« Le modèle
social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un
compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer,
et le gouvernement s'y emploie. Les annonces successives des différentes
réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant
elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut
de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité
sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une
profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple,
prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle
est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement
le programme du Conseil national de la Résistance ! »
(Denis Kessler (ancien vice-président du MEDEF), « Adieu, 1945, raccrochons notre pays au monde »,
Challenges, 4 octobre 2007).
Mais quel était vraiment le programme économique et
social de la Résistance française –ce qu’un libéral imbécile a récemment
qualifié d’« enfant difforme » ?
***
« Née de la volonté ardente des Français de
refuser la défaite, la Résistance n’a pas d’autre raison d’être que la lutte
quotidienne sans cesse intensifiée.
Cette mission de combat ne doit pas
prendre fin à la Libération. Ce n’est, en effet, qu’en regroupant
toutes ses forces autour des aspirations quasi unanimes de la Nation, que la
France retrouvera son équilibre moral et social et redonnera au monde l’image
de sa grandeur et la preuve de son unité.
Aussi les représentants des organisations de la Résistance,
des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au sein
du C.N.R., délibérant en assemblée plénière le 15 mars 1944, ont-ils décidé de
s’unir sur le programme suivant, qui comporte à la fois un plan d’action
immédiate contre l’oppresseur et les mesures destinées à instaurer, dès la
Libération du territoire, un ordre social plus juste. [...]
Ainsi, par l’application des décisions du présent
programme d’action commune, se fera, dans l’action, l’union étroite de tous
les patriotes, sans distinction d’opinions politiques, philosophiques ou
religieuses. Ainsi se constituera dans la lutte une armée expérimentée,
rompue au combat, dirigée par des cadres éprouvés devant le danger, une armée
capable de jouer son rôle lorsque les conditions de l’insurrection nationale
seront réalisées, armée qui élargira progressivement ses objectifs et son
armement.
Ainsi, par l’effort et les sacrifices de tous, sera
avancée l’heure de la libération du territoire national ; ainsi la vie de
milliers de Français pourra être sauvée et d’immenses richesses pourront être
préservées.
Ainsi dans le combat se forgera une France plus pure
et plus forte capable d’entreprendre au lendemain de la libération la plus
grande œuvre de reconstruction et de rénovation de la patrie.
II - MESURES À APPLIQUER DÈS LA LIBÉRATION DU
TERRITOIRE
Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à
mettre en œuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide du
territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances
politiques groupés au sein du C.N.R proclament qu’ils sont décidés à rester
unis après la libération :
1) Afin d’établir le gouvernement provisoire de la
République formé par le Général de Gaulle pour défendre l’indépendance
politique et économique de la nation, rétablir la France dans sa puissance,
dans sa grandeur et dans sa mission universelle ;
2) Afin de veiller au châtiment des traîtres et à
l’éviction dans le domaine de l’administration et de la vie professionnelle de
tous ceux qui auront pactisé avec l’ennemi ou qui se seront associés activement
à la politique des gouvernements de collaboration ;
3) Afin d’exiger la confiscation des biens des
traîtres et des trafiquants de marché noir, l’établissement d’un impôt
progressif sur les bénéfices de guerre et plus généralement sur les gains
réalisés au détriment du peuple et de la nation pendant la période d’occupation
ainsi que la confiscation de tous les biens ennemis y compris les
participations acquises depuis l’armistice par les gouvernements de l’axe et
par leurs ressortissants, dans les entreprises françaises et coloniales de tout
ordre, avec constitution de ces participations en patrimoine national inaliénable
;
4) Afin d’assurer :
-l’établissement de la démocratie la plus large en
rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage
universel ;
-la pleine liberté de pensée, de conscience et
d’expression ;
-la liberté de la presse, son honneur et son
indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences
étrangères ;
-la liberté d’association, de réunion et de
manifestation ;
-l’inviolabilité du domicile et le secret de la
correspondance ;
-le respect de la personne humaine ;
-l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi
;
5) Afin de promouvoir les réformes indispensables :
a) Sur le plan économique :
-l’instauration d’une véritable démocratie économique
et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et
financières de la direction de l’économie ;
-une organisation rationnelle de l’économie assurant
la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de
la dictature professionnelle instaurée à l’image des Etats fascistes ;
-l’intensification de la production nationale selon
les lignes d’un plan arrêté par l’Etat après consultation des
représentants de tous les éléments de cette production ;
-le retour à la nation des grands moyens de
production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie,
des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ;
-le développement et le soutien des coopératives de
production, d’achats et de ventes, agricoles et artisanales ;
-le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux
fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les
qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction
de l’économie.
b) Sur le plan social :
-le droit au travail et le droit au repos, notamment
par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail ;
-un rajustement important des salaires et la garantie
d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa
famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine
;
-la garantie du pouvoir d’achat national pour une
politique tendant à une stabilité de la monnaie ;
-la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles,
d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de
la vie économique et sociale ;
-un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer
à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont
incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux
représentants des intéressés et de l’État ;
-la sécurité de l’emploi, la réglementation des
conditions d’embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués
d’atelier ;
-l’élévation et la sécurité du niveau de vie des
travailleurs de la terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs,
améliorant et généralisant l’expérience de l’Office du blé, par une législation
sociale accordant aux salariés agricoles les mêmes droits qu’aux salariés de
l’industrie, par un système d’assurance contre les calamités agricoles, par
l’établissement d’un juste statut du fermage et du métayage, par des facilités
d’accession à la propriété pour les jeunes familles paysannes et par la
réalisation d’un plan d’équipement rural ;
une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ;
-le dédommagement des sinistrés et des allocations et
pensions pour les victimes de la terreur fasciste.
c) Une extension des droits politiques, sociaux et
économiques des populations indigènes et coloniales.
d) La possibilité effective pour tous les
enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la
plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin
que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui
auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une
élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée
par les apports populaires.
Ainsi sera fondée une République nouvelle qui balaiera
le régime de basse réaction instauré par Vichy et qui rendra aux institutions
démocratiques et populaires l’efficacité que leur avaient fait perdre les
entreprises de corruption et de trahison qui ont précédé la
capitulation.
Ainsi sera rendue possible une démocratie qui unisse
au contrôle effectif exercé par les élus du peuple la continuité de l’action
gouvernementale.
L’union des représentants de la Résistance pour
l’action dans le présent et dans l’avenir, dans l’intérêt supérieur de la
patrie, doit être pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant.
Elle doit les inciter à éliminer tout esprit de particularisme, tout ferment de
division qui pourrait freiner leur action et ne servir que l’ennemi.
En avant donc, dans l’union de tous les Français
rassemblés autour du C.F.L.N et de son président le général De Gaulle !
En avant pour le combat, en avant pour la victoire
afin que VIVE LA FRANCE ! »
-Les Jours Heureux - Programme du Conseil national de la Résistance, 15 mars 1944.
Le programme du Conseil national de la Résistance a aussi inspiré les Constitutions de la Quatrième et de la Cinquième républiques. D’un point de vue symbolique il reste très présent dans l’imaginaire politique français.
RépondreSupprimerVous êtes plus optimiste que moi, Laconique. Je me demande combien de Français connaissent un minimum le contenu de ce texte.
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