, fondée en 1600. Cette dernière est promise aux
destins les plus importants ; elle est fondée à l'initiative d'un marchand de
Londres, Jacques Lancaster ; son capital initial est de quatre-vingt mille
livres, ce qui est relativement peu, et son rôle premier est purement
commercial ; la concurrence anglaise la rejette bientôt vers l'Inde. Après
plusieurs crises, elle est réorganisée en 1657 et son capital fixé à sept cent
quarante mille livres : elle assure alors des dividendes de plus en plus
importants à ses actionnaires (20 à 40%). Sous les Stuarts, apparaissent
d'autres compagnies, plus ou moins heureuse dans leurs opérations et plus ou
moins précaires dans leur existence : une compagnie de Guinée doit être
réorganisée à plusieurs reprises, la Compagnie de la Baie d'Hudson (1670)
connaît une prospérité relative." (pp.122-123)
"La plupart des petites Antilles ont été occupées
entre 1624 et 1650 et la Jamaïque acquise en 1655. Tous les régimes ont apporté
leur pierre à cette construction antillaise, et on se l'explique aisément par
les immenses profits que valent les plantations de tabac, de canne à sucre et
aussi de coton. Un commerce triangulaire peut ainsi se développer, qui englobe
l'Afrique où, dès les années 1562-1569, John Hawkins avait montré la voie de la
traite des Noirs. [...] Hors du continent américain, les colonies sont avant
tout des comptoirs [...] fondés en Inde à Madras, puis à Hugli sur le delta du
Gange, à Bombay en 1662 et près de Calcutta en 1686." (pp.123-124)
"Les difficultés rencontrées sont pourtant
considérables. C'est la piraterie, difficilement combattue par les marines de
guerre des grands Etats, et contre laquelle les souverains anglais n'ont jamais
pu réunir des moyens suffisants ; c'est le coût croissant de la construction
des navires, lié à l'augmentation du prix du bois qui se raréfie en Angleterre
; c'est surtout la difficulté de recruter des équipages dans un pays qui, à la
fin du XVe siècle encore, ne comptait qu'environ vingt mille marins et pêcheurs
et qui n'en a guère plus de trente mille un siècle plus tard. Des efforts
considérables sont faits sous le règne d'Elisabeth, stimulés par les dangers
extérieurs qui culminent avec la menace de l'Invincible Armada en 1588.
Burleigh semble avoir été le principal conseiller de la reine dans ce domaine
aussi. Dès 1558, un Statut interdit d'abattre des arbres pour la métallurgie
dans un rayon de 14 milles à partir de la côte. On encourage l'établissement de
corderies et de fabrication de toiles. Pour développer la pêche, une loi de
1563 ordonne qu'il y aura trois jours de consommation de poissons par semaine :
les pêcheries passent pour d'excellentes écoles de marins. La même loi dispense
pêcheurs et marins de tout service militaire à terre. Mais le problème du
recrutement resta grave pendant toute la période et on dut avoir recours à des
étrangers : un équipage formé pour les trois quarts seulement par des marins
anglais paraissait un cas normal au milieu du XVIIe siècle. En 1688, il y
aurait eu cinquante mille marins. [...]
C'est en 1651 qu'un acte est promulgué "pour
l'accroissement de la flotte et l'encouragement de la vie maritime de la
nation": toute marchandise coloniale ou provenant d'un continent
extra-européen devait être apportée dans un port anglais uniquement sur des
bateaux anglais, dont l'équipage serait en majorité anglais. D'Europe, les
marchandises pouvaient venir sur bâtiments étrangers, mais de la nationalité
exclusive des pays producteurs du bien vendu ; aux navires anglais seuls était
réservé le trafic entre des ports dépendant de la Couronne d'Angleterre.
Inspiré par des nécessités militaires autant que par des vues économiques, mais
sollicité avec vigueur par des marchands de Londres, l'acte de Navigation de
1651 a surtout provoqué une guerre contre la Hollande. Ses dispositions sont
reprises dès la Restauration et l'acte de Navigation de 1660 précise que les
trois quarts d'un équipage de navire anglais devaient être de nationalité
anglaise ; il est complété en 1663 par un nouvel acte, qui réserve à la métropole
le commerce exclusif avec ses colonies et fait de l'Angleterre l'entrepôt et
l'étape nécessaires de tous les produits à destination des colonies ou en
arrivant. Ces actes sont plus ou moins rigoureusement appliqués, car souvent la
nécessité oblige à tourner la loi." (pp.125-126)
"Tous ces efforts de la monarchie, l'élan qui
anime navigateurs et marchands ne se comprendraient pas sans un état d'esprit
"impérialiste" progressivement forgé. Des écrivains et des hommes
d'action ont dès le début du XVIe siècle poussé l'Angleterre "vers le
large". Thomas More est généralement cité le premier, qui dans son Utopie
exalte un Etat insulaire idéal, tournant le dos au continent et se lançant vers
la mer : mais, traduite en anglais en 1551 seulement, l'œuvre ne semble pas
avoir eu, du point de vue maritime et colonial, l'importance qu'on lui a
parfois prêtée. Au temps d'Elisabeth, la haine de l'Espagne et le patriotisme
agissent en faveur d'une expansion que souhaitent des hommes bien en cour :
Richard Hakluyt, auteur des Principal Navigations, Sir Humprey
Gilbert, originaire du Devon et grand tenant de la route du nord-est, son ami
Peckham plaident pour une colonisation qui résoudrait le problème du
"surpeuplement" en Angleterre et pour le développement d'une flotte
qui permettrait à leur pays de tirer le plus grand profit des relations avec la
Chine et tout l'Extrême-orient. Walter Raleigh souligne que "qui tient la
mer, tient le commerce du monde, qui tient le commerce du monde, tient le monde
lui-même." Elisabeth, qui n'hésite pas à investir de l'argent dans
l'expédition de Francis Drake contre les gallions espagnols (1573-1580), est
d'autant plus convaincue que nombre de hauts personnages sont également séduits
par toutes ces perspectives : tels Burleigh, les comtes de Leicester et de
Pembroke, le Lord Amiral Clinton. Un esprit d'aventure pénètre la population
anglaise, plus fort d'abord en Cornouailles et dans le Devon, d'où partent les
grands marins, mais qui se répand partout: on le retrouve dans certaines œuvres
de Shakespeare, dont La Tempête [...] Moins fort que dans les pays catholiques,
le sentiment que colonisation et diffusion d'une civilisation et surtout d'une
religion sont liées contribue à encourager explorateurs, marchands et
gouvernants. Au XVIIe siècle, tous ces sentiments ne font que s'accentuer et
les deux premiers Stuarts sont convaincus de la nécessité de l'expansion
commerciale et coloniale. Vers le milieu du siècle, deux ouvrages viennent
montrer combien le destin de l'Angleterre est désormais associé à la mer:
Thomas Hobbes, dans son Leviathan, réunit par un lien indissoluble
les colonies à la métropole dans un même Commonwealth ; James Harrington, près d'un siècle et demi après l'Utopia publie l'Oceania,
où l'Etat-type tire l'essentiel de sa force et de sa puissance de l'exploitation
de la mer et la possession de territoires lointains. L'approbation que la
Restauration s'empresse de donner aux actes du pouvoir puritain démontre que
les milieux influents du Royaume sont désormais acquis à tout ce qui peut
développer la prospérité maritime." (pp.127-128)
"Sur la suggestion de Gresham, [Londres voit en
1558 la création du Royal Exchange], grande bourse de commerce imitée de celle
d'Anvers. La City est le cœur commercial et industriel [...] De cent mille
habitants vers 1558, sa population passe à deux cent mille vers 1603, à environ
un demi-million à la fin du XVIIe siècle. Décimée par la peste en 1665, la
ville surmonte toutes ses épreuves et témoigne d'une vitalité étonnante."
(p.129)
"A la fin de cette période, Gregory King
affirmait que l'Angleterre était le pays le plus riche d'Europe après la
Hollande et il pouvait avec orgueil souligner la supériorité du revenu moyen
par tête d'habitant en Angleterre par rapport à la France." (p.129)
-Roland Marx & Philippe Chassaigne, Histoire de la Grande-Bretagne, Perrin, 2004 (1980 pour la première édition), 581 pages.
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